Pourquoi les femmes fuient l’Arabie saoudite de Mohammed ben Salmane
Les Saoudiennes ont besoin d’une solution politique qui garantit leur sécurité plutôt qu’un État qui les autorise à assister à des matches de foot, à aller au cirque et au cinéma.
L’Arabie saoudite rencontre un problème social qui nécessite une solution politique urgente. Estimées à plus d’un millier de cas, les fugues de femmes sont désormais monnaie courante dans les médias.
Rahaf al-Qunun, la jeune femme de 18 ans qui, pour échapper à sa famille lors d’un voyage vers l’Australie, s’est barricadée dans une chambre d’hôtel de l’aéroport de Bangkok, où elle a partagé sur les réseaux sociaux sa détresse et ses craintes d’être forcée à retourner en Arabie saoudite, a été placée sous la garde de l’ONU pour être acceptée en tant que réfugiée et a finalement rejoint le Canada où elle s’attend à mener une vie normale.
Ramener les filles
Le gouvernement saoudien pourrait avoir essayé, sans succès, de la rapatrier de force. Lors de précédentes affaires similaires, le personnel de l’ambassade saoudienne était intervenu et avait contraint les autorités aéroportuaires à coopérer et à ramener les filles. Rahaf a peut-être eu de la chance, mais ce n’est pas le cas de Dina Ali Lasloom.
En avril 2017, Lasloom avait rendu public son cas depuis l’aéroport de Manille : « Ils ont confisqué mon passeport et m’ont enfermée pendant treize heures […] Si ma famille vient, ils me tueront. Si je retourne en Arabie saoudite, je vais me faire tuer. Aidez-moi. »
À des milliers de kilomètres de l’Arabie saoudite, la jeune femme de 24 ans a été arrêtée à l’aéroport international Ninoy Aquino de Manille pendant une escale en route pour Sidney. Deux de ses oncles, qui sont arrivés dans le but de la ramener en Arabie saoudite, l’ont enlevée à l’aéroport.
Elle a crié et s’est débattue lorsqu’ils l’ont embarquée de force sur le vol SV871 de la compagnie Saudia à destination de Djeddah.
Les autorités philippines, signataires de la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés de l’ONU, ont nié avoir coopéré avec les Saoudiens dans cette affaire. Cependant, contraindre une adulte à embarquer dans un avion contre sa volonté n’est pas chose aisée sans la coopération de la police et des agents de l’immigration de l’aéroport.
Dans le cas de Dina Ali Lasloom, des responsables de la sécurité de la compagnie aérienne ainsi que deux hommes se sont assurés de son rapatriement forcé en Arabie saoudite, selon les récits des témoins.
La détresse des Saoudiennes
En mai 2017, seulement un mois après l’affaire Lasloom, qui a été vivement débattu dans la presse saoudienne et à l’international, deux sœurs, Ashwaq et Arij Hamoud, se sont enfuies en Turquie pour chercher asile, selon plusieurs courtes vidéos qu’elles ont enregistrées sur leurs téléphones portables.
Elles ont posté les vidéos en ligne et affirmé que leur famille les avait maltraitées physiquement et les avait forcées à vivre comme des prisonnières dans leur propre maison. Selon un article, les autorités turques ont arrêté les sœurs fugueuses, âgées de 18 et 19 ans, suite à la demande de leur famille de les ramener par l’intermédiaire de l’ambassade saoudienne.
Les cas de Dina, Ashwaq, Arij et maintenant Rahaf – entre autres – confirment un récit persistant sur le sort tragique des femmes saoudiennes qui sont corsetées par leur famille, l’État, leur culture et la coopération de gouvernements étrangers.
Ces affaires portaient toutes sur deux questions : d’abord, le système de tutelle qui concerne l’autonomie, la liberté et les choix des femmes. Celui-ci limite les femmes d’une manière qu’on ne peut imaginer dans d’autres pays. Une femme n’est pas une personne sur le plan juridique et reste incapable de mener une vie libre de l’autorité des autres, principalement de ses proches de sexe masculin.
Le système de tutelle (wilaya ou wisaya) n’est pas légalement codifié mais est mis en œuvre par une série d’arrangements bureaucratiques informels et formels stipulant qu’un père, un mari, un frère ou même un fils ont le pouvoir absolu d’approuver des questions qui dictent la vie quotidienne des femmes.
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La vraie réforme
Tandis que beaucoup gardent le silence, quelques femmes ont rendu public leurs cas de maltraitance. Plus de dix ans après que la célèbre présentatrice de télévision, Rania al-Baz, a été gravement battue et défigurée par son mari alcoolique et a lutté pour se libérer de lui, de nombreuses femmes plus jeunes cherchent également à fuir. Le cas d’al-Baz a été repris par une organisation caritative sous le patronage d’une princesse.
Ce n’est que lorsque la présentatrice a été gravement défigurée qu’elle a été sauvée et soignée à l’hôpital. Cela ne s’est produit qu’après qu’un crime passionnel est devenu une affaire d’État. Elle s’est ensuite rendue en France où ses mémoires ont été publiées en 2005. Malgré ses blessures, son vol vers la France lui a permis d’enregistrer sa présence en tant que femme saoudienne maltraitée.
Rahaf, la dernière fugueuse en date, est désormais au Canada. Cependant, la solution à ce problème n’est pas la fugue. Les Saoudiennes ont besoin d’une solution politique qui garantit leur sécurité plutôt qu’un État qui les autorise à assister à des matches de foot, à aller au cirque et au cinéma.
La vraie réforme aura lieu lorsque les femmes – mais aussi les hommes – pourront se sentir en sécurité dans leur propre pays, libres de tout abus de la part de la famille ou des agents de l’État. Seule une volonté politique forte est susceptible de mettre fin au patriarcat oppressif qui limite les choix des femmes.
Source : middleeasteye