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L’agenda du sommet de Téhéran compromet les plans de Joe Biden

L’agenda du sommet de Téhéran compromet les plans de Joe Biden
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Par Samer Zoughaib

La tenue du sommet tripartite de Téhéran entre trois pays qui ne sont pas forcément sur la même longueur d’onde sur tous les dossiers a suffi à empêcher le président Joe Biden d’atteindre tous ses objectifs lors de sa tournée régionale. 

La concomitance entre la tournée régionale du président américain Joe Biden, couronnée par une rencontre à Jeddah avec le prince héritier saoudien Mohammad Ben Salmane, et le sommet de Téhéran, qui a réuni les chefs d’Etats iranien, Ebrahim Raïssi, russe, Vladimir Poutine, et turc, Recep Tayeb Erdogan, a fait couler beaucoup d’encre.

Le sommet tripartite a été perçu par de nombreux analystes dans la région et en Occident comme une réponse aux efforts de Washington visant à mobiliser ses alliés au sein d’une structure militaire appelée l’«Otan arabe». Censée rassembler des pays arabes et «Israël», cette structure est essentiellement dirigée contre l’Iran et aurait pour objectif d’asseoir durablement l’hégémonie américaine au Moyen-Orient, à l’heure où le monde connaît une nouvelle guerre froide et un réagencement des relations internationales.

Cependant, la tournée de Biden avait des objectifs multiples et presque aucun n’a été atteint dans son entièreté. Le principal souci du président américain était de convaincre les pétromonarchies du Golfe d’adhérer totalement à la stratégie de Washington visant à isoler la Russie du marché pétrolier et à rétropédaler dans leurs relations avec la Chine.

Il semble que Riyad, conscient du fait que les Etats-Unis sont aujourd’hui plus faibles que jamais, ne soit pas disposé à cesser la coopération et la coordination au niveau énergétique avec Moscou, ni à remettre en question ses relations avec Pékin, qui se sont considérablement renforcées ces dernières années à tous les niveaux.

Riyad fait un pas vers la normalisation avec «Israël»

Joe Biden espérait aussi donner un push au processus de normalisation entre l’Arabie saoudite et «Israël». Il a partiellement obtenu satisfaction avec la décision du royaume wahhabite d’ouvrir ses cieux aux avions israéliens. Mais pour l’instant, il semble que Riyad ne soit pas prêt à annoncer officiellement la normalisation totale avec l’entité sioniste bien que les relations secrètes entre les deux pays sur les différents niveaux, y compris militaire, continuent de se développer.

Ayant identifié l’objectif essentiel du déplacement de Joe Biden dans la région, qui était d’amarrer les pays du Golfe à la nouvelle stratégie globale américaine, il devient plus facile de comprendre les enjeux et les résultats du sommet de Téhéran.

La rencontre tripartite a réuni une puissance mondiale, la Russie, et deux puissances régionales, l’Iran et la Turquie, toutes trois impliquées dans de multiples dossiers régionaux délicats.

Si les trois pays ont de nombreux points d’intérêts communs, leurs positions divergent sur d’autres dossiers, comme la guerre d’Ukraine et le conflit syrien.

Sur ces deux questions, l’Iran et la Russie ont des approches différentes de celles de la Turquie. Mais les trois puissances ont choisi de tabler sur les points communs et d’«organiser» leurs désaccords.

Moscou, Téhéran et Ankara voient d’un mauvais œil l’instauration et la consolidation d’un système régional pro-américain qui tenterait de les marginaliser et d’affaiblir leurs positions. Ils ont donc décidé de renforcer leurs relations sur les plans économiques et d’intensifier leurs efforts diplomatiques conjoints pour régler les crises.

La Turquie jette du lest en Syrie

Sur ce plan, l’Iran et la Russie ont réussi à éloigner le spectre d’une opération turque dans le nord de la Syrie sous prétexte de neutraliser la menace représentée pour Ankara par les milices kurdes.

Les signaux en provenance du terrain syrien laissent penser que la Turquie se prépare à prendre les dispositions nécessaires pour ouvrir l’autoroute M4 qui relie Lattaquié, sur le littoral syrien, à l’est du pays.

De plus, Recep Tayyeb Erdogan aurait accepté le déploiement de l’armée syrienne et d’unités russes dans les villes de Tell Refaat et de Manbij, dans le nord d’Alep. Les troupes gouvernementales syriennes ont d’ailleurs envoyé d’importants renforts dans ces régions en prévision d’une attaque turque.

La Russie et l’Iran ont décidé de renforcer leur coopération militaire bilatérale mais la Turquie n’est pas associée à cet effort. L’ambition de Moscou et de Téhéran n’est pas de créer une alliance ou une structure militaire avec la Turquie, qui est déjà membre de l’Otan, une organisation considérée comme un des principaux outils de l’hégémonie américaine.

L’objectif de l’Iran et de la Russie est d’approfondir les contradictions entre Ankara et l’alliance nord-atlantique et de faire en sorte que la Turquie poursuive son processus d’éloignement de l’Otan, commencé il y a plusieurs années.

C’est sans doute pour cette raison que Vladimir Poutine a donné le beau rôle à la Turquie -et à l’Onu- dans les négociations en cours pour mettre sur pied un mécanisme permettant l’exportation du blé ukrainien stocké dans les ports du pays.

Washington n’est plus seul à décider

La tenue du sommet tripartite dans la foulée de la tournée de Joe Biden est un signe fort montrant que les Etats-Unis ne sont plus seuls à occuper le terrain et à décider du sort de la région. Ils ont désormais en face d’eux des pays souverains et puissants, qui ont leur mot à dire dans le réagencement du monde.

C’est sans doute cette nouvelle réalité qui a poussé les alliés historiques de Washington, Arabie saoudite en tête, à faire preuve de prudence en ne s’engageant pas totalement et aveuglément dans la stratégie américaine, en laissant la porte ouverte à de possibles arrangements avec l’Iran et en maintenant leurs relations avec la Russie et la Chine.

L’entretien téléphonique entre Ben Salmane et Vladimir Poutine, consacré à la question énergétique, survenu après la rencontre de Jeddah, ainsi que la décision des Emirats arabes unis de poursuivre le processus d’amélioration des relations avec l’Iran, sont la preuve que Washington n’a pas atteint tous ses objectifs et que l’agenda du sommet de Téhéran a compromis les plans de Joe Biden.

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