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La France et la Cour pénale internationale : je t’aime, moi non plus

La France et la Cour pénale internationale : je t’aime, moi non plus
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La proposition de loi Sueur, qui vise à mieux réprimer les crimes internationaux, a reçu un accueil mitigé. La France craint des incidents diplomatiques.


"Les principaux tortionnaires du monde ne sont pas tous aussi imprudents que Jean-Pierre Bemba (ancien homme politique congolais, NDLR). Ils ne viennent pas se balader en Europe alors qu'un mandat d'arrêt international pèse sur leur tête", lâche Julian Fernandez, professeur de droit à Lille 2. Et pourtant. Ex-dictateurs, bourreaux et génocidaires coulent parfois des jours paisibles dans l'Hexagone sans même être inquiétés. Car, en la matière, la France patine. Fin février sera débattue au Sénat la proposition de loi Sueur, qui vise à poursuivre plus facilement les crimes commis à l'étranger par des étrangers. Les réticences sont nombreuses et les risques bien réels. La France ne veut pas s'ériger en "justicier international". Surtout, elle craint des incidents diplomatiques.

La France et la Cour pénale internationale : je t’aime, moi non plus
Les possibilités, en France, de faire comparaître devant un tribunal les auteurs de crimes de guerre, de crimes contre l'humanité ou de génocides sont très limitées. La faute, d'abord, à une "coopération ambiguë" des autorités françaises avec la Cour pénale internationale (CPI), explique Julian Fernandez. Si, sur le devant de la scène, la patrie des droits de l'homme se montre très volontariste, elle l'est beaucoup moins en coulisses. Ainsi, le droit pénal français n'est adapté aux statuts de la CPI qu'en 2010, soit huit longues années après la ratification des statuts. Et elle le fait d'une manière minimaliste - à reculons, disent même certains - en instaurant "quatre verrous" très décriés.

La France, une terre accueillante ?

Pour que la France puisse juger l'auteur d'un crime international, ce dernier doit avoir sa "résidence habituelle" sur le territoire français. Une condition qui exclut tous les criminels "de passage". Et la France est une terre accueillante. Fut un temps où les hiérarques africains étaient nombreux à s'y presser pour profiter discrètement d'un luxueux appartement du 16e arrondissement de Paris. La proposition de loi Sueur suggère de pouvoir poursuivre un étranger simplement s'il "se trouve" sur le territoire français. Une avancée "applaudie des deux mains" par Simon Foreman, président de la Coalition française pour la CPI, qui fédère une quarantaine d'associations.

Mais le "verrou" le plus dénigré (et qui ne changera certainement pas) reste le monopole des poursuites détenu par le parquet. Concrètement, en matière de crimes internationaux, seul le ministère public a le pouvoir de décider s'il convient de poursuivre ou non un individu. Problème : dans l'attente d'une réforme sur l'indépendance, "le parquet dépend du pouvoir politique", s'agace Patrick Baudouin, avocat pénaliste et président d'honneur de la Fédération internationale des droits de l'homme (FIDH). "Et d'expérience on sait que le parquet ne poursuit jamais ce type d'affaires", renchérit Simon Foreman. Ce monopole du parquet n'existe pas pour les actes de torture commis à l'étranger, ni même pour les simples vols commis en France. Dans ces cas, les victimes peuvent contourner une éventuelle inertie du parquet en portant plainte et en se constituant partie civile.

Crainte de représailles diplomatiques


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Jean-Pierre Sueur, dans sa proposition de loi, a voulu mettre fin à ce monopole. Mais un amendement allant dans le sens contraire a finalement été adopté mercredi par la commission des Lois. L'État, dont les magistrats spécialisés du pôle "crimes de guerre et crimes contre l'humanité", craint une augmentation de plaintes infondées qui nuiraient à leur travail. Pour Clémence Bectarte, avocate de la FIDH, "l'État craint surtout des représailles diplomatiques". Et les risques sont bien réels. Le cas de la Belgique, à la fin des années 1990, est emblématique. Les juridictions belges avaient tenté de poursuivre Ariel Sharon, ex-ministre israélien de la Défense, pour son implication dans les massacres des camps de Sabra et Chatila au Liban en 1982. L'entité sioniste avait aussitôt rappelé son ambassadeur à Bruxelles et les tensions entre les deux pays s'étaient accrues.

La France craint de se brouiller avec certaines puissances étrangères. D'autant plus que la proposition de loi Sueur prévoit de pouvoir poursuivre des crimes internationaux commis dans des pays qui ne sont pas membres de la CPI. Et ils sont nombreux : la Chine, la Russie, l'Iran, mais surtout la Syrie. Les auteurs de crimes de guerre en Tchétchénie, au Tibet ou à Damas qui viendraient séjourner sur le territoire hexagonal pourraient être visés. De quoi donner du fil à retordre au Quai d'Orsay et à la diplomatie française. Les débats sont annoncés au Sénat le 26 février.

Source: Le Point, édité par moqawama.org

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