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François Hollande bientôt en Algérie: pour une reconnaissance des méfaits de la colonisation

François Hollande bientôt en Algérie: pour une reconnaissance des méfaits de la colonisation
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Dans quelques jours s'éteindra le cinquantenaire de l'indépendance de l'Algérie et l'un des enjeux de la visite d'Etat qu'effectue François Hollande en Algérie les 19 et 20 décembre est celui de la mémoire.

Cinquante ans après la fin de la guerre d'Algérie, et malgré l'immense travail des historiens et une mémoire officielle qui a fini par se délier, le souvenir de la colonisation continue de hanter la psyché nationale et n'en finit pas de détériorer la relation entre la France et l'Algérie. En février 2005, une majorité de parlementaires (UMP) voulut graver dans le marbre de la loi l'idée selon laquelle la colonisation eut aussi un «rôle positif», comme purent par exemple en témoigner les routes, écoles et hôpitaux que la France laissa en Algérie. Ce texte, finalement abrogé par un décret du président de la République en 2006, illustre la conception d'une colonisation bienfaitrice, voire légitime, qu'une grosse poignée de nostalgiques de l'Algérie française, anciens ministres pour certains, entretiennent encore dans le débat public. Outre que cette idée d'une colonisation vertueuse est historiquement fausse, elle est aussi moralement scandaleuse.

La colonisation, c'est-à-dire le fait de prendre par la force le territoire de l'autre pour s'y installer et le dominer, fut et continue d'être, aujourd'hui et partout, la négation de toute valeur d'humanité et de progrès. Le système politique, juridique et administratif qui en résulte est le produit d'un rapport de force qui porte en germe une logique d'asservissement. Et fondé sur l'idée que certains seraient culturellement supérieurs à d'autres et devraient, ainsi, leur apporter la civilisation dont ils seraient privés, le principe colonial implique un apartheid raciste.

En Algérie, cette ségrégation fut institutionnalisée et, vue depuis la métropole, dissimulée dans une ornière juridique afin de la minimiser, voire feindre de l'ignorer. Car dans ce qui était alors des départements français, l'inégalité entre «Européens» et «indigènes» s'exerçait dans tous les domaines : en matière d'impôts, de justice, de service militaire, d'accès à la fonction publique et à l'enseignement, de rémunération, etc. Et ces fameuses routes, écoles et hôpitaux que la France a construits là-bas et qu'une majorité de parlementaires, en 2005, prirent comme des « bienfaits » de la colonisation, le furent pour le seul usage des colons, non pour les colonisés qui en étaient exclus. Le statut de l'indigène était en tous points subordonné à celui de l'Européen : privé de la citoyenneté et doté de droits civiques réduits, il possédait une nationalité vide de tout, assortie d'une mention - Français musulman - qui servait à imprimer son infériorité. Considérer le «rôle positif» de ce système, pour tous ceux qui l'ont connu, subi ou étudié, relève de la provocation.

En même temps, pour l'Algérie, et bien qu'essentielle pour construire la nation aux lendemains d'une guerre fratricide, la mémoire de la guerre d'indépendance ne peut à elle seule tenir aujourd'hui encore lieu de politique. On ne gouverne pas avec des fantômes. Le régime algérien, certes pris dans le tumulte d'un «printemps arabe» qui rappelle à bien des égards celui qui a accouché de la guerre civile au tournant des années 90, doit se réformer, s'ouvrir et s'adapter. Cinquante ans après 1962 et la conquête de la liberté, c'est maintenant une véritable démocratie qu'il est urgent de bâtir.

La relation franco-algérienne, capitale pour les deux pays, exige un nouveau souffle. Cette relation doit être spéciale, différente de toutes les autres relations bilatérales, parce que l'Algérie, ce fut la France pendant 132 ans et parce que les enfants et les petits-enfants issus de l'immigration algérienne - entre 2 et 4 millions de personnes tout de même - sont le produit complexe de cette histoire tourmentée. Lors de la dernière élection présidentielle, ceux-là ont d'ailleurs, cette fois encore, massivement accordé leur soutien à la gauche et au Parti Socialiste, tant par rejet de Nicolas Sarkozy que par sympathie pour un candidat, aujourd'hui président, qui s'est toujours exprimé avec sympathie sur l'Algérie et l'immigration.

Ces Français d'origine algérienne attendent aujourd'hui un geste fort de sa part tandis que, de l'autre côté, les Algériens espèrent eux aussi un geste fort d'une France qu'ils aiment et dont ils ont déploré qu'elle se soit autant, ces dernières années, détournée d'eux. Et dans les deux pays, ce sont les nouvelles générations qui aspirent le plus à un avenir partagé et apaisé.

L'apaisement, dans ces circonstances, est aussi une affaire de justice. Et ce geste de justice que beaucoup attendent n'a rien à voir avec ce que l'on appelle la «repentance». Les jeunes Français et Algériens qui portent quelque part en eux un fragment de cette histoire ne demandent ni excuses ni regrets. Une «repentance» ne servirait qu'à raviver d'anciennes plaies et ce n'est sûrement pas ainsi que la mémoire du passé peut servir l'avenir. Ce cinquantenaire de l'indépendance algérienne ne doit pas être l'occasion d'une nouvelle déchirure, mais au contraire la matrice d'une réconciliation, et d'abord pour les jeunes générations des deux rives de la Méditerranée. Or cette réconciliation ne commande qu'une seule chose pour qu'il n'y ait plus aucun malentendu : la fin du mensonge d'Etat ; la simple reconnaissance des faits.

Le 16 juillet 1995, au Vélodrome d'hiver, le Président Chirac rompit pour la première fois le silence officiel en reconnaissant avec force la responsabilité de l'Etat français dans les crimes commis contre les Juifs durant la période de l'Occupation. Cela a constitué une rupture capitale dans la manière dont la France affronte et assume son histoire. Dans le sillage de Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy et François Hollande sont restés sur la même position. Le 17 octobre dernier, François Hollande reconnut enfin, au nom de la République et dans un sobre communiqué, les faits survenus le 17 octobre 1961, à savoir le massacre de gens lors d'une manifestation pacifique.

Ce premier pas doit en inaugurer d'autres. Cinquante ans après la fin d'un système colonial conçu et appliqué au sein d'une République qui, comme à l'envers d'elle-même, s'en est trouvée dévoyée, la reconnaissance officielle des méfaits de la colonisation, du projet colonial autant que de ses développements, honorerait notre pays, ses valeurs et ses idéaux, autant qu'elle mettrait sans aucun doute un terme à l'acrimonie qui pollue les relations politiques entre les deux pays.

Source: Le Huffington Post, par: Karim Amellal

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