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Tunisie: Les Tunisiens tentent de briser la chape de plomb qui les étouffe (La Tribune)

Tunisie: Les Tunisiens tentent de briser la chape de plomb qui les étouffe (La Tribune)
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11 Janvier 2011
Abdelkrim Ghezali
La colère de la rue tunisienne ne semble pas s'essouffler malgré la répression qui a fait plus de vingt morts parmi les manifestants, en majorité des jeunes qui protestent contre leur situation socio-économique avant que l'opposition joigne sa voix à celle de la jeunesse tunisienne, pour soutenir leur combat pacifique, exiger la libération des détenus, y compris les détenus politiques, un plan économique de développement de la Tunisie profonde et l'ouverture du champ politique et médiatique.
Ce vent de protesta qui souffle sur le Maghreb semble avoir du souffle en Tunisie. Le suicide du jeune Mohamed Bouazizi à Sidi Bouzid a été l'étincelle qui a enflammé la mèche plantée dans une poudrière latente depuis de longues années.
L'ampleur du mouvement et sa consistance aussi bien sociale que politique sont confirmées par la position de la centrale syndicale tunisienne, l'UGTT, une organisation satellitaire pompier du régime qui soutient ouvertement l'action d'une jeunesse lasse de la chape de plomb qui pèse sur elle et de l'absence de perspectives sérieuses de la prise en charge de ses préoccupations socio-économiques.
Même le choix de l'opposition tunisienne, traditionnellement frileuse et qui évite toujours une confrontation avec le pouvoir, est assez révélateur sur la nature de l'éruption juvénile. Mais l'indice qui ne trompe pas est perceptible à travers la réaction du pouvoir lui-même.
Au début du mouvement de protestation, Ben Ali a minimisé l'action de la rue de Sidi Bouzid et son débordement dans quelques localités du centre-ouest du pays. Un léger remaniement ministériel a suivi une menace directe contre les jeunes et leur «chahut».
Constatant que les menaces n'avaient eu aucun effet sur un mouvement circonscrit, le gouvernement a opté pour une répression totale, ignorant la nature d'une contestation qui couvait depuis des années et exacerbée par les retombées de la crise financière mondiale et la fragilité de l'économie tunisienne trop dépendante du marché européen en récession.
La répression féroce a provoqué ce que le pouvoir ne semblait pas avoir prévu: l'embrasement général puisque la colère de Sidi Bouzid s'est propagée comme une traînée de poudre à travers tout le pays, y compris dans la bande côtière mieux lotie que l'intérieur de la Tunisie.

