Quand Américains et Iraniens se disputent la scène libanaise...
Le hasard (mais en est-ce bien un ? ) fait étrangement les choses. Dès que le secrétaire d’État adjoint américain annonce une visite au Liban, un responsable iranien prend aussitôt le chemin de Beyrouth et ces doubles visites résument à elles seules la situation du pays tiraillé entre deux courants hostiles et divisé entre partisans des États-Unis et partisans de l’axe dit de la Résistance. Le Liban est sans doute le seul pays au monde à faire l’objet d’un tel tiraillement...
Le chef des Forces libanaises a, quant à lui, préféré déclarer à l’issue de son entretien avec Jeffrey Feltman que les sujets abordés étaient essentiellement régionaux. Toutefois, avec le président de la Chambre Nabih Berry, l’entretien a surtout porté sur les droits du Liban à l’exploitation de ses gisements gaziers et à la préservation de sa zone économique exclusive. Quant au président Michel Sleiman, il doit le rencontrer ce matin, alors qu’il avait refusé de le recevoir au cours de sa précédente visite.
La visite de Jeffrey Feltman est donc importante à la fois par son timing et par son contenu, alors que toutes les parties libanaises commencent déjà à préparer les élections législatives et à un moment où la situation en Syrie s’impose de plus en plus à l’actualité libanaise. Incidents à la frontière, arrivée de réfugiés, manifestations pro et antirégime, informations sur un trafic d’armes présumé et arraisonnement par l’armée libanaise d’un navire transportant des armes sur fond de polémique interne sur la situation en Syrie... La stabilité interne semble plus que jamais tributaire des événements en Syrie. Tout en affirmant comprendre la position du gouvernement libanais de rester à l’écart des développements syriens, et tout en insistant sur la nécessité de préserver la stabilité du pays, les visiteurs américains poussent vers plus d’intervention sous couvert d’aide humanitaire aux réfugiés, croient savoir certaines sources de l’opposition. Pour le 8 Mars, les États-Unis souhaiteraient que le Liban crée des camps pour les réfugiés syriens sur son territoire afin d’accorder une plus grande liberté d’action à l’opposition syrienne après l’échec des tentatives de créer des zones tampon aux frontières jordanienne et turque. Pour le 14 Mars, au contraire, il ne s’agit que d’une aide élémentaire à un peuple frère qui souffre et qui aspire à la liberté. Mais chacun des deux camps a surtout en tête l’impact des développements en Syrie sur les prochaines élections législatives. À cet égard, les personnalités du 14 Mars souhaitent obtenir des assurances américaines sur la volonté des États-Unis d’en finir avec le régime syrien alors que de plus en plus de rumeurs circulent sur un éventuel gel de cette position en attendant l’élection présidentielle américaine. Sur ce plan, la position de Jeffrey Feltman a été claire : la chute du régime syrien n’est plus qu’une question de temps.
De leur côté, les Iraniens souhaitent rappeler aux Libanais et aux Américains qu’ils continuent à avoir une place de choix sur l’échiquier local et que, par conséquent, Washington ne peut pas faire ce qu’il veut au Liban.
Pour la seconde fois en tout cas, la visite du secrétaire d’État adjoint américain au Liban Jeffrey Feltman s’est accompagnée de l’arrivée à Beyrouth du premier vice-président iranien Mohammad Reda Rahimi, à la tête d’une importante délégation de responsables de ce pays. Si la visite de la délégation iranienne est en principe destinée à la relance des accords économiques déjà signés entre les deux pays et à la pose de la première pierre pour la construction d’un complexe éducatif et culturel à Beyrouth, celle du responsable américain n’a aucun titre officiel. Elle intervient toutefois à une période particulièrement confuse, notamment en Syrie, alors que le Liban semble s’impliquer chaque jour un peu plus dans le dossier syrien, en dépit de la position officielle qui cherche à rester neutre. Des sources diplomatiques locales affirment à ce sujet que les entretiens de M. Feltman avec les responsables et les personnalités politiques portent sur deux grands sujets : d’abord la situation en Syrie et la nécessité de faire le maximum pour aider les réfugiés syriens, tout en respectant les sanctions économiques imposées au régime syrien, et ensuite les élections législatives de 2013. Dans un entretien de presse, le responsable US avait d’ailleurs déclaré, il y a un mois, que les élections de 2013 devraient être l’occasion pour le 14 Mars d’obtenir la majorité parlementaire et de mettre en difficulté les alliés du régime syrien au Liban. Il aurait donc cette fois abordé directement le sujet avec ses interlocuteurs, surtout ceux du 14 Mars, approuvant, selon des sources proches du leader druze Walid Joumblatt, les positions de ce dernier hostiles au mode de scrutin proportionnel et promettant son aide pour consolider le rapprochement entre le chef druze et les autorités d’Arabie saoudite.
Face à cette équation où les données se neutralisent, Beyrouth doit aussi faire face à une situation économique et sociale catastrophique et à un blocage gouvernemental et parlementaire presque total, puisque les crises se succèdent sans que la moindre solution ne soit trouvée. La question des 8 900 milliards de LL divise ainsi le camp de la majorité, de plus en plus fragilisé, et alimente une guerre sourde entre le CPL et le chef de l’État, alors que les syndicats, eux aussi divisés, décrètent des grèves qui mettent en avant leurs dissensions et accentuent le pourrissement général...
Source: lorientlejour, par : Scarlett HADDAD