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La France a-t-elle formé des militaires saoudiens pour faire la guerre au Yémen ?

La France a-t-elle formé des militaires saoudiens pour faire la guerre au Yémen ?
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Par Marianne

Une implication française dans la guerre au Yémen, l'une des pires crises humanitaires de ces dernières années ? Sébastien Boussois interroge notamment le rôle qu'aurait pu jouer un centre de formation à destination des militaires saoudiens, à Commercy, dans la Meuse.

Depuis le début du conflit en 2015, ce n’est plus un secret pour personne : la responsabilité de la France dans l’approvisionnement en armes qui ont tué dans la guerre au Yémen menée par ses alliés saoudiens et émiratis est largement engagée et ce en dehors de tout respect du droit international. Et compte tenu de la situation désastreuse qui prévaut au Yémen depuis, que l’ONU a qualifié de pire crise humanitaire au monde, suite au lancement de l’opération militaire par la coalition arabo-sunnite dont le noyau dur est constitué par l’Arabie saoudite pour la guerre aérienne et les Émirats arabes unis pour les opérations terrestres, la question de l’usage indiscriminé de ces armes n’a cessé de se poser. D’où pouvaient donc provenir tant d’armes et qui sont au moins à l’origine de la mort de plus de 250.000 personnes ?

Ça a été le cas avec les frappes aériennes saoudiennes et les innombrables «dégâts collatéraux» mais également avec l’utilisation des blindés français au sol, notamment les chars Leclerc vendus à Abu Dhabi. En mars 2018, le cabinet d’avocats parisien Ancile avait, à la demande de l’ACAT (Action des Chrétiens contre la Torture) rédigé un rapport détaillé et circonstancié établissant la putative illégalité de ces ventes d’armes, en contravention totale avec les principes énoncés dans la «Position Commune de l’Union Européenne» relative à la vente des armes et dans le «Traité sur le Commerce des Armes» interdisant le transfert d’armes pouvant servir à commettre des crimes de guerre, signé et ratifié par la France le 3 juin 2013 et le 2 avril 2014, et signé le 9 juillet 2013, mais à ce jour pas ratifié par les Émirats arabes unis.

Mensonge d’État

En janvier 2019, au micro de France Inter, la ministre des Armées Florence Parly affirmait n’avoir «pas connaissance du fait que des armes [françaises] soient utilisées directement dans ce conflit». Florence Parly indique n’avoir «pas d’éléments de preuve […] que des armes françaises sont à l’origine de victimes civiles au Yémen» et affirme que ces armes ne sont pas utilisées à des fins offensives à sa connaissance. Une enquête du site Disclose venait contredire ces propos le 15 avril 2019, évoquant un «mensonge d’État» en référence à une note classée confidentiel-défense, rédigée en 2018 par la direction du Renseignement militaire (DRM), qui atteste de l’utilisation d’armes françaises au Yémen : des canons CAESAR d’une portée de 42 kilomètres sont bien présents côté saoudien, à proximité de la frontière, à des fins défensives, mais «appuient également les troupes loyalistes, épaulées par les forces armées saoudiennes, dans leur progression en territoire yéménite», si bien que la DRM estime que 437 000 personnes peuvent être touchées par des bombardements.

Or, selon le site d’investigation, 52 tirs d’artillerie ont visé les périmètres exclusivement couverts par ces canons français, tuant 35 civils. D'autre part, des chars Leclerc vendus par la France aux Émirats arabes unis sont utilisés lors d'offensives de la coalition sur le territoire yéménite, selon les journalistes de Disclose. Dans les deux cas, «contrairement au discours officiel de Paris, le matériel vendu à Riyad sert de façon offensive et non simplement défensive», analyse Libération.

