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La rencontre de Sharon, au domicile de Gemayel, deux jours avant le massacre de Sabra et Chatila (Haaretz)

La rencontre de Sharon, au domicile de Gemayel, deux jours avant le massacre de Sabra et Chatila (Haaretz)
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Yosi Milman, Haaretz
3/10/2010

Lorsque la vice-directeur du Mossal précédent, Alize Magin, a rencontré par hasard son homologue Nahik Nabot, elle lui a dit : « j’ai vu le film « Danse avec Bashir » et j’ai pensé à toi ». Magin ne voulait pas nuire à Nabot, qui  fut également vice-directeur du Mossad et chef de la section « Tiefel », mais ses paroles l’ont marqué au fer.
Comme beaucoup dans le Mossad ou à l’extérieur, Nabot est rattaché à la première guerre du Liban. L’image négative de cette guerre que les journalistes israéliens Zeev Shev et Ihud Yari ont nommée « guerre de l’imposture » dans un livre ainsi intitulé, lui est collée. Selon cette image, ce fut une guerre inutile, dont les buts réels ont été masqués du public, et au cours de laquelle 600 soldats israéliens ont été tués et qui a conduit à la tuerie de centaines de femmes, d’enfants et d’hommes palestiniens dans les camps de Sabra et Chatila.
En conséquence, la place d’Israël dans le monde s’est détériorée et il s’enlisa pendant 18 ans dans le bourbier libanais. Depuis 1982, tous considèrent qu’Ariel Sharon, Nabot et le Mossad sont les artisans de cette guerre. Nabot reconnaît que « beaucoup me jugent responsable de cette guerre », il occupait alors une position centrale dans la relation avec les forces chrétiennes au Liban. « Lorsqu’ils parlent de la guerre au Liban, ils se rappellent malheureusement de moi. Cette image est collée à moi et au Mossad ». Presque au même moment, mais sans qu’il y ait de liens entre les deux, Nabot fut invité à une rencontre avec le Mossad. Le film « Valse avec Bashir » fut visionné devant un grand nombre d’employés du Mossad, et Nabot fut invité à prononcer une allocution et exposer les expériences du réalisateur du film, Ari Bolman, dans un cadre historique plus vaste. La réaction de Nabot fut très vive au point qu’il ne put dire un mot, pendant de longues minutes. Il avait refusé de parler à la presse. Et au cours des dernières années, seuls quelques articles été publiés dans la presse quotidienne, quelques interviews ont été faits dans des radios et une seule à la télévision.
Quelques années auparavant, le journaliste Roni Hadar l’a contacté, et c’est à lui que revient l’organisation de cette interview où il compte se dévoiler plus pour changer l’image qui lui a été collée et pour prouver que ni lui ni le Mossad ne sont responsables de cette guerre. Il insiste : « je ne demande pas au public de me pardonner pour une faute que je n’ai pas commise, mais je cherche à dévoiler la vérité, de mon côté, qui est la vérité réaliste. Le Mossad n’a été qu’un outil d’exécution, et notre rôle fut de donner des informations et des renseignements, à établir le contact avec les chrétiens au Liban. Cela a commencé dans les années cinquante et soixante, dans une perspective politique globale conçue par David Ben Gourion.

Q. Donc, à ton avis, qui porte la responsabilité d’une guerre qui a entraîné Israël et lui a fait subir de nombreuses victimes ?
R. La responsabilité revient avant tout au premier ministre, Menahim Begin, et tout le gouvernement, ainsi qu’au niveau militaire à cette époque ». Bien qu’il évite de citer les noms, nous pouvons comprendre qu’il vise le chef d’état-major Rafael Eitan (Raffoul), le commandant du front nord, Avigdor ben Ghal (Yanouch) et d’autres officiers de l’état-major. Au centre du patrimoine de Begin, ils ont ainsi répondu : « Begin a pensé, jusqu’à la dernière minute de sa vie, que l’accord-cadre de paix qu’il a signé, comprenant la paix avec l’Egypte et le plan d’autonomie fut un acquis important pour l’Etat d’Israël. Il est regrettable que des gens ayant joué un important rôle dans le passé suscitent des doutes infondées pour des considérations curieuses ».

