Les propos du chef du Hezbollah, une ébauche de dialogue...
Au-delà des ripostes, certaines enflammées et d’autres plus calmes, le dernier discours du secrétaire général du Hezbollah montre que le dialogue entre les deux camps adverses au Liban a commencé. Et comme dans tout dialogue, surtout celui qui porte sur un sujet aussi crucial que l’avenir du Liban, chaque partie commence par avancer ses arguments. C’est donc ce qu’a cherché à faire sayyed Hassan Nasrallah en s’adressant, contrairement à son habitude, aussi directement aux ténors du 14 Mars qui s’étaient exprimés le 14 février au BIEL et en cherchant à démonter leur logique. Il faut signaler à cet égard qu’un débat avait eu lieu au sein du Hezbollah sur l’utilité ou non pour le secrétaire général du parti de citer clairement certains noms ou des personnalités en particulier. Des cadres du parti étaient ainsi opposés à cette mention, estimant qu’elle risquerait de rabaisser le débat et surtout de donner trop d’importance à certaines figures du 14 Mars.
D’autres, au contraire, estimaient que le sayyed se devait de répondre aux accusations lancées contre le parti au cours du meeting du 14 février, par égard pour la sensibilité de ses partisans qui sont chaque fois attaqués et contraints au silence pour éviter les tensions confessionnelles. C’est finalement le sayyed qui a tranché, décidant de parler en toute franchise et de répondre aux attaques par une argumentation qui se veut basée sur la raison et la logique.
Tout en affirmant qu’il est prêt à un dialogue sans conditions préalables, Nasrallah a précisé qu’il va falloir mettre sur la table toutes les questions en suspens, celles qui fâchent en particulier. Il a ainsi affirmé que la démarche du Hezbollah et toutes ses prises de position tournent autour d’une question stratégique qui se résume à la position par rapport à la Palestine et au conflit-israélo-arabe. Il s’agit là d’une constante pour le Hezbollah et pour la résistance qu’il représente. Dans ce contexte, il a répondu au chef des FL qui avait évoqué dans son discours la tuerie de la caserne Fathallah à Beyrouth, exécutée par les soldats syriens contre des militants du Hezbollah. Cela se passait en 1987, et à l’époque, la Syrie, qui se redéployait dans les quartiers ouest de Beyrouth, craignait l’influence du Hezbollah au sein de la communauté chiite au détriment du mouvement Amal qu’elle appuyait. Les relations entre la Syrie et l’Iran ne s’étaient pas encore consolidées et les deux pays s’affrontaient au Liban par parties chiites interposées. Mais le Hezbollah, alors sous le commandement de cheikh Sobhi Toufayli aujourd’hui chouchouté par certains piliers du 14 Mars, avait choisi de ne pas riposter, et ce sur les conseils de l’Iran et parce qu’il ne fallait pas diviser « la scène nationale ». Bien entendu le sayyed n’a pas donné tous ces détails, se contentant de préciser que l’attitude du Hezbollah à cette période est à mettre à son actif, au lieu d’être critiquée comme l’a fait le chef des FL dans son discours. Le Hezbollah avait alors su privilégier l’intérêt stratégique sur les réactions émotionnelles, à court terme. Cette attitude est d’ailleurs devenue une règle de conduite à toutes les étapes délicates que traversent le Liban et la région. C’est ainsi que le parti avait décidé d’aider les Palestiniens à Gaza via le fameux Sami Chéhab, envoyé en Egypte. Celui-ci avait été arrêté par le régime de Hosni Moubarak et traduit en justice sous le titre de « la cellule du Hezbollah en Egypte ». Le parti avait été alors accusé de préparer un coup d’Etat contre le régime égyptien, chaudement défendu par le 14 Mars. Tous les ténors de ce mouvement s’en étaient donc violemment pris au Hezbollah qui « s’ingérait dans les affaires des pays arabes frères »... jusqu’au jour où le régime de Moubarak a été renversé et Sami Chéhab libéré et il est rentré au Liban, alors que le 14 Mars est devenu l’un des plus farouches défenseurs de la révolution égyptienne contre le régime oppresseur. Sayyed Nasrallah a aussi dénoncé la position du 14 Mars vis-à-vis du régime syrien, qui réclame sa chute et rejette par principe toute solution négociée avec l’opposition, allant même jusqu’à fournir à cette dernière armes, finances, tribunes médiatiques et soutien politique. Nasrallah a estimé que cette politique s’aligne sur celle des Arabes dits modérés envers Israël, qui couvrent une reprise des négociations et ne cessent de brandir la fameuse initiative de paix arabe présentée en 2002 et régulièrement rejetée par Israël. Il s’est demandé comment on peut appeler indéfiniment à des négociations avec l’ennemi israélien alors qu’on sait d’avance qu’elles sont vaines, et rejeter un tel processus entre un régime qui soutient la résistance contre Israël et son opposition, alors qu’il se déclare prêt à faire des réformes. Il a aussi, par la même occasion, placé la position du Hezbollah en faveur du régime syrien dans le contexte de la résistance contre les diktats américains et l’appui aux mouvements de résistance dans la région. Tout comme il a aussi voulu mettre en évidence les contradictions et les revirements dans les positions politiques du 14 Mars. Tout en adoptant des termes assez violents, tournant à certains moments en dérision les propos de certains orateurs du meeting du BIEL, Nasrallah s’est déclaré malgré tout prêt au dialogue, montrant qu’il ne le craint pas puisque toutes les positions de son mouvement sont cohérentes et tournent autour d’une même logique. Ce qui, à ses yeux, n’est pas le cas du 14 Mars. N’est-ce pas, quelque part, le principe même du dialogue qui commence par des positions très éloignées dans le but de trouver des points communs ? Le fait pour Nasrallah d’entrer dans ces détails et de chercher à expliquer la position de son parti est sans doute une ébauche de dialogue, et le ton haut cache souvent une main tendue...
Source: Lorientlejour - Scarlett HADDAD