Karachi, Bettencourt, Kadhafi : le citoyen Sarkozy sur la sellette
Pour Nicolas Sarkozy, la perspective est particulièrement désagréable : lui qui avait tant tenu à marquer sa différence avec un Jacques Chirac cerné par les juges risque à son tour, une fois son immunité présidentielle arrivée à son terme - un mois après la fin de son mandat, soit le 15 juin à minuit -, d'être convoqué par des magistrats. Redevenu justiciable ordinaire, M. Sarkozy s'expose en effet, dans les procédures où son nom est cité, à des convocations auxquelles il aurait à répondre en qualité de témoin, de témoin assisté, voire de mis en examen.
Amis de longue date du président, Thierry Gaubert et Nicolas Bazire sont quant à eux mis en examen dans le volet financier de l'affaire de l'attentat de Karachi - dont on commémore le dixième anniversaire, mardi 8 mai. Quant à Eric Woerth, il a subi le même sort dans le cadre de l'affaire Bettencourt. Ces deux derniers dossiers sont ceux dans lesquels M. Sarkozy ne devrait a priori pas échapper à une convocation.
■ L'affaire Bettencourt, la plus menaçante à court terme
Dans le volet politique du dossier Bettencourt, instruit à Bordeaux, le président sortant est soupçonné d'avoir été financé illégalement par le couple de milliardaires lors de sa campagne présidentielle de 2007. L'ancienne comptable des Bettencourt, Claire Thibout, a déclaré avoir remis à Patrice de Maistre, alors gestionnaire de fortune, 50000 euros en espèces. Une somme, à en croire Mme Thibout, destinée à Eric Woerth, trésorier de la campagne de M. Sarkozy.
Dans le même dossier, le chef de l'Etat est, plus directement, accusé d'être venu chercher - comme d'autres hommes politiques - de l'argent liquide au domicile de Liliane et André Bettencourt.
La juge de Nanterre Isabelle Prévost-Desprez, relatant les dessous du supplément d'information qu'elle eut à conduire, a provoqué un tollé en révélant en août 2011 dans le livre Sarko m'a tuer (éd. Stock) qu'un témoin avait confié à sa greffière: "J'ai vu des remises d'espèces à Sarkozy, mais je ne pouvais pas le dire sur procès-verbal." Ses déclarations fracassantes lui ont valu d'être dessaisie du volet "abus de faiblesse" du dossier et une convocation dans le bureau du juge bordelais Jean-Michel Gentil, qui gère désormais les différents aspects de l'affaire.
Le magistrat, qui souhaiterait boucler rapidement son dossier, ne pourra faire l'économie d'une audition de M.Sarkozy, d'autant que d'autres témoignages ou documents ont également évoqué d'éventuelles remises de fonds au profit de l'ancien maire de Neuilly.
Dans une ordonnance du 22 mars, le juge Gentil écrit d'ailleurs, à propos de retraits d'espèces suspects de février et avril 2007 : "Il convient de noter que des témoins attestent d'une visite du ministre de l'intérieur, Nicolas Sarkozy, au domicile des Bettencourt pendant la campagne électorale de 2007, que des investigations sont donc nécessaires s'agissant de ces premières remises de 2007."
■L'affaire de Karachi, l'ombre du président sortant
Dans l'affaire de Karachi, le juge Renaud Van Ruymbeke qui instruit le volet financier de l'affaire, attend avec impatience les explications de l'actuel chef de l'Etat. Si pour le moment le magistrat n'a pas réuni à l'encontre de l'ancien maire de Neuilly suffisamment d'éléments justifiant une éventuelle mise en examen, son ombre plane sur cette sombre histoire de vente d'armes.
Le juge semble considérer que les contrats Agosta (la vente de sous-marins au Pakistan) et Sawari II (la cession de frégates à l'Arabie saoudite), conclus en 1994, pourraient avoir donné lieu au versement de rétrocommissions au profit de la campagne présidentielle du premier ministre Edouard Balladur, en 1995. Or, à cette époque, M. Sarkozy était non seulement un acteur de premier plan de la campagne, dont il était le porte-parole, mais il était surtout ministre du budget - qui joue un rôle clé dans les contrats d'armement.
A ce titre, il a notamment validé la création d'une société au Luxembourg, Heine, par où ont transité des commissions suspectes. En janvier2010, la police luxembourgeoise a conclu que les accords sur la création de Heine "semblaient venir directement de M. le premier ministre Balladur et de M. le ministre des finances Nicolas Sarkozy".
Par ailleurs, l'enquête a confirmé la très grande proximité de l'intermédiaire Ziad Takieddine, au cœur des soupçons de redistribution occulte d'argent, avec l'entourage de M. Sarkozy, Claude Guéant, Jean-François Copé et Brice Hortefeux notamment.
Source : LE MONDE