Les leçons des incidents du Liban-Nord
Quels que soient les arrière-pensées et les objectifs cachés des derniers affrontements à Tripoli, ils aboutissent inévitablement à un même constat : il n’y a pas de meilleure solution pour faire régner le calme et rassurer les habitants que le déploiement de l’armée. Les Tripolitains en ont ainsi fait l’amère expérience au cours des derniers jours.
Depuis des mois, des figures en vue dans la ville et ses environs n’ont cessé d’attaquer l’armée libanaise dans le but de la présenter comme une institution hostile aux citoyens, voire à une communauté. Plus encore, lorsque l’armée libanaise avait arraisonné le navire Loutfallah 2 qui transportait des armes, des groupes proches de la mouvance salafiste avaient organisé un sit-in de protestation à Abdé et régulièrement la presse se faisait l’écho des appels de certains députés du Nord aux soldats originaires de la région pour quitter l’armée. Bref, une campagne en bonne et due forme était menée contre la troupe.
Une source sécuritaire précise qu’il s’agissait au fond de pousser les soldats à se retirer du Nord pour laisser cette zone à la merci des salafistes et des alliés de l’opposition syrienne. La région deviendrait ainsi en quelque sorte la fameuse base arrière et zone tampon que les autorités protectrices de l’opposition syrienne avaient tenté de créer tantôt en Turquie, tantôt en Jordanie. L’arrestation de Chadi Mawlaoui par des éléments de la Sûreté générale samedi dernier a servi de prétexte pour la réalisation de ce plan. À ce sujet, il faut rappeler que les critiques adressées à cet égard à la Sûreté générale ne sont pas justifiées, selon la source sécuritaire, qui précise que pour pouvoir arrêter les individus proches de la mouvance islamiste, il faut d’abord réussir à les mettre en confiance, car ces personnes portent en général sur elles des ceintures d’explosifs qu’elles peuvent faire exploser lorsqu’elles flairent le piège. D’où l’idée d’attirer Mawlaoui dans le bureau d’une association de bienfaisance en lui faisant croire qu’il allait bénéficier d’une aide sociale. La source sécuritaire ajoute que ces méthodes sont courantes dans les milieux des services de sécurité.
Toujours est-il que les courants islamistes et salafistes ont profité de cette arrestation pour mobiliser la rue de Tripoli contre l’armée et les services de sécurité, dans une tentative de saper leur autorité dans la région en prélude à leur retrait effectif, tout en gardant sur place une présence symbolique. S’il n’y avait pas eu l’arrestation de Chadi Mawlaoui, les groupes islamistes auraient sans doute trouvé un autre prétexte car ils jugeaient que l’heure était arrivée pour exécuter leur plan et que la rue était prête à une mobilisation totale en faveur de l’opposition syrienne et contre l’armée considérée comme l’alliée du régime d’Assad.
Mais le plan n’a pas fonctionné comme prévu. L’armée qui avait commencé à se déployer dans les zones des combats s’est retirée après avoir essuyé des tirs qui ont fait un mort parmi les soldats. Et contrairement aux souhaits des groupes islamistes, des combats ont éclaté entre Jabal Mohsen et Bab el-Tebbaneh et se sont même étendus à d’autres quartiers, faisant de nombreuses victimes et paralysant totalement la ville de Tripoli. Selon de nombreux témoins, les habitants de la ville ont ainsi passé trois jours terrés chez eux ou dans les abris, alors que le désordre total régnait dans les rues. Les Tripolitains, toutes tendances confondues, ont alors appelé l’armée à prendre en charge le contrôle de la ville et sont même allés jusqu’à réclamer une action urgente et à déplorer le retard dans l’exécution du plan de déploiement. C’est dire que ni la ville ni les groupes islamistes ne sont prêts à se passer des forces légales.
S’il faut donc tirer une leçon des derniers événements de Tripoli, c’est que l’heure de couper le Nord du reste du Liban pour en faire une base entièrement contrôlée par l’opposition syrienne et ses appuis libanais n’est pas encore arrivée.
Le commandement du courant du Futur l’a d’ailleurs bien compris puisqu’il n’a cessé, contrairement aux députés de la région qui restent théoriquement sous sa bannière, d’appeler au calme et au retrait des miliciens. En réalité, ce commandement qui s’était entretenu avec le secrétaire d’État adjoint américain au cours de sa dernière visite à Beyrouth avait entendu ce dernier se prononcer en faveur du maintien de la stabilité au Liban. Autrement dit, si les Libanais veulent créer une zone de sécurité au Nord, proche de l’opposition syrienne, ils doivent le faire sans mettre en cause le calme dans le pays et en maintenant en place l’actuel gouvernement, qui est en grande partie garant de cette stabilité. Tout en restant soucieux de ménager les groupes islamistes, le commandement du courant du Futur a dû aussi tenir compte des rapports de force sur le terrain qui ne permettent pas à ces groupes de contrôler la situation.
D’où la nécessité de faire appel à l’armée. Le calme n’est certes pas encore totalement revenu, et il y aura encore probablement des échauffourées, mais les habitants de la ville ont fait leur choix : ils veulent avant tout la paix et rejettent tout genre d’affrontements internes. Les derniers incidents ont ainsi été un test pour toutes les parties en présence et, selon la source de sécurité précitée, il ne s’agissait pas d’un accident de parcours, mais bel et bien d’un plan qui a buté sur la complexité de la situation et des composantes du tissu tripolitain...
Source : Lorientlejour