Paris a demandé à Washington de ne pas cibler l’usine Lafarge en Syrie
La France a demandé à l’automne 2014 aux États-Unis de ne pas bombarder la cimenterie Lafarge dans le nord de la Syrie, alors occupée par des membres du groupe terroristes «Daech».
Lafarge est actuellement au cœur d’une information judiciaire pour financement du terrorisme et mise en danger délibérée de la vie d’autrui. Les poursuites judiciaires font suite au dépôt d'une plainte, fin 2016, par l’organisation de lutte contre les crimes économiques Sherpa et le Centre européen pour les droits constitutionnels et les droits de l'homme (ECCHR).
Mercredi 25 avril, un collectif de défense des chrétiens d'Orient a également été confirmé comme partie civile dans l'enquête contre le cimentier franco-suisse.
Pour rappel, l’enquête se concentre sur les liens que Lafarge a pu entretenir, avec «Daech» notamment, pour continuer à faire fonctionner en 2013 et 2014, malgré le conflit, sa cimenterie de Jalabiya, dans le nord de la Syrie.
Six cadres et dirigeants du cimentier et de sa branche syrienne ont déjà été inculpés - dont l'ex-PDG Bruno Lafont et Christian Herrault, ancien directeur général adjoint chargé notamment de la Syrie - pour «financement d'une entreprise terroriste» et «mise en danger de la vie d'autrui».
De juillet 2012 à septembre 2014, la filiale syrienne du groupe a versé environ 5,6 millions de dollars à diverses factions armées via un intermédiaire, dont plus de 500 000 dollars à «Daech», d'après un rapport du cabinet américain Baker McKenzie missionné par Lafarge.
Les enquêteurs tentent de déterminer si la direction à Paris et le ministère français des Affaires étrangères étaient au courant de ces pratiques.
Reuters a pu consulter les échanges d’e-mails entre celui qui était alors le responsable de la sécurité du groupe, Jean-Claude Veillard, et de hauts diplomates français, messages versés au dossier judiciaire. Ainsi, le ministère des Affaires étrangères et Lafarge partageaient alors la conviction qu’il fallait préserver l’investissement de près de 700 millions de dollars à Jalabiya, dans la perspective de la reconstruction de la Syrie.
Pour ménager l’avenir, Lafarge a aussi sollicité en mars 2015, par l’intermédiaire de son responsable de la sécurité, l’aide du ministère français des Affaires étrangères pour exfiltrer et faire soigner un commandant kurde blessé lors des combats contre «Daech» pour la reconquête du site de Jalabiya. Le Quai d’Orsay donnera alors des consignes pour qu’un visa médical soit accordé au blessé.
Ce dernier rebondissement n’étonne personne : les auditions des principaux protagonistes et les pièces versées au dossier montrent également que l’État français a été informé pendant toute la période considérée de la situation de l’usine et de l’évolution de son environnement militaire.
Jean-Claude Veillard a ainsi avoué, lors de récentes auditions, qu’il transmettait régulièrement aux services de renseignement français (DGSE, DGSI et DRM) des informations sur la situation dans la zone. «Dès que j’avais des informations sur les individus, je mettais ces informations à la disposition des services. Je leur transmettais des informations brutes», a notamment expliqué cet ancien militaire des commandos de marine.
Prié de dire s’il avait informé ces services du versement d’argent aux groupes armés contrôlant la zone, dont «Daech», pour maintenir l’usine en activité - ce qui est reproché à Lafarge -, il a répondu qu’il ne faisait «aucun tri» dans ces informations.
La cimenterie de Jalabiya a été mise en service en mai 2010, juste avant que la situation en Syrie ne se détériore, plaçant l’usine et son personnel dans une situation difficile en matière de sécurité. Le site a été évacué en septembre 2014. Selon certaines sources, les locaux servent maintenant de base aux forces spéciales américaines en Syrie.
Source: middleeasteye