Réaction brutale du régime
Face à ce tsunami, Ben Ali a ordonné à l'armée d'intervenir, ce qui a aggravé davantage la situation. Selon les chiffres officiels, quatorze personnes sont mortes par balle, alors que d'autres sources sur le terrain parlent d'une vingtaine de morts. L'opposition, jusque-là timorée et attentiste, a fini par s'impliquer et fédérer ses forces pour s'entendre sur un communiqué commun.
L'Union démocratique unioniste (UDU, opposition, huit sièges au Parlement) a appelé dimanche dernier à une action «urgente» du président tunisien Zine El Abidine Ben Ali et exigé l'«arrêt immédiat» de tirs à balles réelles contre les civils.
Ce parti considéré comme proche du pouvoir a dit «condamner les tirs à balles réelles et exiger l'arrêt immédiat de l'usage des armes à l'encontre des citoyens», dans un communiqué publié à l'issue d'une réunion d'urgence.
Il y demande au président Ben Ali d'intervenir «d'urgence pour assainir le climat, rétablir la confiance et restaurer le calme», exigeant le jugement de «toute personne ayant ordonné l'usage des armes afin d'éviter au pays le risque d'interventions étrangères dans ses affaires nationales».
Dans le texte signé par son secrétaire général Ahmed Inoubli, l'UDU réitère son «alignement et appui aux revendications légitimes et à leur expression par des moyens pacifiques», tout en rejetant les atteintes aux biens publics et privés.
Ce parti suggère la création d'un fonds de chômage pour les sans-emploi parmi les diplômés de l'université sévèrement atteints par le chômage. Le mouvement Ettajdid (légal, un siège au Parlement) s'est dit «choqué» par une «escalade dangereuse» et appelé, lui aussi, le président Ben Ali à des «mesures urgentes pour l'arrêter».
Ce parti, ainsi que la Ligue de défense des droits de l'Homme (LTDH) ont demandé au pouvoir de mettre fin à l'usage des armes et de «renvoyer l'armée dans les casernes».
Selon la LTDH, la flambée de violence à Thala et Kasserine a été provoquée par une campagne d'arrestations avec des violations de domicile des manifestants. Auparavant, un dirigeant de l'opposition avait appelé M. Ben Ali à ordonner un «cessez-le-feu immédiat» et fait état d'au moins vingt personnes tombées sous les balles à Thala et Kasserine, dans le centre-ouest de la Tunisie.
«On a tiré sur les cortèges funèbres», avait affirmé à l'AFP Ahmed Nejib Chebbi, chef historique du Parti démocratique progressiste (PDP, opposition légale), expliquant son appel. Même le gouvernement tunisien a réitéré la légitimité du mouvement social en Tunisie, mais fustigé des médias accusés «d'exagérer ou de déformer les faits».
«Depuis le regrettable suicide du jeune Mohamed Bouazizi à Sidi Bouzid, des manifestations sociales se déroulent en Tunisie, les populations dans leurs différentes composantes s'expriment librement  pour faire connaître leurs revendications», a-t-il déclaré.
«Ce mouvement social est légitime et les revendications des citoyens en faveur de l'emploi ont toutes leur place», admet le gouvernement, qui évoquait auparavant des incidents «isolés» instrumentalisés par des opposants.
Les autorités ont, en outre, réitéré leur rejet des «actes de destruction et de vandalisme contre des biens publics par des groupes de personnes ayant fait usage de cocktails Molotov, de pierres et de bâtons» lors des affrontements du week-end à Thala et Kasserine.
Ce changement de ton coïncidait avec un week-end sanglant dans ces deux villes, ainsi qu'à Regueb, près de Sidi Bouzid, ayant fait quatorze morts, selon le dernier bilan officiel et au moins vingt tués par balle, selon des sources de l'opposition et des syndicats.

Les médias incriminés
Le gouvernement a cependant fustigé «l'acharnement de certains médias étrangers, qui n'hésitent pas à exagérer les faits ou à les déformer», les rendant responsables de «réactions irrationnelles, comme l'acte terroriste qui a ciblé le consulat de Tunisie à Pantin, en région parisienne, en France».
«Cet acte est la conséquence de la campagne de manipulation et d'exagération médiatique orchestrée par certains médias étrangers, qui ne font pas preuve de neutralité et d'objectivité dans la couverture de l'actualité tunisienne, et s'amusent souvent à susciter ou à attiser la haine et l'intolérance», a estimé le gouvernement.
Les autorités avaient vivement stigmatisé la couverture de la chaîne de télévision satellitaire Al Djazira, très suivie en Tunisie, alors que la presse s'en prenait récemment à France 24.
Dans un geste d'ouverture, le gouvernement a autorisé la venue d'une équipe de la chaîne française TF1 à Sidi Bouzid, principal foyer de la révolte inédite contre le chômage et la précarité sociale depuis la mi-décembre.
Le changement dans le discours officiel vise à limiter la protestation à son aspect social afin d'empêcher les courants politiques d'opposition de récupérer le  mouvement et de remettre en cause l'ordre imposé par Ben Ali: une économie ultralibérale dépendante de l'Union européenne et favorable aux seuls hommes d'affaires alliés au pouvoir et un régime politique sclérosé et fermé où l'opposition fait figure d'alibi d'une démocratie de façade.

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