Pourquoi Riyad s’est-il absenté du sommet des pays musulmans à Kuala Lumpur ?
Par OLJ
Riyad ne participera pas au sommet de Kuala Lumpur, en Malaisie, réunissant à partir d’aujourd’hui, et pour une durée de quatre jours, plusieurs pays musulmans. Si aucun agenda officiel n’a été annoncé pour le moment, les thématiques abordées devraient inclure, entre autres, la pauvreté et l’islamophobie. Selon le Premier ministre malaisien Mahathir Mohamad, cette rencontre constitue un premier pas vers une solution à ces difficultés.
L’absence de l’Arabie saoudite ne peut passer inaperçue. Selon l’agence de presse officielle saoudienne, le roi Salmane aurait réaffirmé au cours d’un appel mardi dernier avec le Premier ministre malaisien qu’un tel sommet a vocation à se tenir sous l’égide de l’Organisation de la coopération islamique (OCI), qui compte 57 États membres et dont le siège se trouve en Arabie même, à Djeddah. L’Arabie saoudite ainsi que les Émirats arabes unis ont également fait pression sur le Pakistan avec lequel ils entretiennent d’étroites relations pour qu’il y annule sa participation. Les réticences saoudiennes s’expliquent par plusieurs facteurs. D’abord la présence des leaders de trois pays avec lesquels le royaume entretient actuellement des relations plus que tendues : le président iranien Hassan Rohani, le président turc Recep Tayyip Erdogan et l’émir du Qatar, cheikh Tamim ben Hamad al-Thani.
Le rôle du prince héritier Mohammad ben Salmane vu d’un mauvais œil
Bien que le Premier ministre malaisien ait précisé le 22 novembre dernier que ce sommet ne se veut aucunement une alternative à l’OCI, Riyad semble percevoir derrière cette initiative la possibilité de jeter les bases d’un nouveau bloc musulman qui mettrait à mal son leadership. «Alors que les dirigeants de nombreux pays à majorité musulmane voient d’un mauvais œil le leadership du prince héritier Mohammad ben Salmane, le sommet de Kuala Lumpur suggère que les pays participants s’attendent à un dialogue ouvert au sein d’un forum qui n’est pas contrôlé par les Saoudiens», explique à L’Orient-Le Jour Giorgio Cafiero, fondateur et directeur du Gulf State Analytics. «Riyad craint qu’avec la présence de la Turquie, du Qatar et de l’Iran, ses ennemis et rivaux puissent profiter du sommet pour saper son rôle de leader du monde musulman», ajoute-t-il.
L’Arabie saoudite voue une grande hostilité à l’islam politique issu des Frères musulmans, alors que la confrérie est soutenue par Ankara et Doha. Depuis 2017, Doha subit un embargo, à la fois terrestre, maritime et aérien, d’une coalition de pays arabes menée par Riyad. Ce sont les approvisionnements par navires et avions iraniens et turcs qui ont permis au Qatar d’éviter l’étranglement. « Pour Riyad, le sommet est un effort de ses rivaux dans le monde musulman pour créer un forum alternatif qui, non seulement met au défi son leadership mais aussi vise à créer un discours différent parmi les gouvernements musulmans, et plus précisément un discours plus favorable à l’islam politique et à l’islamisme », analyse Hussein Ibish, chercheur au sein du Gulf States Institute à Washington.
L’Arabie saoudite craindrait ainsi d’être isolée diplomatiquement, d’autant plus que de nombreux pays à majorité musulmane se montrent de plus en plus critiques vis-à-vis de la direction saoudienne des affaires islamiques. Qu’il s’agisse de la guerre au Yémen ou du rapprochement avec «Israël», les actions diplomatiques et militaires du royaume wahhabite ne sont pas toujours en phase avec l’opinion publique des pays musulmans.
Sort des minorités musulmanes
Les relations avec la Turquie sont également très tendues, notamment depuis l’assassinat du journaliste saoudien Jamal Khashoggi en octobre 2018 au sein du consulat de son pays à Istanbul, par des agents du royaume. Quelques mois plus tôt, en mai 2018, ni le roi ni le dauphin saoudien ne s’étaient rendus au sommet de l’Organisation de la coopération islamique, organisé en Turquie. Ankara tente de ravir le titre de leader du monde sunnite à l’Arabie, en se présentant notamment comme le fer de lance de la défense des minorités opprimées.
Dans de nombreux pays d’Asie, les communautés musulmanes subissent actuellement des discriminations de grande ampleur. C’est le cas des Ouïghours en Chine, mais aussi des Rohingyas en Birmanie.
Contrairement à l’Arabie saoudite, la Turquie, par la voix de M. Erdogan, s’est exprimée à plusieurs reprises pour condamner la politique chinoise à l’encontre des Ouïghours. Ankara avait qualifié en février 2019 de «honte pour l’humanité» la «politique d’assimilation systématique» visant cette minorité, et appelé la communauté internationale et le secrétaire général de l’ONU «à mettre un terme à la tragédie humaine qui se déroule au Xinjiang».
Dernièrement, l’Inde a également été mise sous le feu des projecteurs suite à la nouvelle loi sur la citoyenneté, qui facilite la naturalisation de réfugiés à condition qu’ils ne soient pas musulmans.