Bellemare revient sur ses paroles
Umar Nashabé – Al-Akhbar
Le parlement canadien questionne et réclame des comptes au procureur général de son pays, mais qui pourrait demander des comptes au procureur général canadien dans le TSL chargé de l’assassinat du premier ministre Rafiq Hariri, s’il commet une faute ? Personne, même si des milliers de Libanais paieront le prix de ces fautes de leur sang, leur fortune et leur paix civile.
Le bureau canadien du procureur général doit prendre en compte deux questions avant la publication de ses accusations. La première concerne le degré de véracité des preuves criminelles, et la seconde est basée sur une étude menée pour savoir si l’accusation judiciaire sert l’intérêt général (voir The Federal Prosecution Service Desbook, the decision to prosecute, chap. 15). Mais il semble que le procureur général du TSL, le canadien Daniel Bellemare, ait décidé de rompre avec les principes de sa fonction dans son pays et de poursuivre son chemin consistant à émettre son acte d’accusation, bien que cela menace de provoquer une guerre civile sanglante au Liban, malgré la non crédibilité d’une part essentielle de sa preuve judiciaire qu’il semble vouloir adopter, dont les informations rassemblées à partir du réseau des communications. En effet, l’union internationale des communications a affirmé que ce réseau était entièrement infiltré par les « Israéliens ».
Quand aux renseignements rassemblés au cours de l’enquête internationale précédente, la source de certains d’entre eux, selon le texte de la décision du juge de la mise en état, Daniel Francine, paru le 29 avril 2009, « vient de témoins qui ont modifié leur témoignage », et « d’un témoin principal qui est clairement revenu sur ses paroles ». Qu’est-ce qui garantit que cela ne se renouvellera pas après la publication de l’acte d’accusation ?
Le manuel du bureau canadien du procureur explique par « intérêt public » ce qui pourrait imposer l’empêchement de publier l’acte d’accusation, énumérant à ce propos plusieurs cas incitant à la non publication, dont : si l’accusation entraîne un effet négatif prévu sur l’ordre public, la confiance générale dans le système de justice (paragraphe g). Il faut indiquer ici que le Hezbollah dont des responsables semblent être ciblés par l’accusation du meurtre de Rafiq Hariri, et qui bénéficie du soutien de grands secteurs du peuple libanais, est représenté au gouvernement et au parlement après avoir obtenu des dizaines de milliers de voix lors des élections. L’accusation de responsables du parti d’avoir assassiné Hariri « a des effets négatifs attendus sur l’ordre public et la confiance général dans le système de la justice », notamment après que sayyed Nasrullah ait présenté des indices indiquant l’implication d’Israël dans le crime. Aucun signe n’indique que les enquêteurs internationaux aient entendu le témoignage d’un seul Israélien.
Un autre cas impose aux autorités canadiennes la non accusation, celui de la possibilité que cette accusation « soit contre-productive » (paragraphe h). Il faut se poser la question sur la productivité de ce que prépare Bellemare, car il semble que Bellemare considère que l’éclatement d’une guerre civile entre Libanais, le retour aux conflits internes et l’élargissement du fossé entre les gens soient des choses productives, ce qui le pousse à poursuivre sa décision de publier l’acte d’accusation qui vise des responsables du Hezbollah, le contraire étant également vrai.
Le manuel du bureau canadien du procureur cite deux autres facteurs qui peuvent entraîner la non accusation : le comportement des victimes et de leurs familles (paragraphe n) et la durée du tribunal et son coût (paragraphe o). Pour le premier facteur, il n’est pas besoin de rappeler les dizaines de déclarations où Saad Hariri a accusé la Syrie d’avoir commis les crimes, devançant les résultats de l’enquête et éloignant les présomptions d’innocence, puis sa visite à Damas, se retournant ainsi contre lui-même et contre les slogans de son public. Mais indiquons le soutien de la famille du martyr Rafiq Hariri à l’amnistie d’une personne que la cour de justice avait accusée d’être impliquée dans l’assassinat du premier ministre Rachid Karamé, et la présomption d’implication du groupe politique dépendant de Hariri dans la fabrication des faux témoins et l’égarement de l’enquête. Est-ce que Bellemare a ouvert une enquête sur cette présomption avant de commencer à préparer l’acte d’accusation ?
Quand au second facteur, un simple examen du budget du tribunal indique que la participation du Liban dépasse le budget annuel de son ministre de la justice, et par conséquent, les Libanais paient une somme pour faire fonctionner un tribunal spécialisé dans une seule affaire criminelle (et d’autres s’il est prouvé quelles sont reliées), dépassant la somme pouvant faire fonctionner des dizaines de tribunaux spécialisés dans le jugement de centaines de questions de justice concernant des milliers de citoyens. A ce propos, il faut rappeler les milliers de familles libanaises qui ont perdu des êtres chers depuis la guerre et qui ont été privées de justice et de vérité.
