Libye: la mission de l’ONU prolongée jusqu’à fin janvier, avec un émissaire affaibli
Par AlAhed avec AFP
Le Conseil de sécurité de l'ONU a adopté jeudi à l'unanimité une résolution prolongeant jusqu'au 31 janvier sa mission politique en Libye, une courte durée qui affaiblit son émissaire Jan Kubis et qui a donné lieu à un bras de fer à rebondissements de trois semaines entre la Russie et le Royaume-Uni.
Les 15 membres du Conseil auraient dû prolonger à la mi-septembre la mission Manul de manière quasi-automatique pour un an, surtout à l'approche d'un scrutin présidentiel libyen prévu le 24 décembre, visant à tourner la page d'une dizaine d'années de guerre.
Mais la Russie, menaçant d'utiliser son veto, avait alors rejeté le texte rédigé par le Royaume-Uni, refusant le langage sur le retrait des mercenaires et troupes étrangères de Libye et celui sur l'avenir de l'émissaire onusien.
Face au blocage, le Conseil de sécurité avait été contraint d'étendre techniquement de 15 jours le mandat de la Manul, jusqu'au 30 septembre, pour donner plus de temps aux négociations entre Moscou et Londres. En vain.
Mercredi, selon des diplomates, la Russie a menacé une nouvelle fois de mettre son veto au texte britannique bien qu'amendé. La mise au vote a du coup avorté. Dans la nuit, Moscou a enfoncé le clou en proposant son propre texte, une démarche rare de défiance à l'égard d'un auteur de résolution.
Après une réunion jeudi en urgence du «P5» (les cinq membres permanents du Conseil: Etats-Unis, Russie, Chine, Royaume-Uni et France) pour dénouer l'affaire, le Conseil a fini par entériner une deuxième prolongation technique de la Manul expirant le 31 janvier.
Au risque d'apparaître toujours très divisé, un paradoxe alors que la pression internationale est constante pour que le scrutin présidentiel libyen, hypothétique, se tienne comme prévu le 24 décembre.
Les projets de résolution concurrents britannique et russe, obtenus par l'AFP, demandaient au secrétaire général de l'ONU «de conserver son envoyé spécial pendant six mois», tout en étendant d'un an la Manul.
Les textes, laissant entendre que Jan Kubis était proche d'un départ, soulignaient la nécessité que la mission soit «dirigée, une fois qu'il sera nommé, par un représentant spécial du secrétaire général, basé avec la mission à Tripoli, entouré de deux adjoints» (un pour l'humanitaire, un pour la politique).
«Confort de Genève»
Mais pourquoi changer d'émissaire alors que le Slovaque Jan Kubis, ex-envoyé spécial pour le Liban, n'est en poste pour la Libye que depuis janvier ?
Parce qu'il est basé à Genève, à la suite d'un diktat en 2020 de Donald Trump, imposé aux 14 autres membres du Conseil de sécurité. Washington avait voulu alors scinder la direction de la Manul en deux avec un émissaire basé à Genève et un coordonnateur (poste occupé par un Africain) installé à Tripoli.
Une étude indépendante de l'ONU a jugé cet été que cet organigramme était inadéquat et plaidé pour le retour d'un émissaire à Tripoli. L'administration de Joe Biden s'est rangée à cet avis.
Mais pour Moscou, le concrétiser avant le scrutin présidentiel de décembre n'avait pas de sens, motivant son refus.
«Jan Kubis n'avait pas envie de quitter le confort de la Suisse pour la Libye», indique sous couvert d'anonymat un diplomate. «On peut le comprendre. Il a été candidat sur une fiche de poste incluant Genève et on change son lieu d'affectation en cours de route», ajoute un autre diplomate.
Dans la perspective de son départ, qui affaiblit de facto le poids de l'ONU face aux acteurs libyens, l'Afrique qui avait multiplié en 2020 les pressions pour que l'émissaire soit africain devrait revenir à la charge pour récupérer le poste.
La deuxième opposition russe visait le retrait des mercenaires et troupes étrangères de Libye.
Londres voulait demander à l'émissaire de l'ONU de «se focaliser dans son travail (...) sur la fin du rôle d'acteurs internationaux dans le conflit», selon un projet de texte obtenu par l'AFP. En appelant aussi à soutenir le cessez-le-feu «via notamment un retrait synchronisé de Libye sans retard de toutes les forces étrangères et mercenaires».
La Russie, en quête d'influence en Afrique du Nord, a fait sauter dans les négociations la première mention et insisté, dans son propre projet, pour parler d'un retrait des forces étrangères non seulement «synchronisé» mais aussi «parallèle, équilibré et séquencé».
Autrement dit mettre sur un pied d'égalité les mercenaires russes du groupe paramilitaire Wagner, appuyant à l'est le maréchal Khalifa Haftar, et les troupes turques soutenant Tripoli. Pour les Occidentaux, cette équivalence est difficile à admettre, ce qui a alimenté l'impasse.
Selon l'ONU, plus de 20.000 mercenaires (russes, syriens, tchadiens, soudanais) et militaires (turcs) sont toujours en Libye, menaçant le processus de paix.