Berry, le faiseur de miracles... gouvernementaux
Par Scarlett HADDAD - l'Orient le jour
Non seulement la naissance s’est faite au forceps, mais elle a été aussitôt suivie de la défection immédiate de l’émir Talal Arslane qui a présenté sa démission d’une façon spectaculaire, alors que ses partisans manifestaient bruyamment leur mécontentement. Mais enfin le gouvernement de Nagib Mikati et de la nouvelle majorité a finalement vu le jour, après des mois de tractations désespérantes et des semaines d’attente stérile.
Au cours des derniers jours précédant la naissance de ce gouvernement, aucune partie concernée n’osait affirmer qu’il verrait le jour, tant après chaque annonce d’indices positifs, de nouveaux obstacles modifiaient la donne. C’est d’ailleurs ce qui a failli se passer hier, lorsque le Premier ministre Nagib Mikati s’est rendu à Baabda après avoir sollicité un rendez-vous urgent, avec une mouture de 24 ministres, dans laquelle ne figurait pas Fayçal Karamé et qui se voulait équilibrée mais n’était pas conforme aux accords déjà conclus. Pressé par la majorité et cible de violentes critiques, Mikati voulait en effet en finir en se disant : j’ai assumé la responsabilité et advienne que pourra. D’autant qu’il se sentait face à des obstacles insurmontables.
Le chef de l’État avait ainsi décidé de divulguer à la dernière minute le nom de son troisième ministre, pour montrer quelque part qu’il n’acceptait pas le scénario voulu par le général Michel Aoun selon lequel le nom du sixième ministre maronite devait obtenir son aval. Des rumeurs avaient laissé entendre qu’il pourrait choisir l’ancien officier proche de Aoun, le général Issam Abou Jamra, alors que d’autres affirmaient que le choix final se porterait sur son gendre Wissam Baroudy. L’objectif de ces rumeurs était clair : pousser le chef du CPL à sortir de ses gonds. Pourtant, Aoun avait confié à ses partenaires qu’il serait aussi coulant que possible, prêt de toute façon à donner son accord, pour d’abord faciliter la naissance du gouvernement à une période aussi délicate et alors que la situation à la fois politique, sécuritaire, économique et sociale était devenue insupportable, et ensuite pour bien prouver que ce n’est pas lui qui entrave la formation du gouvernement, puisque lorsque les tractations deviennent sérieuses, il sait faire les concessions nécessaires. Cela n’a toutefois pas suffi pour aboutir à la naissance du gouvernement, puisque restaient deux obstacles reconnus, la désignation de Fayçal Omar Karamé et l’attribution d’un portefeuille à l’émir Talal Arslane.
Las d’être accusé d’atermoyer et de ne pas trouver de solution à ces deux problèmes, Mikati est donc monté à Baabda avec sa mouture réduite. Le président appelle alors le président de la Chambre. Lequel arrive à Baabda aussi rapidement que possible, après avoir revêtu un costume officiel. Prenant connaissance de la mouture, il ne cache pas son opposition à la formule de 24 ministres, assurant qu’elle n’obtiendra pas l’approbation de la majorité. Mikati insiste pour annoncer la naissance du gouvernement. Berry quitte le palais, mécontent. À Aïn el-Tiné, il contacte le secrétaire général du Hezbollah et l’informe de la situation. Il lance ensuite une idée totalement inattendue, qui n’aurait pas pu venir à l’esprit du Premier ministre désigné. Il suggère d’attribuer le portefeuille de la Jeunesse et des Sports qui lui revenait selon l’accord conclu à Fayçal Karamé. Il réduisait ainsi sa part à deux ministres, Adnane Mansour pour les Affaires étrangères (ce dernier est un avocat, ancien diplomate, puisqu’il a occupé le poste d’ambassadeur du Liban à Téhéran, et membre de la commission formée par le ministre Ali Chami pour la restructuration du ministère des AE) et Ali Hassan Khalil, à la Santé. L’idée est communiquée par téléphone à Mikati, qui l’accepte aussitôt, y voyant le moyen de placer son allié Ahmad Karamé qui devient ministre d’État.