Q. Mais tu n’as pas cité le ministre de la défense, Ariel Sharon ?
R. Lorsque Sharon a été nommé ministre de la défense, les plans de la guerre étaient prêts. L’état-major les avaient préparés. En bref, tout était prêt et ils attendaient le prétexte pour la déclencher ».
L’interview de Nabot dans sa maison à Ramat Hasharon fut la seule et unique occasion pour tenter de clarifier ce qui s’est dit le 15 septembre 1982 dans la maison de la famille Gemayel à Bikfaya, non loin de Beyrouth. Les rapports de la presse avaient prétendu que c’est lors de cette rencontre que l’entente s’était élaborée pour conduire un jour plus tard au massacre des camps de Sabra et Chatila. Nabot a participé à la rencontre :
En tant que représentant du Mossad, il a accompagné Ariel Sharon et son ami journaliste Uri Dan, qui volèrent vers la maison de la famille Gemayel pour présenter leurs condoléances au nom d’Israël suite à l’assassinat du fils Bashir, chef des « Forces libanaises », soit les Kataëb chrétiennes. Gemayel fut assassiné le 14 septembre 1982, trois mois et demi après l’invasion du Liban par l’armée israélienne et trois semaines après qu’il ait été élu président du Liban, par l’explosion d’une forte charge explosive au siège des Kataëb.
L’exécutant était chrétien, membre d’un parti libanais pro-syrien, et il semble que ceux qui l’avaient envoyé soient les Renseignements syriens, qui ont tenté d’empêcher l’investiture de Bashir Gemayl à la présidence. Deux jours après l’assassinat, les forces de l’armée israélienne sont entrées à Beyrouth-ouest, alors qu’elles se trouvaient à Beyrouth-est. L’armée israélienne chargea les Kataëb, fondés dans les années 30 par Pierre Gemayel, père de Bashir, influencé par les milices fascistes de Benitto Mussolini en Italie, de nettoyer les camps des combattants palestiniens.
Les combattants des Kataëb pénètrent à Sabra et Chatila le soir du 16 septembre. Ils en sortent au matin du 18 septembre, à la demande de l’armée israélienne. C’est alors que fut dévoilé que les hommes des Kataëb avaient indistinctement égorgé les habitants des camps. Le nombre précis des victimes n’est pas connu. Selon les estimations, près de 700-800 personnes ont été assassinées. Suite au massacre, des centaines de milliers d’Israéliens sont sortis manifester sur la place des rois d’Israël à Tel Aviv (place nommée actuellement place Rabin). Dans l’histoire d’israël, cette manifestation est connue par « manifestation des 400 milles ».
Sous la pression de l’opinion publique et internationale, le gouvernement de Begin décide de nommer une commission d’enquête officielle sur le massacre. La commission dirigée par le juge de la cour suprême, Ishaq Kahane, en février 1983, déclare que l’armée israélienne n’est pas directement impliquée dans le massacre, mais que Sharon est responsable d’avoir écarté le danger que représentaient les Kataëb qui avaient décidé de se venger de l’assassinat de leur dirigeant. C’est ce qui a conduit la commission à conseiller la démission de Sharon qui ne devrait plus occuper le poste de ministre de la défense.
Après la publication du rapport de Kahane, dont certains passages sont demeurés secrets, le Time américain publie un article dont une partie s’appuie sur des informations fournies par le correspondant en Israël  Doudou Halevy au comité de rédaction. Un paragraphe dit que Sharon avait discuté avec les fils de la famille Gemayel à propos de vengeance avant que l’armée israélienne ne fasse entrer les Kataëb dans les camps palestiniens. Sharon a alors porté plainte contre la revue. L’affaire judiciaire qui s’est déroulée à New York s’est terminée deux ans après, sans résultats notables.
