Nagib Mikati surprend aussi bien ses alliés que ses adversaires
Mais Mikati a montré qu’il avait plus d’un tour dans son sac et qu’il sait manœuvrer habilement, sentant la direction du vent avant même qu’il ne souffle. Il a pourtant, de son propre aveu, hésité sérieusement une seule fois après l’assassinat du général Wissam el-Hassan, lorsqu’il a eu le sentiment que la situation échappait réellement à tout contrôle et lorsque le camp adverse a voulu lui faire assumer la responsabilité de cet assassinat. Il a alors rédigé sa lettre de démission, avant de se rendre à Aïn el-Tiné pour en discuter avec le président de la Chambre Nabih Berry. Ce dernier l’a reçu, comme il l’a confié lui-même, «en ami». Berry n’était pas favorable à la démission, même s’il comprenait le dilemme que vivait Mikati. Berry a invité le ministre des Travaux publics et des Transports Ghazi Aridi à assister à la réunion et ce dernier n’était pas non plus favorable à la démission. Mais Mikati était déterminé à quitter le Sérail. Ce n’est qu’après avoir reçu un coup de fil du Premier ministre britannique le soir même qu’il a commencé à revoir sa décision.
Le lendemain, très tôt, trois émissaires de Walid Joumblatt sont venus chez lui pour lui demander de renoncer à présenter sa démission. En même temps, les ambassadeurs des cinq pays membres permanents du Conseil de sécurité se sont rendus au palais de Baabda pour affirmer leur soutien à la stabilité du Liban et leur refus de toute vacance au sein du pouvoir. Mikati venait donc de bénéficier d’un large appui international inattendu et déterminant. Comme il pèse bien toutes ses décisions, il a estimé qu’en partant, il ferait le jeu du courant du Futur, sans pour autant rentrer dans ses bonnes grâces, et de plus, il aurait le 8 Mars sur le dos ainsi que la communauté internationale. Il a donc décidé de revenir sur sa démission, et surtout d’être désormais plus offensif et plus cassant avec ses adversaires.
S’il est vrai qu’il continue à ne pas bénéficier de l’appui des dirigeants saoudiens, puisqu’il s’est rendu, depuis sa désignation à la tête du gouvernement, quatre fois en Arabie saoudite sans être reçu par le roi et sans obtenir la bénédiction des autorités saoudiennes, il a en tout cas l’appui de la communauté internationale qui répète chaque jour son attachement à la stabilité du Liban. Il bénéficie aussi désormais de l’appui de Dar el-Fatwa, puisque le mufti Kabbani soutient ouvertement le gouvernement, alors qu’à Tripoli, il a réussi à semer la confusion entre les groupes extrémistes et le courant du Futur, mettant en avant leurs divergences. Il a même réussi à obtenir l’appui déclaré du père du général Wissam el-Hassan, privant ses adversaires du slogan selon lequel il serait responsable de la mort de ce dernier, tout en gardant des relations respectueuses avec le général Achraf Rifi.
À sa manière discrète et patiente, Mikati a donc réussi au fil des mois à dénouer les nœuds les plus inextricables posés sur son chemin, convaincant les parties d’abord méfiantes à son égard de sa bonne foi. Il a même réussi à garder de bonnes relations avec les différentes composantes du 8 Mars, dont le général Michel Aoun qui, au départ, ne lui était pas trop favorable, sans même répondre à leurs exigences mais en sachant que sa présence reste indispensable pour maintenir un minimum de stabilité dans le pays. Aujourd’hui, sa présence à la tête du gouvernement est devenue synonyme de sécurité et toutes les tentatives de ses adversaires de montrer qu’avec ce gouvernement l’instabilité règne n’ont abouti à aucun résultat concret. Selon ses proches, Mikati constate d’ailleurs que ses adversaires se sont retournés contre leurs propres slogans, en occupant les places publiques et en cherchant à prendre d’assaut le Sérail. Il est aujourd’hui plus confiant dans l’avenir qu’il ne l’était auparavant, prenant même le soin d’annoncer qu’il ne renoncera pas à présenter sa candidature aux élections, sûr désormais de l’appui d’une partie non négligeable des électeurs de sa ville, Tripoli. Il a aussi imposé la politique officielle de dissociation à l’égard de la Syrie, lançant avec le président Michel Sleiman, Walid Joumblatt et, par certains côtés, Nabih Berry un centrisme à la libanaise qui pourrait prendre de l’ampleur au cours des prochains mois. À la tête du gouvernement pendant l’une des périodes les plus difficiles de la vie du Liban (et de la Syrie), il a gardé le cap, surprenant autant ses adversaires que ses alliés par sa ténacité, son habileté et sa détermination. Il a ainsi constitué la surprise de cette année souvent désespérante...
Source: L'Orient Le Jour, par: Scarlett HADDAD