À travers des responsables du Courant du futur, un message aux Saoudiens...
Scarlett Haddad/ L'Orient le Jour
Ce serait donc le monde à l'envers. Le Liban qui se plaint depuis longtemps des ingérences syriennes dans ses affaires internes serait (ou du moins une partie des Libanais) impliqué dans les troubles actuels en Syrie ! Ce ne sont plus les propos filmés plus ou moins crédibles de deux personnes en principe arrêtées par les autorités syriennes et qui seraient passées aux aveux, mais une déclaration officielle de l'ambassadeur de Syrie au Liban Ali Abdel Karim Ali au quotidien online du Hezbollah al-Intiqad qui estime que l'implication de responsables du Courant du futur est avérée et qu'elle constitue une violation des dispositions de l'accord de Taëf. Par conséquent, ces faits, selon lui, exigent une réaction de la part des autorités libanaises.
Les Libanais n'avaient en tout cas pas besoin de ce développement pour suivre de près ce qui se passe en Syrie, tant ils restent convaincus, tous bords confondus, de l'importance pour leur propre pays de tout changement dans ce pays voisin. Avec l'annonce hier de la formation du nouveau gouvernement syrien, il semblerait que le pouvoir syrien serait en train de reprendre la situation en main, dans un mélange de réformes annoncées et de déploiement de force. Mais rien n'est encore définitivement dit. S'il est vrai que lorsqu'il a pris le pouvoir après la mort de son père le président Bachar el-Assad avait fait preuve d'une volonté d'ouverture, à travers ce qu'on avait appelé l'éphémère « printemps de Damas », il a très vite été rattrapé par la vieille garde du régime, avec laquelle il avait dû composer, avant de devoir modifier ses projets, à cause des changements importants dans le monde suite aux événements du 11 septembre 2001 et de la prise pour cible du régime syrien par la communauté internationale, via la résolution 1559. Ce sont du moins les raisons invoquées par le président syrien lui-même dans son dernier discours à la nation.
Aujourd'hui, toutefois, il aurait été naïf de croire que la contagion de l'aspiration à la liberté des populations arabes ne pouvait pas atteindre les Syriens. Selon des spécialistes de ce pays, une grande partie des manifestants est certainement motivée par le désir de liberté et de démocratie, d'autant que le régime syrien, en dépit de la bonne volonté de son président, a une approche sécuritaire très pesante pour les citoyens. Mais cela ne signifie pas que l'existence d'un complot contre le régime soit totalement à écarter. Pour les spécialistes, il est certain que le régime syrien doit procéder à des mesures de réformes rapides, tout en étant vigilant. Deraa, par exemple, est depuis l'époque du président Hafez el-Assad un fief islamiste qui a été sévèrement réprimé par le régime et qui lui voue en réponse une hostilité ouverte. À cause de la toute proche frontière jordanienne, le pouvoir en place à Damas a toujours eu du mal à contrôler cette région, où les islamistes s'étaient même dotés d'une radio qu'ils ont été contraints à fermer. Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si le leader des Frères musulmans de Syrie a donné rapidement une conférence de presse à partir de la Turquie, montrant ainsi clairement que son mouvement n'est pas étranger aux révoltes populaires. D'ailleurs, le ministre turc des AE s'est aussitôt rendu en Syrie pour expliquer la position de son pays et calmer les dirigeants syriens.
À Banias et dans ses environs (Lattaquié et Tartous), par contre, le régime syrien voit dans les émeutes les mains de ses ennemis habituels, Rifaat el-Assad, oncle du président, et Abdel Halim Khaddam, ancien vice-président, actuellement recherché par la justice syrienne. Des sources proches du régime affirment d'ailleurs que deux personnes arrêtées à Banias seraient des proches de Khaddam et seraient déjà passées aux aveux. Un peu à l'image des aveux diffusés par la chaîne officielle syrienne sur une implication de responsables au sein du Courant du futur. D'ailleurs, les sources proches du pouvoir syrien estiment qu'il s'agirait en fait d'un même camp qui complote depuis au moins 2005 contre le régime avec l'aide de parties étrangères.
Des sources libanaises estiment qu'il ne s'agit pas là d'une affaire appelée à être rapidement réglée, les autorités syriennes visant, à travers l'implication du Courant du futur, l'Arabie saoudite. Ce serait en quelque sorte « un appel du pied », les Syriens estimant que leur appui à l'intervention saoudienne à Bahreïn, en dépit de la position iranienne, n'aurait pas été apprécié à sa juste valeur en Arabie saoudite, où selon certaines informations le roi serait affaibli en raison de sa maladie et où les rênes du pouvoir seraient pour l'instant entre les mains de l'émir Nayef et de son neveu l'émir Bandar ben Sultan.
Vraies ou fausses, les accusations portées par les autorités syriennes contre des responsables du Courant du futur seraient donc un message adressé aux Saoudiens. Consisterait-il à demander aux Saoudiens de donner un coup de pouce à la formation du gouvernement Mikati et à réduire ainsi l'appui accordé au Premier ministre chargé des affaires courantes ? Les prochains jours devraient être porteurs de plus de précisions, d'autant que les autorités syriennes semblent déterminées à ne pas étouffer cette affaire. À moins qu'il ne s'agisse pour ces autorités d'un moyen pour détourner l'attention de la population de la revendication de réformes consistantes, tant le président aurait les mains liées par certains de ses proches réfractaires à des réformes en profondeur...