Le tribunal décide que le paragraphe en question n’est pas vrai et peut constituer un préjudice à Sharon car il montre que lorsqu’il a ordonné l’entrée des Kataëb dans les camps, il prévoyait que ses membres allaient venger leur chef. Le tribunal décide que le préjudice est grave car l’article indique une conversation ayant eu lieu à Bikfaya, conversation qui fait partie d’une annexe demeurée secrète dans le rapport de la commission Kahane. Le représentant du Time a reconnu, au tribunal, qu’ils n’ont pas eu accès à cette annexe. Malgré cela, le tribunal a innocenté le Time, jugeant que ses buts étaient innocents et qu’il a publié les faits sans intention de nuire et n’avait aucune raison de penser que les renseignements étaient faux. C’est pourquoi la cour américaine a décidé que Sharon ne méritait pas de dédommagements.
Les relations avec l’Iran
Nabot est né en 1931 à Herzelia, d’une famille d’agriculteurs. A 13 ans, il rejoint l’appareil des Renseignements de la Haganah, et il avait pour mission, en tant que jeune, de surveiller les chefs de l’organisation Lehi (Stern) et de découvrir leurs caches secrètes. Lors de la guerre de libération (1948), il avait 16 ans et demi, il rejoint l’armée israélienne. En un laps de temps court, il rejoint l’unité opérationnelle dans les Renseignements, qui est devenu plus tard le Shabak. Son rôle était, là aussi, de découvrir les membres de Lehi et d’Itsel et de les arrêter, après l’assassinat du comte Bernadotte et l’arrimage du navire Altalina chargé d’armes, sur les côtes de Tel Aviv.
Puis il fut chargé de rechercher Ishaq Shamir, l’un des dirigeants de Lehi, dans une maison de la rue Hissin, à Tel Aviv, mais il ne trouva que sa femme Sholamit. Quelques années plus tard, Nabot rencontre Shamir à l’endroit où ils travaillaient ensemble, dans le Mossad. EN 1952, suite aux violentes manifestations des partisans du Herout de Menahim Begin, qui ont essayé d’attaquer la Knesset en protestation aux accords sur les compensations avec l’Allemagne, il fut chargé de la protection personnelle du chef de gouvernement David Ben Gourion. En 1955, Nabot passe du Shabak au Mossad, où il joue un rôle opérationnel dans l’unité Tsomat, en Grande-Bretagne. Puis il est nommé secrétaire de la commission des appareils de Renseignements et le collaborateur personnel du chef du Mossad, Meyer Amit.
Nabot passa la majeure partie des années de son travail dans le cadre du Mossad dans la section Tiefel, responsable de l’action politique clandestine. Cette section avait de nombreuses missions dont les relations avec les Etats arabes et islamiques qui n’ont pas de liens diplomatiques avec Israël, et les relations avec les organisations et mouvements politiques, ainsi qu’avec les appareils similaires dans le monde. Dans ce cadre, Nabot a représenté le Mossad en Iran, à l’époque du Shah, et il a été impliqué en 1972 dans l’émigration clandestine de centaines de juifs d’Iraq qui ont été transférés du Kurdistan vers l’Iran, avec l’aide des Kurdes.
Entre 1974 et 1977, Nabot fut le représentant du Mossad à Washington, et il fut nommé ensuite président de la section d’administration dans le Mossad. Dès 1980, le chef du Mossad Ishaq Houfi le nomme directeur de la section Tiefel à la place de David Kamhi, qui  fut contraint de démissionner du fait de ses opinions différentes de celles de Houfi. Plus tard, Nabot fut élevé au rang du vice-président du Mossad. Nabot avoue à Haaretz que « cela va surprendre beaucoup, mais le Mossad n’a pas tenté de lancer la guerre au Liban, il n’a pas pris l’initiative de cette guerre, mais il s’y est opposé. Il est vrai que David Kimhi a pensé autrement, mais Houfi était hostile à l’idée de s’appuyer sur les chrétiens, comme base de la guerre. Celui qui appelle la guerre du Liban « guerre de l’imposture » commet un grave péché, notamment envers les familles des tués. Il nous faut comprendre les scénarios. Tout était préparé pour la guerre, ils n’attendaient qu’un prétexte pour la déclencher. En fin de compte, il ne faut pas oublier que suite à cette guerre, l’OLP a été chassée du Liban et par conséquent, elle fut obligée de mener des négociations politiques et de signer les accords d’Oslo ».

