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«Rien ne peut être fait sans nous»: Le message du tandem chiite à Joseph Aoun

«Rien ne peut être fait sans nous»: Le message du tandem chiite à Joseph Aoun
folder_openPresse arabe access_timedepuis 14 heures
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Par OLJ- Scarlett Haddad

Un Aoun remplace l’autre. Entre les deux élections, beaucoup de choses ont toutefois changé, notamment sur le plan des rapports de force internes et surtout au niveau du contexte régional.

L’élection qui a eu lieu jeudi ne vient donc pas seulement combler une vacance présidentielle qui dure depuis presque deux ans et trois mois, elle marque aussi le début d’une nouvelle étape pour le Liban, après une série de crises successives et une guerre terrible dont les plaies ne se sont pas encore refermées. Elle marque aussi surtout une nouvelle implication internationale et régionale au Liban, après un retrait plus ou moins revendiqué qui avait pratiquement mis le Liban dans une situation d’isolement forcé. Mais ce nouveau départ pour le pays ne pouvait pas se dérouler selon un scénario simple. Il fallait forcément un peu de suspense, pétri de messages codés pour bien marquer l’importance des enjeux et permettre aux protagonistes, en particulier au tandem chiite (Amal et le Hezbollah), de «marquer en quelque sorte son territoire», après avoir reçu un coup très dur au cours des derniers mois. Il voudrait par conséquent montrer qu’il était encore en mesure d’influer sur la scène interne. Mais comment transmettre un tel message au général Aoun sans compromettre son élection, voulue par les Occidentaux et les Arabes? C’est ce que montre le scénario de la séance de jeudi.

Quelques minutes avant son ouverture, le scénario le plus courant était donc celui qui prévoyait un premier tour et que la séance serait ensuite levée pour quelques jours pour laisser du temps aux ultimes concertations.

Lorsque le premier tour s’est achevé avec 71 voix pour le candidat Joseph Aoun et 57 voix partagées entre un bulletin blanc et des appellations diverses et que le président de la Chambre a levé la séance, personne n’a donc été vraiment surpris, ni même déçu. Par contre, la surprise est arrivée lorsque Nabih Berry a fixé la reprise de la séance pour 14h. D’abord, le président de la Chambre n’a pas parlé de l’ouverture d’une nouvelle séance, mais bien de la poursuite de l’actuelle... ce qui pourrait ouvrir la voie à un autre candidat qui serait, lui, élu à 65 voix et non 86 selon la jurisprudence adoptée pour l’élection de tout fonctionnaire de première catégorie, en remplacement de l’amendement constitutionnel à 86 voix requis, puisque l’assemblée est transformée en collège électoral et ne peut donc légiférer. Ensuite, pourquoi donner un laps de temps, si court, en l’occurrence deux heures, s’il y a réellement des points encore à régler ? C’est qu’en réalité, il fallait transmettre un message, et le meilleur moyen de le faire, c’était à travers le vote.

En sortant de l’hémicycle, les députés avaient donc la mine longue, et si la plupart d’entre eux sont restés au Parlement ou dans les rues toutes proches, les discussions ont essentiellement porté sur les possibilités que l’élection n’ait pas lieu le jour même.

Pourtant, il y avait aussi des indices rassurants, comme le fait que le palais présidentiel était en train de se préparer à accueillir son nouveau locataire...

De leur côté, des députés et des fonctionnaires du Parlement qui évoluent autour du président de la Chambre paraissaient très occupés, multipliant réunions et apartés. Les députés du Hezbollah, eux, restaient très discrets, ne faisant de conciliabules qu’avec leurs collèges du bloc du Développement et de la Libération (Berry). Dans les salons entourant l’hémicycle, d’ultimes concertations ont eu lieu, notamment avec l’ambassadrice des États-Unis Lisa Johnson, avec l’ambassadeur saoudien Walid Boukhari et, bien entendu, avec l’émissaire présidentiel français Jean Yves Le Drian. Ce dernier avait, au cours de ses rencontres la veille avec les différentes parties libanaises, et notamment avec le chef du bloc de la Fidélité à la résistance Mohammad Raad, tenu des propos très clairs et fermes sur la nécessité d’élire le commandant en chef de l’armée le général Joseph Aoun.

Ce message avait donc été clairement transmis aux parties concernées, notamment le Hezbollah et le mouvement Amal, et il avait été bien reçu. Mais ces parties ont choisi d’y répondre à leur manière. Elles avaient accepté l’idée qu’il n’y avait pas d’autre alternative que d’élire Joseph Aoun à la présidence mais en même temps, elles voulaient lui adresser, ainsi qu’aux parties étrangères qui poussent vers cette option, un message qui se résume ainsi : «Vous ne pouvez pas nous ignorer et rien ne peut être réalisé sans nous.» Dans les messages codés, le jeu des chiffres a son importance. Le tandem chiite a joué cette carte à fond, tout en respectant les règles du vote. Il a donc pris soin, au premier tour, de faire en sorte que le nombre de voix hostiles à l’élection de Joseph Aoun soit de 57 (même si toutes ne viennent pas d’eux), c’est-à-dire 6 de plus que n’en avait obtenu Sleiman Frangié dans la dernière séance électorale du 12 juin 2023. On avait alors déclaré que le camp qui évolue dans l’orbite du tandem chiite avait plafonné avec 51 voix et ce camp a voulu montrer qu’il peut en avoir 57, voire plus. Pour qu’il n’y ait pas de confusion possible, une délégation menée par Mohammad Raad et Ali Hassan Khalil s’est aussi rendue chez le général Aoun, avant la reprise de la séance, pour discuter de certains détails relatifs à l’étape future, notamment à la participation aux prochains gouvernements.

À 14 heures, tous les députés sont revenus au sein de l’Hémicycle pour procéder au vote. La présence de l’épouse de Joseph Aoun et de ses enfants dans la salle montrait bien que l’élection de ce dernier était acquise. De fait, après le dépouillement des bulletins, Joseph Aoun a obtenu 99 voix et il a été ainsi élu avec 13 voix de plus que celles requises.

Le nouveau mandat est ainsi lancé et le président Joseph Aoun a annoncé la couleur dans son premier discours en lançant à son tour plusieurs messages. Il a ainsi déclaré qu’il faut que cesse le fait de compter sur l’extérieur pour se renforcer à l’intérieur et il a dit que si une partie du Liban est blessée, tout le pays l’est. Mais il a aussi assuré que l’État doit avoir le monopole des armes et il a conclu en rappelant que «le Liban ne nous appartient pas, c’est nous qui lui appartenons». Des propos qui rassemblent au lieu d’exclure. Message reçu ?

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