Justifier les fautes avant de les commettre
« Il s’agit d’un crime extrêmement complexe, et l’enquête et les mesures font face à de nombreux défis », dit le procureur général par le biais d’une vidéo sur le site électronique www.stl-org. L’importance de cette description gît dans le fait qu’elle pourrait être utilisée pour justifier « des fautes » que Bellemare va probablement commettre en lançant son accusation prévue contre des membres liés au Hezbollah, d’avoir participé dans le crime du 14 février 2005. Daniel Bellemare qui a travaillé au Canada avant son transfert à Beyrouth puis La Haye, fait référence, dans le manuel du bureau canadien du procureur (2005) au vice ministre canadien de la justice, Maurice Rosenberg qui dit : « le procureur général qui s’attend à la certitude et la vérité absolue n’agit pas dans son domaine. Les tâches du procureur général ne sont pas une science exacte, et au fur et à mesure que les choses se compliquent, la marge d’erreur s’étend ». Par conséquent, le fait de décrire l’assassinat de Hariri comme étant « extrêmement complexe » écarte de Bellemare la suspicion de politisation de l’accusation, car il pourrait dire qu’il a commis « une erreur professionnelle ». Selon les paroles de Bellemare, il y a une large marge d’erreur dans le ciblage et la formulation de l’acte d’accusation.
Les opinions et les prévisions de Bellemare
Bellemare dit également, à travers la vidéo de La Haye : « il me semble que celui qui prétend que le tribunal est politisé craint les résultats de l’acte du tribunal ou les efforts du tribunal pour découvrir la vérité ». Ces paroles indiquent le retournement de Bellemare contre lui-même, car dans le manuel canadien auquel Bellemare a participé, il interdit aux procureurs généraux d’exprimer leurs prévisions (paragraphes 3, 2, 4, 10). Ajoutons que Bellemare exprime une opinion personnelle par laquelle il a voulu, semble-t-il informer les Libanais et d’autres intéressés. Par conséquent, l’homme s’est retourné contre lui-même, ici aussi, car le paragraphe 10.4.1 du manuel canadien demande aux procureurs de « présenter les faits et non les opinions…, le but étant de développer ce qui est compris et non de provoquer ». Au lieu de discuter et de proposer des idées productives et globales, il semble que l’énervement du procureur général canadien, qui, pour la première fois, prend en charge une affaire criminelle internationale, l’a poussé à répondre à « ceux qui prétendent que le tribunal est politisé » en les accusant d’être impliqués dans le crime, de manière directe ou indirecte, disant que les conclusions de l’acte du tribunal et la découverte de la vérité sur le crime ne font peur qu’à ceux qui y sont impliqués et aux proches de ces derniers.
Bellemare ne s’est pas contenté de cette violation du principe affirmant que le procureur général ne doit pas exprimer sa propre opinion dans une affaire criminelle, mais il a exprimé ses analyses politiques et ses méandres judiciaires particulières (qui sont parues comme étant très naïves) en disant : « le tribunal est important, car il prouve que ceux qui ont commis le crime ne peuvent échapper au châtiment, et je pense que beaucoup de Libanais ont mis leurs espoirs dans ce tribunal qui va aider au retour du pouvoir de la loi au Liban, et tous sont égaux devant la loi, personne n’est au-desssus de la loi. Outre le fait de découvrir la vérité sur ce qui s’est passé en février 2005, le but du tribunal, sur le long terme, est d’accorder aux Libanais l’espoir et leur permettre d’avoir foi dans l’ordre, leur permettre de se sentir libres dans leur pays et accorder aux institutions officielles libanaises la force dont elles ont besoin pour continuer à soutenir la démocratie ». Il faut rappeler d’abord que cette analyse des buts du tribunal n’est pas du ressort professionnel du procureur général, mais de celui du président du tribunal, le juge Cassese et du porte-parole officiel du tribunal. Mais ce qui attire l’attention dans le discours de Bellemare, c’est qu’il ne prend pas en compte « les nombreux Libanais » qui mettent en doute le tribunal, affirmant qu’il aide Israël en accusant la résistance d’avoir assassiné Hariri et qu’il provoque une guerre civile et où certains comptent dessus pour affaiblir et troubler le Hezbollah. Bellemare évoque le sentiment de liberté des Libanais dans leur pays, mais il ne sait pas comment le tribunal international peut le réaliser. Est-ce le fait de rassembler des informations globales, à partir des services de l’état-civil, de l’enregistrement des véhicules, des banques, des universités et des communications au Liban, par une partie proche d’Israël, peut permettre aux Libanais de se sentir libres dans leur pays ?