Q. Qui est-ce qui attendait ?
R. Le premier ministre. Begin a entraîné vers la guerre, car il avait d’énormes difficultés après Camp David. Il avait compris que l’accord sur l’autonomie conduirait à un Etat palestinien. C’est pourquoi il a voulu déclencher la guerre pour frapper l’OLP et supprimer l’Etat à l’intérieur de l’Etat que les Palestiniens avaient instauré au Liban, avec l’espoir que cela se reflèterait sur les territoires et que ne soit pas concrétisée l’idée d’autonomie ».
Q. Il est étrange d’entendre que le Mossad n’ait pas eu de liens avec les décisions ayant entraîné la guerre.
R. Il est évident que le Mossad avait une relation avec le Liban. Nous étions responsables des contacts avec les chrétiens. Ces liens ont commencé selon la vision de Ben Gourion qui a parlé d’un Etat maronite au sud du Liban. Puis s’est développée l’idée de devoir aider les Chrétiens à protéger leur existence.

Q. D’après l’image que tu exposes, il semble qu’Israël était motivé sur le plan moral, et non pour réaliser ce qu’il a considéré comme son intérêt.
R. Il est évident que nous sommes partis du vœu de réaliser nos intérêts politiques et sécuritaires, mais ce qu’il faut comprendre, que le Mossad n’avait aucune influence sur la guerre au Liban. Il était un outil d’exécution. Il n’a pas décidé le pas politique, et il n’est pas un outil pour modifier la politique. Je me souviens que lorsque nous fûmes au courant de la tentative d’assassiner l’ambassadeur à Londres, Shlomo Argov (en juin 1982, tentative après laquelle Israël a déclenché la guerre), je me trouvais au siège du Mossad avec Houfi et le chef de son bureau, Yehyam Mart. Nous nous sommes immédiatement écriés : « la catastrophe ! ils vont déclencher la guerre ».
Q. Précise-moi vos craintes
R. Nous savions que nous ne pouvons pas compter sur les chrétiens. Nous avons toujours pris soin de l’écrire dans toutes les estimations de la situation que nous avons présentées au gouvernement. Nous avons insisté sur le fait que les chrétiens veulent que nous occupions le Liban et que leur approche était que si nous ne le faisions pas, il y aurait une catastrophe. Notre approche était que les chrétiens n’étaient pas une partie militaire sur laquelle nous pouvions compter. Je me souviens aussi qu’une semaine après le début de la guerre, Rafael Eytan m’a regardé de manière hautaine, me disant : « regarde les chrétiens ! Ceux-là dont Houfi a dit qu’ils ne valent rien, regarde comment ils travaillent bien ! »
Q. On a l’impression que tu écartes le Mossad et toi-même, par la même occasion, de la responsabilité de ce qui s’est passé au Liban
R. Je n’écarte aucune responsabilité. Il faut comprendre que le Mossad a fourni tous ses efforts pour assurer une aide à l’armée israélienne pour réaliser ses buts dans la guerre. Ce fut notre rôle : assurer les informations et les renseignements, et maintenir les relations avec les chrétiens. Mais comme je l’ai déjà dit, le Mossad n’est pas une partie indépendante, il travaille selon les directives du gouvernement, pour exécuter sa politique.