Légalité douteuse

Selon le journaliste du Canard enchaîné, Claude Angeli, interrogé dans un documentaire publié en septembre 2019, «la France est (bien) mêlée à une guerre inadmissible» et il s'agirait bien là d’une «co-belligérance». Outre les ONG et certains médias, le pays est également sous le feu des critiques des observateurs onusiens. Le Groupe d’experts du Conseil des droits de l’Homme des Nations Unies, chargé de documenter les violations du droit international commises au Yémen, a publié un rapport début septembre 2019 mettant en cause la responsabilité française : «La légalité des transferts d’armes effectués par la France, le Royaume-Uni, les États-Unis et d’autres États reste douteuse et fait l’objet de plusieurs procédures judiciaires dans ces Etats. Le Groupe d’experts constate que les armes qui continuent d’être fournies aux parties au conflit au Yémen alimentent le conflit et perpétuent les souffrances de la population» notent les auteurs. Or, «les États peuvent être tenus responsables de l’aide ou de l’assistance qu’ils ont fournie et qui a permis de commettre des violations du droit international».

Le cas de la Belgique illustre tout aussi parfaitement la politique irresponsable d’un certain nombre d’États-membres de l’UE, tout simplement car l’industrie de l’armement est une manne séduisante pour les pays riches qui ne peuvent plus résister. Dans une tribune parue le 14 mai 2019 sur le site Lemondearabe.fr, nous nous interrogions cette fois-ci, non pas sur les EAU, mais sur leur compagnon de mort l’Arabie Saoudite, comme porte-flingue de l’industrie belge de l’armement au Yémen. Depuis plusieurs années en effet, l’on savait que des armes fabriquées à Herstal, en Belgique, s’étaient retrouvées au milieu du champ de bataille syrien, puis depuis quelques mois qu’elles alimentaient «peut-être» l’opération de mort menée par l’Arabie Saoudite et les Émirats Arabes Unis au Yémen.

Rebooster l’économie

Dans le commerce des armes, il y a la vente et l’achat mais aussi la formation à leur usage qui rapporte gros. Voilà qu’Amnesty International revenait à la charge sur l’implication française au Yémen publiant un article d’Audrey Lebel, révélant la création maintenant d’un bien étrange centre de formation à destination des militaires saoudiens, et ce sur le sol français. En effet, à Commercy, dans la Meuse, un ancien terrain appartenant au groupe belge CMI a fait l’objet de nombreuses spéculations. Aux frais du contribuable français, la caserne n’est que le maillon d’une longue chaîne et va faire l’objet d’une réhabilitation polémique : en effet, l’entreprise belge John Cockerill a fourni à Riyad des nouvelles armes de pointe et en accord avec le Ministère de la Défense de l’époque en 2011, s’est vue octroyer la possibilité de réexploiter d’anciens terrains de manœuvre militaires notamment à … Commercy ! Selon l’auteur de l’enquête, la négociation était simple : «Le deal c’était, il rénove, il rachète le bâtiment pour en faire son centre de formation et, en contrepartie, l’armée de terre lui concède l’utilisation des terrains de manœuvre dans des conditions limitées, précises, financières. Dès 2012, la société est assurée de pouvoir mener ses activités de tirs réels sur ces terrains de manœuvre à Suippes, en Champagne. Sur le site de Commercy, il est prévu de former, en salles de classes et sur simulateurs, des militaires saoudiens au maniement de tourelles-canons Cockerill».

A l’époque, le complexe militaro-industriel joue à plein main dans la main avec le gouvernement : Gérard Longuet, ministre de la Défense d’alors, octroie cette faveur, à son grand ami Bernard Serin, le dit-ami de longue date qui possède 80% de l’entreprise belge ! La boucle était bouclée. L’argument des deux protagonistes à l’époque était bien entendu officiellement de rebooster l’économie locale du bassin de Commercy, largement sinistré depuis des années. En effet, la ville était connue pour le dynamisme du 8e régiment d’artillerie installé depuis les années 1960 à Commercy et qui avait été dissout en 2013. A l’époque, Cockerill se voit octroyer un million d’euros d’aide de l’Etat pour lancer le projet de rénovation du site. Bientôt, et ce alors que la Cour des Comptes fixait le plafond d’un tel soutien public à 600.000 euros, des militaires saoudiens viendront se former sur l’utilisation de nouvelles armes et pourront poursuivre leur entreprise de mort, entre autres, au Yémen ! En tout et pour tout, par aides diverses et variées, Cockerill a touché près de 2 millions d’aides publiques pour ce projet sinistre.

 

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