En faisant cette proposition, Berry a aussi réduit la part des chiites au sein du gouvernement, la communauté n’ayant plus, pour la première fois depuis l’accord de Taëf, que cinq ministres au lieu de six, à l’instar des communautés maronite et sunnite. Dans un sens, le président de la Chambre a indirectement montré que les chiites du Liban s’inscrivent dans un projet étatique et sont prêts à faire des concessions pour aider les institutions. En devenant les moins représentés et en étant conciliants sur les portefeuilles, ils cherchent à prouver qu’ils ne veulent pas s’approprier le pouvoir. En même temps, Berry a envoyé un message fort à la communauté sunnite pour la rassurer sur sa place au sein du gouvernement. Il a permis également au Premier ministre Mikati de montrer que sous sa direction, la part des sunnites augmente...
Le président syrien Bachar el-Assad a très vite contacté Berry pour le féliciter de sa décision, et les milieux du 14 Mars ont aussitôt déclaré que le président de la Chambre a fait cette importante concession à la demande des Syriens, pressés de voir naître au Liban « un gouvernement allié ». Les proches de Berry écartent cette hypothèse, assurant que le camp adverse ne sait pas comment dénigrer le nouveau gouvernement...
Berry ayant trouvé la solution, le chef de l’État a désigné son sixième maronite, son conseiller et ancien député Nazem Khoury, originaire de Jbeil. Le président Sleiman a ainsi obtenu le vice-président du Conseil Samir Mokbel et M. Khoury, et il partage le choix du ministre de l’Intérieur, Marwan Charbel, avec le général Aoun. Ce dernier a obtenu les dix ministres qu’il a réclamés, plus une participation à l’Intérieur. À ceux qui disent qu’il a fait une concession en renonçant à Charbel Nahas pour les Télécoms, ses proches rappellent que ce dernier est un grand expert des dossiers sociaux et que de toute façon, Nicolas Sehnaoui, qui l’a remplacé aux Télécoms, n’est pas loin de ses options. Fadi Abboud reste à sa place (Tourisme) et Gaby Layoun obtient la Culture. Mais celui que tout le monde attend reste l’ancien bâtonnier Chakib Cortbawi, qui se charge de la Justice à une période particulièrement difficile au cours de laquelle les dossiers judiciaires s’accumulent. En même temps, la personnalité de Cortbawi est respectée dans tous les milieux et sa désignation ne constitue pas une provocation pour le 14 Mars mais au contraire une initiative conciliante, même s’il a prouvé à diverses occasions que s’il est un homme de dialogue, il ne transige pas sur ses principes.
Joumblatt peut se considérer satisfait ; son coup de gueule a servi et la majorité a réussi à former un gouvernement dans lequel il a, cerise sur le gâteau, un portefeuille supplémentaire, celui des Affaires sociales, attribué à Waël Bou Faour.
En gros, le second gouvernement Mikati, né 144 jours après sa désignation, ne comporte pas de figures qualifiées de provocantes pour le 14 Mars. Au contraire, ceux qui ont veillé à sa formation ont tenu à se montrer ouverts, le présentant comme une équipe au service de tous les Libanais. Cela suffira-t-il à amadouer le 14 Mars ? En tout cas, le premier coup est venu de l’émir Talal Arslane qui a démissionné de son poste de ministre d’État, en guise de protestation. Mais selon la coutume en vigueur, le Premier ministre pourrait laisser cette démission en suspens et l’émir resterait un ministre d’État qui refuse de se considérer comme membre de cette équipe. Mais selon les sources proches du Premier ministre, il ne serait pas question de revoir la composition de l’équipe, déjà si difficilement obtenue. Après le précédent créé par le ministre Sélim Sayegh qui n’a pas participé à la séance de photo officielle, l’absence de l’émir Arslane ne poserait pas de problème à ce stade. Mais c’est pour le vote de confiance au Parlement que cette opposition risque de se faire sentir. D’ici là, les contacts vont se multiplier pour tenter de pousser Arslane à accorder, avec son bloc de quatre députés, la confiance au gouvernement qu’il condamne...