En dépit des violences verbales, la tendance régionale serait au compromis...
Certaines données ne sont pas bonnes à entendre (pour tout le monde), mais elles sont quand même nécessaires si on veut tenter de comprendre plus ou moins ce qui se passe actuellement. Selon une source diplomatique des pays du Brics (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud), en dépit de la violence verbale, la tendance actuelle est de chercher à trouver des compromis, au moins jusqu’à l’élection présidentielle américaine et même au-delà, les États-Unis ayant compris qu’une confrontation, même par forces interposées, avec l’Iran n’est pas dans leur intérêt. Selon cette source diplomatique, l’Iran a marqué de nombreux points au cours des derniers mois. L’ayatollah Khamenei a renforcé son emprise sur le pays à travers les élections législatives du mois dernier. Désormais en position de force, l’Iran de Khamenei rechercherait donc un compromis avec les États-Unis qui ne porterait pas seulement sur le dossier nucléaire, mais sur l’ensemble des dossiers en suspens, dont la Syrie. Plusieurs responsables iraniens se sont exprimés sur le sujet au cours des dernières semaines, alors que, selon certaines informations, la commission irano-américaine, dirigée par un proche du président Ahmadinejad, commencerait déjà à paver la voie dans ce but.
Les sanctions économiques, censées affaiblir le régime iranien et l’isoler, lui ont au contraire permis de nouer de nouvelles alliances, en Asie, en Afrique, en Amérique latine, et même au Pakistan et en Afghanistan. Ses relations avec les pays du Brics lui ont aussi permis de contourner, dans une certaine mesure, l’embargo imposé par l’Europe puisque maintenant l’Afrique du Sud achète du pétrole à l’Iran. De même, Téhéran a réussi à consolider son influence en Irak, alors que ce pays vient de traverser un cap important avec la tenue du sommet arabe sur son territoire. En Syrie, le régime d’Assad, allié de l’Iran, reste le plus fort, en dépit de tous les pronostics et de l’appui des États-Unis et de leurs alliés arabes et européens à l’opposition. Au Liban, le Hezbollah, allié de l’Iran, est la composante la plus puissante du pays, et en Palestine, l’influence de l’Iran reste importante. Sur le dossier palestinien d’ailleurs, les dernières informations montrent que les efforts déployés par certains pays arabes pour défaire le lien vital qui existe entre le Hamas et l’Iran n’ont pas abouti, cette organisation ayant finalement opté pour le maintien de ses étroites relations avec Téhéran et Damas, surtout après les derniers affrontements entre Israéliens et Palestiniens à Gaza, qui ont montré que le Jihad islamique (proche du Hezbollah et de l’Iran) est en mesure de prendre la relève du Hamas dans la résistance contre « Israël », poussant cette organisation à vouloir « reprendre la main ».
L’Iran s’est donc ainsi imposé comme une puissance incontournable dans la région qu’il n’est pas facile de briser à travers des attaques contre ses installations nucléaires ou par le renforcement des sanctions économiques.
La source diplomatique du Brics révèle aussi que l’Iran ne craint pas non plus une détérioration de ses relations avec la Turquie, pourtant restées bonnes jusque-là en dépit des divergences sur le dossier syrien. Toutefois, la dernière visite du Premier ministre turc à Téhéran se serait plutôt mal passée. Erdogan aurait ainsi explicitement évoqué avec les dirigeants iraniens « la nécessité du départ de Bachar el-Assad » et ceux-ci auraient tout aussi explicitement répondu qu’il ne faut pas personnaliser le débat. Ils auraient aussi demandé qui serait en mesure de remplacer le président syrien, ajoutant que s’il y a aujourd’hui des élections en Syrie, c’est lui qui les remporterait... De retour à Ankara, Erdogan a aussitôt décidé de réduire l’importation de pétrole iranien et Téhéran a riposté en déclarant qu’Istanbul n’est pas le lieu adéquat pour accueillir la réunion du 13 avril entre les représentants de l’Iran et ceux des pays du G5 plus un et qu’il vaudrait mieux qu’elle se déroule à Bagdad. Les deux pays n’en arriveront certes pas à la rupture des relations diplomatiques, ayant trop d’intérêts en commun, mais la tension entre eux reflète, selon la source diplomatique du Brics, les nouvelles données internationales qui devraient pousser les États-Unis et leurs alliés à revoir leur stratégie internationale. Parmi ces données, il faut ainsi rappeler que les pays du Brics regroupent 40 % de la population de la planète et 18 à 20 % de la production mondiale. Selon des rapports économiques internationaux, la Chine devrait dépasser les États-Unis aux alentours de 2021 alors que l’Inde pourrait devenir la première puissance économique du monde dans 30 ans. De même, le Brésil a désormais pris la place de la Grande-Bretagne dans le classement économique mondial. Ce qui montre bien qu’il y a une dynamique ascendante pour le Brics (qui songe désormais à se doter d’une monnaie unique et créer une banque commune pour effectuer des transactions internationales qui ne seraient plus seulement faites en dollars américains). Par contre, les États-Unis et l’Europe sont dans une courbe descendante. Le monde est donc en train de changer et si nul n’est aujourd’hui en mesure de prédire avec précision ce que sera l’avenir, il faudrait désormais revoir certains principes qui dictaient jusqu’à présent la tendance mondiale. Les États-Unis restent la grande puissance internationale, mais ils ne peuvent plus imposer des solutions, tout en étant en mesure d’empêcher les solutions qui ne leur conviennent pas. C’est pourquoi, le compromis, notamment avec les puissances régionales émergentes, l’Iran en tête, reste la voie la plus probable...
Source : Lorientlejour, Scarlett HADDAD