Q. N’avez-vous pas établi des liens d’amitié plus que nécessaires avec les chefs chrétiens ? Dans les Renseignements, ils apprennent que le patron ne doit pas aimer son agent, la source de ses renseignements.
R. Je ne peux répondre à la place des autres, mais ni Houfi ni moi-même n’avons été amoureux d’eux. Est-ce qu’il me faut m’excuser parce que j’ai été un bon ami des chrétiens, et que j’ai agi avec eux en tant qu’ami ? C’est précisément le rôle des services de Renseignements, créer des liens et gagner la confiance de la partie adverse. En réalité, mes relations avec Bashir étaient très mauvaises. Il s’est fâché de paroles que j’ai dites à lui et ses collaborateurs, et nous n’avions pas les mêmes opinions. Une fois, j’ai accompagné l’ambassadeur israélien à Washington, Moshe Arens, qui se rendait au Liban. Bashir a refusé de le rencontrer. Il m’a personnellement accusé de tous les moments d’incompréhension qui ont eu lieu.
Un pont vers le monde arabe
Nabot sort une lettre de sa poche, qu’il considère comme sa carte gagnante. Il l’avait déjà envoyée le 18 mai 1981, à Samuel Avitar, représentant du Tiefel au Liban, qui était en relations étroite avec les forces chrétiennes. Cette lettre fut rédigée après les événements à Zahlé, où les chrétiens ont pris l’initiative d’un acte voulant entraîner Israël à déclencher une guerre globale contre les Syriens. Les forces chrétiennes ont attaqué des positions syriennes dans la région de Zahlé au Liban, et les Syriens ont durement riposté. Les chrétiens ont crié que les Syriens ont commis des massacres et qu’ils les ont égorgés. Nabot fut envoyé à Rome où il a rencontré Monseigneur Silverstini, le ministre des AE au Vatican, dans une tentative de l’enrôler pour aider les maronites au Liban.
Nabot insiste que « Israël fait appel au Vatican et à l’opinion internationale, mais contrairement aux attentes des chrétiens, il n’interviendra pas militairement. A cette occasion, je suis allé à Bikfaya et j’ai dit à Bashir et aux chefs chrétiens, y compris à leurs hommes de religion : le principe qui nous guide est que nous sommes prêts à défendre ceux qui se défendent eux-mêmes. Notre politique est d’aider à l’entraînement et à fournir des armes, pour qu’ils se défendent eux-mêmes ».

Q. Qu’as-tu écrit à Samuel Avitar ?
R. Je lui ai écrit, entre autres, que dans les questions décisives, nous n’avons pas, nous le Mossad, ou du moins moi-même, aucune influence. Je lui ai aussi écrit que les chrétiens ne nous disent pas la vérité. Ils ont leurs guerres et nous avons les nôtres, et elles ne se retrouvent pas toujours sur les mêmes lignes. Je lui ai écrit et je cite : « il ne faut pas que nous allions vers l’affrontement avec les Syriens, car dans tous les cas, nous serons les perdants. Nous ne pouvons pas nous permettre de nous retrouver, d’un point de vue national, dans une position où les soldats et les citoyens d’Israël se demandent pourquoi nous nous battons. C’est une tragédie qu’il nous faut éviter ».
Q. Ils diront que dans les faits, tu as agi autrement.
R. Que pouvais-je faire ? Nous avons écrit, nous avons clarifié, mis en garde et joué notre rôle de la meilleure manière qui soit. Que veulent-ils de moi ? Que je saute de mon bureau au Mossad et que je me suicide pour empêcher la guerre ?

Q : qu’en est-il de la responsabilité d’Ariel Sharon ?
R. Sharon a été sincère envers les plans qui étaient en cours et qui  furent préparés par Rafael Eytan, Ben Ghal et l’armée israélienne quand Menahim Begin était premier ministre et ministre de la défense. Cependant, il est vrai que Sharon a pensé que si nous allions en guerre, aussi étendue et non une guerre limitée et courte de durée, nous devons réaliser également un intérêt politique étendu. La contribution de Sharon a été de fournir une dimension politique profonde à la guerre, il voulait, et Pierre Gemayel l’a également dit, installer au Liban un pouvoir allié à Israël. Mais je me rappelle que Pierre Gemayel a répondu à Sharon lors de sa première visite au Liban, en tant que ministre de la défense, en janvier 1982 : « monsieur le ministre, tu ne dois pas oublier que nous devons être un pont vers le monde arabe ».

Q. Est-ce que Sharon a compris ces paroles ?
R. Je ne sais pas. Meyer Amit m’a dit une fois que Sharon est un génie dans la guerre mais un novice en politique. Je me suis rappelé les paroles de Amit lorsque j’ai entendu Pierre Gemayel répondre à Sharon. »
q. Que penses-tu de l’allégation selon laquelle Sharon voulait que la guerre puisse non seulement instaurer un pouvoir allié à Israël au Liban, mais également qui puisse chasser les Palestiniens du Liban pour fonder en Jordanie un Etat palestinien où seraient transférés les Palestiniens de la Cisjordanie ?
R. Je n’ai jamais entendu ces paroles. Il est possible qu’il y ait pensé, mais je ne peux entrer dans la tête de Sharon. Il est vrai que Sharon et Begin ont pensé que la solution de la question des Palestiniens est en Jordanie. Sharon l’a publiquement affirmé, mais Begin n’a rien dit à ce propos. En tant que directeur de la section Tiefel, j’ai reçu des lettres envoyées par le roi Hussayn. Il avait déjà rencontré les chefs d’Israël et il avait demandé à rencontrer Begin pour l’entendre répondre à cette question, qui l’inquiétait beaucoup. Begin a refusé de rencontrer Hussayn tout comme il a refusé de répondre à la question de savoir si la Jordanie était la Palestine. Lorsqu’un membre du Mossad a demandé à Begin la formule de la réponse, Begin a fait semblant de l’ignorer. »

