Sauvée de la faim, elle meurt du choléra: Batul résume le drame du Yémen
Batul, 5 ans, a été sauvée de la malnutrition. Elle est morte deux mois plus tard à cause du second fléau qui sévit au Yémen, le choléra.
Sa photo illustre à elle seule la crise humanitaire au Yémen. Batul a été photographiée par Ahmad Algohbary, jeune Yéménite de 24 ans, journaliste freelance et activiste, alors qu’elle était soignée pour un cas sévère de malnutrition. C’est le cas de plus de 2 millions d’enfants actuellement dans le pays. Grâce aux médicaments de l’Unicef et à l’aide prodiguée dans les centres de nutrition, Batul s’en est sortie. Pour succomber deux mois plus tard au choléra. La petite fille en est décédée faute de traitement. Sans argent, sa famille n’a pas pu la conduire à l’hôpital pour qu’elle reçoive les soins adéquats.
«J’ai l’impression que c’est ma propre fille qui est morte»
Ahmad Algohbary a eu connaissance de la situation de l’enfant alors qu’il aidait un autre petit garçon, Jamal. Il avait publié sa photo sur Twitter et avait récolté environ 1.000 dollars, utilisés pour l’emmener au centre de nutrition et payer le traitement. C’est dans la ville de Sa’dah, au nord-ouest du pays, qu’il a rencontré le médecin de Batul. Celui-ci lui a montré une photo de la petite fille de 5 ans, souffrant d’un cas sévère de malnutrition. Il lui a alors demandé de récolter des fonds pour l’aider. Son père, fermier, a perdu toutes ses ressources financières lorsque les premières bombes de la guerre ont éclaté, détruisant les cultures.
«J’ai pris la photo que me donnait le médecin et je l’ai publiée sur Twitter, comme pour celle de Jamal», explique Ahmad Algohbary. Là encore, il réunit près de 1.000 dollars. Pas une minute à perdre, Batul est emmenée au centre de nutrition. Elle y restera 30 jours.
«Lorsqu’elle est rentrée au village, elle allait vraiment mieux. Elle riait, elle jouait au football avec les autres enfants du village. Elle revenait à la vie», se réjouit Ahmad, plongé dans ses souvenirs.
Mais deux mois plus tard, la fillette contracte le choléra. Sans ressources, ses parents, isolés dans un village loin de l’hôpital, ne peuvent pas la faire soigner. Le 23 juillet dernier, Ahmad publie alors la nouvelle sur son compte Twitter : la petite fille est décédée de la maladie. "Je ne suis pas marié, mais pourtant j’ai eu l’impression que c’était ma propre fille qui était morte", confie-t-il.
L’appel de la Croix-Rouge
L’histoire de Batul, c’est celle de milliers, de millions d’enfants au Yémen, pris entre deux feux, la malnutrition et le choléra. C’est ce qui a poussé la Croix-Rouge à tirer la sonnette d’alarme, mercredi 27 juillet, exhortant les pays voisins du Yémen, principalement l’Arabie saoudite, à régler la crise humanitaire. L’épidémie de choléra est apparue fin avril et est venue se greffer à une situation déjà déplorable de malnutrition. Près de 2 millions d’enfants sont touchés.
Affaiblis, ils sont alors plus enclins à contracter la maladie. Depuis avril, 400.000 cas suspects de choléra ont été détectés. Jusqu’ici, près de 1.900 personnes en sont mortes, selon la Croix-Rouge. L'épidémie pourrait atteindre le seuil de 600.000 cas d'ici fin 2017. Ce cri d'alarme a été lancé par une délégation de l'Organisation Mondiale de la Santé (OMS), de l'Unicef et du Programme alimentaire mondial (PAM) après une visite de trois jours au Yémen, ravagé par la guerre depuis plus de deux ans.
Un manque criant de moyens médicaux
Pris à temps, les patients atteints du choléra peuvent être sauvés. Et c’est là tout l’enjeu sur place. Pour ce faire, deux possibilités s’offrent aux familles : se rendre dans un hôpital soutenu par l’Unicef et obtenir un traitement gratuit, ou dans un hôpital normal et payer. C’est pourtant loin d’être un vrai choix. Ahmad explique :
«Dans le pays, les gens n’ont plus d’argent car les salaires n’ont pas été versés depuis plus de dix mois. Alors on manque de médecins et de matériel médical. Les personnes vont toutes dans les hôpitaux de l’Unicef pour avoir un traitement gratuit. Ils se retrouvent alors bondés et on n’arrive pas à se faire soigner».
Il l’a lui-même expérimenté lorsque son frère est tombé malade : «J’avais vraiment peur qu’il meure. Je l’ai conduit à l’hôpital, mais je ne savais même pas où l’installer tellement il y avait de gens». Finalement son frère Hamza sera traité et sauvé, mais pour beaucoup le problème de l’argent reste crucial. Dans les hôpitaux qui ne sont pas soutenus par l’Unicef, les seuls médecins présents le sont sur la base du bénévolat. Les salaires sont là aussi inexistants et les médicaments coûtent extrêmement cher. Se faire soigner est devenu un luxe.
Le cercle vicieux de la guerre
Au Yémen, le manque de nourriture est consécutif à la guerre, qui dure depuis deux ans, dans un silence presque total. Elle oppose le gouvernement yéménite, soutenu par l'Arabie saoudite, aux rebelles Houthis, alliés à des unités de l'armée restées fidèles à l'ex-président yéménite Ali Abdallah Saleh et accusés de liens avec l'Iran, grand ennemi des Saoudiens. Depuis l'intervention en mars 2015 de la coalition arabe, les combats ont fait plus de 8.000 morts, majoritairement des civils, et plus de 44.500 blessés. Le pays est donc victime d'une «combinaison vicieuse»: guerre, pauvreté, choléra, qui la place «au bord de la famine» selon l’avertissement de l'ONU.
«Imaginez cette situation dans votre pays»
Malgré son engagement, Ahmad reste pessimiste sur l’avenir. «Je ne crois vraiment pas en la fin de cette crise. Elle ne peut pas s’arrêter, parce que l’Arabie saoudite a de l’argent. Nous, nous sommes pauvres. Nous n’avons rien pour nous défendre». Ahmad souhaiterait aussi voir les puissances occidentales s’impliquer davantage. «Les Yéménites n’ont plus d’argent, pas d’eau potable, pas de nourriture et vivent dans les déchets. C’est horrible de voir ses voisins fouiller dans les déchets pour trouver de la nourriture pendant la nuit, pour que personne ne les voie, surtout pas leurs enfants. Imaginez cette situation dans votre pays, à Paris, en Angleterre ou aux Etats-Unis. Nous sommes les mêmes êtres humains que vous, donc ne nous laissez pas seuls».
Source: nouvelobs.com