Deux obstacles à la création d’un bastion de l’opposition syrienne au Akkar
Source: Lorientlejour - Scarlett HADDAD
Au neuvième mois de l’éclatement de la crise syrienne, rien n’indique que son dénouement approche. Au contraire, la volonté de créer une zone tampon à l’une des frontières, qui servirait de bastion à l’Armée syrienne libre ou au Conseil de transition de l’opposition, reste l’un des scénarios privilégiés des opposants et de leurs alliés. Mais la fermeture par la Jordanie de sa frontière après avoir reçu cent soldats syriens déserteurs et le refus total du royaume hachémite d’intervenir dans les affaires syriennes a écarté cette zone proche de Deraa de la scène des affrontements. De même, la position favorable de l’Irak au régime syrien, en raison des nombreux intérêts communs entre les deux pays sur les plans économique et sécuritaire, rend l’utilisation de la zone frontalière entre les deux pays impossible. Restent donc la Turquie et le Liban. Dans une tentative d’éliminer la menace que peuvent représenter ces frontières « instables » pour le régime, celui-ci a déployé son armée dans une profondeur de 20 km, pour rendre difficile toute incursion d’éléments armés à partir de la Turquie ou du Liban vers la Syrie. Mais la situation reste difficile à régler, d’autant qu’aussi bien du côté turc de la frontière que du côté libanais, les habitants ont de solides relations avec leurs voisins syriens.
Ainsi au Akkar, le tracé de la frontière est assez vague. Il existe ainsi des villages du côté syrien dont les habitants sont libanais, comme le village sunnite de Ouaychate. De même que certains habitants des villages du Akkar vivent en Syrie et traversent tous les matins la frontière pour se rendre à leur travail. C’est le cas, par exemple, du directeur de l’école de Raamet (village chrétien) qui réside à Tall Khalakh. Il y a aussi des villages mixtes et même deux villages chiites à Wadi Khaled la sunnite. Enfin, il y a même un village turkmène, Kawachira, pas loin de là. C’est d’ailleurs dans ce village que s’étaient rendus en 2010 les Premiers ministres turc et libanais, RecepTayyeb Erdogan et Saad Hariri, où ils avaient été longuement ovationnés par la foule en particulier par les partisans du courant du Futur. C’était en tout cas la première fois que les Libanais en général entendaient parler de ce village...
C’est dire que le secteur libanais de la frontière nord avec la Syrie est représentatif des tissus sociaux dans les deux pays. D’où son importance pour tous ceux qui souhaitent provoquer des tensions, voire des conflits confessionnels et communautaires en Syrie. Selon une ONG établie depuis des décennies au Akkar, l’éclatement des événements en Syrie a fait grimper la tension entre les différentes composantes de la société akkariote, alors que les groupes islamistes ont intensifié leurs activités et sont en train de s’organiser avec l’assistance de la Fédération des ulémas musulmans, établie en Égypte et ayant des ramifications dans certains émirats du Golfe. Des membres de cette fédération se sont même rendus récemment au Liban et ont établi des contacts avec la Jamaa islamiya, présente au Liban-Nord, à Beyrouth et à Saïda, autrement dit dans les grandes localités sunnites. La Jamaa étant divisée sur la question de s’impliquer dans le conflit syrien, sa cohésion s’est plus ou moins affaiblie. Assaad Harmouche a ainsi repris le contrôle de la formation au Nord et à Tripoli en particulier, alors que le secrétaire général continue de contrôler la Jamaa à Beyrouth. Mais cette formation n’est pas la seule à s’activer au Nord. Le courant dit wahhabite, dont les grandes figures connues sont les députés Mouïn Meerabi et Khaled Daher (membres du courant du Futur mais islamistes déclarés), est aussi en train de mobiliser les habitants contre le régime syrien. Ce courant avait même commencé par s’installer à Akroum, un village certes un peu éloigné de la frontière mais qui la surplombe. Mais en dépit de sa position stratégique, il a été abandonné au profit des localités de Wadi Khaled, plus proches de la Syrie et surtout plus faciles d’accès pour les habitants des deux côtés de la frontière. L’ONG précitée confirme ainsi que les préparatifs pour faire du Akkar une base active contre le régime syrien sont réels et que le plan de départ consiste à installer les opposants syriens dans les villages frontaliers alors que leurs familles seraient à l’abri à Tripoli. La capitale du Nord deviendrait ainsi une base arrière pour les opposants et les services de renseignements turcs, arabes et occidentaux s’y activent déjà en toute liberté, à en croire les témoins avertis.
Cela ne signifie pas toutefois que le plan de créer un bastion pour les opposants syriens à la frontière nord du Liban est sur le point de réussir. Il se heurte en effet à deux obstacles. D’abord le fait qu’une grande partie des habitants de Tripoli refuse de se laisser entraîner dans le conflit interne syrien et préfère, à l’image du natif de la ville et Premier ministre, se tenir à l’écart des tensions. Cette tendance est apparue au grand jour lors du rassemblement pour l’indépendance organisé par le courant du Futur à Tripoli qui n’a mobilisé qu’une petite partie des habitants de la ville, le gros des effectifs ayant été amené du Akkar. Le second obstacle vient de l’armée libanaise qui est déployée dans la région et qui reste vigilante pour empêcher les débordements envers et à partir de la Syrie. Certes, l’armée libanaise n’est pas en mesure de sévir contre les groupes libanais qui s’activent contre le régime syrien, ayant besoin d’une couverture politique pour lancer de telles opérations. Mais elle agit discrètement pour arrêter le passage d’armes et celui des fauteurs de troubles, même si la situation dans cette zone la place dans une situation assez inconfortable. Toujours est-il que le fait que le gouvernement actuel soit toujours en place ne peut que la pousser à renforcer sa vigilance au Nord.
Les tentatives de faire monter la tension confessionnelle que ce soit au Nord ou à Saïda (via le cheikh Ahmad Assir, devenu ces derniers temps la nouvelle star des médias libanais) ne rencontrent pas encore d’écho positif au sein d’une grande partie de la population. Le projet bat donc de l’aile au Liban-Nord, et à la frontière turque il ne semble pas plus facile à réaliser, en raison là aussi de la similitude des tissus sociaux en Syrie et en Turquie. L’Armée syrienne libre, dirigée par Riad el-Assaad qui a établi son fief dans la région turque proche de la frontière syrienne et qui semble avoir été choisie pour servir de cadre à une intervention militaire en Syrie, a encore du chemin à faire pour devenir crédible