Q. Pourquoi ?
R. J’ai été très admiratif de Begin en tant que chef, et au cours des denrières années, j’ai été très préoccupé et intéressé par la question de la direction et de son impact sur le cours des événements. Comme dans les Renseignements, il en est de même en politique, la dimension personnelle a un poids très important. Begin a ignoré les discours du roi Hussayn et le Mossad, car il était une personnalité intègre, il ne voulait pas mentir au roi Hussayn.
Nous poursuivrons l’aide
Q. Revenons à l’assassinat de Bashir. Décris-moi le cours des événements de ton point de vue.
R. Je me trouvais un jour à Beyrouth. Un de mes agents m’annonce que des rapports parlaient de l’assassinat de Bashir. Je me suis rendu à l’immeuble où a eu lieu l’explosion. Les hommes cherchaient Bashir mais n’avaient pas encore trouvé son cadavre. J’ai rencontré Zahi Boustani, le conseiller de Bashir, qui m’a dit qu’ils n’ont pas trouvé le cadavre. Il me demande sérieusement : « est-ce que vous avez volé le corps ? » Ensuite, je suis allé avec sa femme à l’hôpital et nous avons reconnu le corps. J’ai glissé sur les escaliers de l’hôpital et me suis fait un peu mal. Le jour suivant, sont arrivés Sharon, ses hommes et parmi eux, son journaliste particulier ».

Q. Tu parles d’Uri Dan ?
R. Oui, je les ai accompagnés, avec les chefs des Kataëb, à Qarantina, la base militaire des Kataëb dans le port de Beyrouth. Au cours de la rencontre, autant que je m’en souvienne, Sharon a parlé sur la gravité de la situation et sur la nécessité d’agir, et que nous sommes prêts à poursuivre à leur fournir l’aide.

Q. N’as-tu pas entendu aucun appel à la vengeance ?
R. Non, absolument. Après la rencontre, nous sommes allés à Bikfaya, pour rencontrer la famille Gemayel. Autant que je m’en souvienne, il y avait le père, Pierre, la sœur de Bashir, qui était une religieuse, mais aussi plusieurs membres de la famille, des amis et des collaborateurs. Sharon et ses journalistes sont entrés et moi, je me suis réuni avec Pierre. Cette rencontre était une visite de condoléances ordinaire. Les paroles qui  furent dites étaient ce qui se dit normalement à cette occasion. Il est évident que le moment était dur, et qu’il y avait la sensation qu’un événement, grand épouvantable, était arrivé. Sharon a parlé, et je me suis tu, alors que le journaliste a enregistré les paroles. A un moment, je me suis mis en colère contre lui, et je lui ai dit qu’il fallait cesser d’enregistrer. Mais il a poursuivi et plus tard, il m’a critiqué, car je lui avais adressé ces remarques. Sharon a également parlé de ce qu’il fallait faire, et la question du pouvoir a été suscitée. Il a dit que nous allions poursuivre à leur apporter de l’aide.

Q. Tu n’as entendu aucune parole sur la vengeance ?
R. Non. Après la rencontre, Sharon est retourné en Israël et je suis resté à Beyrouth, et le jour suivant, ce fut le cortège funèbre, je me trouvais à côté de Pierre.

Q. La leçon que tu en tires ?
Au Liban, le problème d’Israël va se poursuivre, et en réalité, au Moyen-Orient, ce sont les intérêts changeants et non les sentiments qui font la réalité.



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