Les milieux de Raï réaffirment que « la coordination est étroite » entre le patriarche et le Vatican
Source: L'Orient le jour - Scarlett HADDAD
La visite du patriarche maronite Béchara Raï en France et les propos qui l’ont accompagnée continuent d’occuper la scène politique. La grande question est de savoir dans quelle mesure les déclarations du patriarche maronite étaient le fruit de sa pensée ou bien reflétaient-elles une position du Vatican. S’il n’y a pas encore de réponse catégorique à ce sujet, les milieux proches de Bkerké affirment que Mgr Béchara Raï avait coordonné ses positions avec des parties importantes au Vatican. Ces milieux rappellent que le patriarche connaît bien les milieux du Vatican où il a passé trois ans au département du Machrek. Il a noué au cours de cette période des relations étroites avec les principaux évêques et il est au fait des positions du Vatican sur les dossiers importants dans la région, notamment depuis l’opposition du pape Jean-Paul II à l’invasion américaine de l’Irak en 2003. Les milieux proches de Bkerké rappellent aussi que l’élection du patriarche Raï avait été discrètement appuyée par le Vatican, qui, tout en respectant la liberté de choix des évêques, avait donné son opinion à ceux qui la sollicitaient. Ces milieux reconnaissent toutefois qu’avec le pape Benoît XVI, il y a plusieurs opinions au Vatican, mais celle du patriarche Raï est en harmonie avec celle du pape et de ses proches.
C’est d’ailleurs grâce aux tournées papales dans la région, au Liban, en Syrie, en Palestine notamment que le Vatican a pris pleinement conscience des menaces qui pèsent sur la présence chrétienne au Moyen-Orient et sur la nécessité de la préserver, surtout si, comme le montrent de plus en plus les faits, la tension ne cesse de monter entre sunnites et chiites, faisant des chrétiens ses premières victimes. C’est d’ailleurs pour tenter de couper court à une telle éventualité que le Vatican avait organisé à l’automne dernier un synode pour les Églises d’Orient. Pour de nombreuses parties au Vatican, Mgr Béchara Raï serait l’un des évêques les plus aptes à concrétiser les recommandations de ce synode, en raison de sa personnalité, mais aussi du fait qu’il n’est pas impliqué dans la politique interne du Liban. D’ailleurs, toutes ses déclarations, depuis son élection, étaient axées sur le rassemblement des diverses composantes du pays, notamment chrétiennes, et l’appui à l’État et à ses institutions. Ce qui lui a d’ailleurs valu des critiques de la part de certains responsables du courant du Futur qui voyaient dans son appui aux institutions, et donc au gouvernement, un aval à Nagib Mikati. Le patriarche pourtant ne faisait pas de politique, convaincu seulement que les véritables garantes de la nation sont les institutions publiques, l’armée, le gouvernement, le Parlement, etc.
C’est aussi dans cet esprit qu’il a évoqué avec ses interlocuteurs français l’appui de la communauté internationale à l’armée, se demandant pourquoi cette institution n’est pas équipée de manière adéquate, alors qu’elle représente une garantie de la souveraineté et de l’indépendance du Liban. Et à ceux qui lui ripostaient en dénonçant la possession d’armes par une partie libanaise, le patriarche Raï a demandé ce qu’a fait la communauté internationale pour contraindre Israël à se retirer du la partie nord du village de Ghajar et des fermes de Chebaa. Tant que ces portions de territoire sont occupées, il est difficile de demander à une partie libanaise qui affirme vouloir les libérer de renoncer à ses armes.
Sa visite en France, il l’avait ainsi étroitement coordonnée avec le Vatican, qui, toujours selon les proches de Bkerké, lui avait fourni un dossier consistant, en se basant sur les témoignages des chrétiens dans le monde arabe. À cet égard d’ailleurs, le Vatican est considéré comme possédant la meilleure agence d’informations basée sur les récits des chrétiens eux-mêmes. C’est donc en tant que patriarche d’Antioche et de tout l’Orient qu’il a parlé avec ses interlocuteurs français de ses craintes pour l’avenir des chrétiens dans la région et notamment en Syrie, sachant aussi que de nombreuses familles chrétiennes syriennes sont arrivées au Liban, certaines pour y rester en achetant des appartements et d’autres le considérant comme un point de passage en attendant d’émigrer vers d’autres cieux ou encore de rentrer chez elles. À ses interlocuteurs français, le patriarche a donc rappelé que le président syrien avait commencé par lancer des réformes avant de se heurter au parti Baas. Mais il a surtout insisté sur le fait que si en Syrie, il y a des chrétiens, des sunnites et des alaouites, au Liban, il y a tout cela mais en plus des chiites. Ce qui signifie que tout affrontement confessionnel en Syrie pourrait avoir des répercussions au Liban, où la montée des tensions rend la situation encore plus complexe. Le patriarche a aussi rappelé que le Liban a malheureusement l’expérience des guerres et il sait combien leur prix est élevé. C’est dans ce cadre qu’il a aussi estimé que la reconnaissance d’Israël en tant qu’État juif ne fait qu’exacerber le fanatisme confessionnel. Les sources de Bkerké précisent même qu’un des interlocuteurs du patriarche lui aurait dit qu’il y a en Syrie des Frères musulmans modérés, sur le modèle turc, qui seraient prêts à faire la paix avec Israël. C’est donc pour éviter que les chrétiens d’Orient ne fassent les frais de cette politique d’appui à d’éventuels régimes musulmans dits modérés qu’il a voulu savoir jusqu’à quel point la communauté occidentale pouvait garantir qu’ils ne s’en prendraient pas aux chrétiens.
Toutefois, le plus grave aux yeux des sources de Bkerké, c’est la tentative de certains médias locaux ainsi que de certaines figures politiques de présenter le patriarche comme étant hostile aux musulmans sunnites. Le patriarche Raï, rappellent ces milieux, se situe au-dessus des clivages confessionnels, et avec ses interlocuteurs français, il s’est contenté de répondre à une question sur une prise du pouvoir en Syrie « des Frères musulmans modérés ». Chercher à créer une diversion à la tension entre sunnites et chiites en voulant susciter des dissensions entre l’Église et les sunnites n’est ni utile ni conforme à la réalité, et le patriarche Raï ne se laissera pas entraîner dans les méandres confessionnels et politiques libanais. Il a parlé en France selon sa conception de sa mission et son souci de préserver les chrétiens de la tourmente qui frappe la région. Il n’est pas dans un camp politique, mais le chef d’une Église et le messager de ses craintes et de ses aspirations...