Duplicité des critères
L’élément le plus évident qui montre comment le procureur général canadien se contredit est son dévoilement de la duplicité des critères qu’il a adoptée lors de son enquête, au cours de son discours sur le site électronique libanais, du 30 août 2010, où il affirme que les enquêteurs de son bureau ont entendu « des responsables du Hezbollah » en tant que témoins, mais lorsqu’il fut questionné s’il avait entendu des Israéliens ou des personnes en Israël, il a refusé de répondre ou de commenter sous le prétexte que cela fait partie du secret de l’enquête. Par conséquent, Bellemare a dévoilé que les critères qui s’appliquent au Hezbollah ne s’appliquent pas aux Israéliens. Il semble que le procureur général n’ait pas entendu des témoins israéliens, bien que le respect des critères professionnels dans les enquêtes judiciaires imposent d’entendre toute information de toute personne susceptible d’en apporter sur le crime. Sayyed Hassan Nasrullah avait proclamé le 9 août 2010 qu’un avion espion israélien était présent sur le lieu du crime lorsqu’il a eu lieu. Mais la duplicité des critères de Bellemare lui permet de négliger les informations de Nasrullah et d’avoir recours, par contre, aux informations en provenance d’appareils de renseignements occidentaux, comme l’a appris al-Akhbar, qui citent les noms de personnes en relation avec le Hezbollah.
Le retournement contre les médias
La politique du bureau canadien du procureur consiste à fournir des renseignements aux médias en relation avec la gestion de la justice pénale, de façon rapide, précise et complète en vue d’assurer la confiance de l’opinion publique dans la direction judiciaire (paragraphe 10,2). Mais Bellemare a contredit cette politique en assumant le poste de procureur du TSL en retardant les réponses aux questions des journalistes, et en étant incapable de nommer un porte-parole officiel au nom de son bureau après la démission de Henriette Aswad de ce poste (trois semaines après sa nomination). Elle fut nommée trois mois après la démission de Radia Ashouri. Il faut rappeler que le tribunal n’a pas précisé de manière convaincante les causes de démissions des deux personnes. Ashouri avait exprimé à al-Akhbar les problèmes entre les employés qui ont entraîné la tension au sein du groupe et a fortement critiqué la pratique de certains de ses collègues. Le manuel canadien du procureur énumère les instructions sur la manière de se comporter avec les médias, ainsi que la nécessité de présenter des informations et non des opinions, le manuel précise la nécessité : de préserver la crédibilité du tribunal « en évitant de juger à l’avance les accusés », en respectant les besoins des journalistes : « il est important de reconnaître que les journalistes doivent assumer leur devoir, si tu les aides ou pas, et parce qu’ils vont poursuivre leur travail, il est meilleur de répondre à toutes leurs questions », et de répondre : « l’expression « pas de commentaire » n’est pas acceptable pour celui qui demande des informations », et de répondre rapidement : « les faux renseignements qui ne sont pas corrigés portent atteinte à la notoriété du système ».
La ruse d’Aliot-Marie vise Nasrullah et Moughnieh
La ministre française des AF, Michelle Aliot-Marie a insisté hier sur l’importance de la poursuite des travaux du TSL disant, dans une interview au quotidien 20 minutes, publiée hier, que le TSL est le résultat « d’un souhait international que personne ne peut supprimer ni empêcher le travail». Par cette ruse dont personne n’est dupe, Aliot-Marie a indiqué que les accusations du tribunal seront en direction de personnes et non d’un parti ou d’une confession. Elle a ajouté que le Hezbollah a des élus dans les institutions libanaises, et indiqué que si le tribunal dirige des accusations à des personnes, celles-ci seront traitées en tant que personnes et non en tant que représentants d’un parti ou d’une confession. Cette ruse d’Aliot-Marie est dévoilée par l’article trois du règlement du TSL qui précise la « responsabilité pénale » et la relation entre dirigeant et subordonné, le secrétaire général du Hezbollah, sayyed Hassan Nasrullah étant le « dirigeant » du parti, et en ce qui concerne la relation entre le dirigeant et le subordonné, « le dirigeant assume la responsabilité pénale de tous les crimes commis par les subordonnés qui sont soumis à son autorité et sa domination effectives, faute d’avoir exercé le contrôle qui convenait..», et “qu’il n’a pas pris toutes les mesures nécessaires et raisonnables qui étaient en son pouvoir pour en empêcher ou en réprimer l’exécution ou pour en référer aux autorités compétentes aux fins d’enquête et de poursuites”. Cela signifie que tout acte émanant du procureur général accusant « des individus » du Hezbollah entraînera une enquête sur les dirigeants du parti. De même, cette accusation peut être considérée comme dirigée contre le dirigeant martyr Imad Moughnieh, qui occupait au moment de l’assassinat, le poste de président du conseil du jihad du Hezbollah, car le transport de plus d’un tonne d’explosifs et leur pose dans un camion et leur explosion, ainsi que la surveillance, la coordination et la planification, nécessitent d’efforts importants qui ne peuvent avoir lieu sans la connaissance du « dirigeant ». Ce sont des « activités qui entrent dans le cadre de la responsabilité et du contrôle effectifs du dirigeant ». Et par conséquent, Nasrullah et Moughnieh pourraient être accusés de n’avoir pas pris toutes les mesures nécessaires, dans le cadre de leurs prérogatives, pour empêcher ou réprimer l’exécution, par leurs subordonnés, de ces crimes ».