Mlita: entre terre et ciel, la mémoire de la Résistance
L'Orient le Jour
Par Scarlett HADDAD
Reportage
À plus de mille mètres d'altitude, dans un site extraordinaire, adossé à la montagne mais surplombant la côte, avec la mer pour horizon, Mlita expose son nouveau complexe dédié à la Résistance. Inauguré vendredi 21 mai par un discours du secrétaire général du Hezbollah, ce complexe vise à maintenir vivante la mémoire de la Résistance, sur les lieux mêmes où les jeunes combattants creusaient, dans les années 80 et 90, les grottes à l'intérieur de la montagne et gravissaient à pied, leurs roquettes sur le dos, les versants pour effectuer des opérations contre les positions israéliennes et celles de l'ALS toutes proches.
On aurait pu s'attendre à une construction pompeuse et arrogante aux couleurs vives, et c'est un véritable complexe qui se fond dans le paysage vert et gris qui s'offre aux yeux des visiteurs.
L'idée directrice du projet est venue de Imad Moghniyé, mais elle a été exécutée après sa mort par un jeune architecte du Hezbollah qui en a étudié les moindres détails d'abord pour faire vrai et ensuite pour multiplier la symbolique et les messages lancés dans toutes les directions. L'objectif est de raconter la Résistance à travers ses débuts difficiles et presque artisanaux jusqu'à la libération de 2000 et l'apogée de 2006. De la place principale, le parcours commence par une longue escalade par les sentiers de montagne, jalonnée de lance- roquettes de tout genre, de matériel logistique et même de brancards disséminés dans les broussailles, avec de temps en temps des bouquets de fleurs pour marquer le lieu où un combattant a été tué. Il y a même une tombe toute prête, creusée par un combattant qui est toujours en vie, et elle a été laissée telle quelle. Le clou de ce passage est la grotte creusée par les combattants en plein dans la roche, avec des murs renforcés, une salle pour dormir, une autre pour le commandement où les émetteurs débitent en permanence leur « musique de fond », et des équipements poussiéreux rangés le long des murs. Le visiteur a vraiment le sentiment de se trouver au cœur de l'action, tant tous les détails sont étudiés pour donner une impression de réalité. Après la grotte, c'est le bunker avec son arme au bout qui perce à travers la lucarne laissée par le béton et les sacs de sable.
Le parcours se poursuit à travers la montagne le long de ce qui est appelé « la ligne de feu », pour aboutir à l'espace de la liberté, qui consiste en une sorte d'esplanade à la vue imprenable, où un extrait du discours du secrétaire général Hassan Nasrallah prononcé à Bint Jbeil le 25 mai 2000 est exposé, ainsi qu'un autre datant de 2006, dans lequel Nasrallah demande aux habitants du Sud de tenir car « la victoire est au bout de l'épreuve ».
Dans ce projet, où même les roches basaltiques ont été apportées pour se fondre dans le paysage gris et vert, chaque lieu a une symbolique particulière et le tout a une certaine cohérence. Au fond de la vallée, il y a le cimetière des blindés et des armes israéliennes, savamment disposés pour se fondre dans la roche, au milieu c'est le parcours du combattant, jalonné d'épreuves et de passages dangereux, et au sommet, c'est la place de la Victoire, tout près du ciel. Entre ces points, il y a une salle d'exposition, où le Hezbollah détaille ses butins de guerre ainsi que des informations sur la structure de l'armée israélienne, ses dernières modifications avec une mise à jour régulière et ses banques de données. Le tour se termine par une carte d'Israël avec les cibles que peuvent atteindre les armes du Hezbollah et qui atteignent le sud de l'État hébreu... Parmi les armes exposées tout le long du parcours, il n'y a pas de Scud, mais des spécimens de tout l'arsenal qui a servi pendant la guerre de 2006, notamment les missiles antichars et anti-forces navales. À la question de savoir pourquoi le Hezbollah expose ainsi ses équipements et son mode de fonctionnement à travers les grottes souterraines et s'il ne craint pas de donner des indications aux Israéliens, les cadres du parti répondent dans un sourire : « Tout cela est dépassé, nous avons désormais d'autres moyens et d'autres techniques... »
Jusqu'à présent, le projet a coûté 4 millions de dollars, mais seule la première étape a été achevée. La deuxième consiste dans la construction d'un téléphérique qui relierait Mlita à Sojoud, et la troisième sera consacrée à l'édification d'un complexe hôtelier avec restaurants et piscines, bref un lieu unique en son genre au Moyen-Orient. Car le Hezbollah souhaite faire de cet espace dédié à la mémoire un but de pèlerinage festif, pour bien montrer que Résistance et joie vont de pair et que même si le martyre fait partie de ses croyances, la vie reste un bien très précieux dont il faut profiter.