Mohammed Ben Salmane répand le chaos au Moyen-Orient, selon un magazine français
Le prince héritier saoudien, Mohammed Ben Salmane se vend à l’Occident comme le grand modernisateur du royaume, quand sa politique étrangère demeure au contraire un fiasco absolu. Dernier épisode en date, le retrait du Premier ministre libanais a donné une fois de plus l’image d’un pouvoir saoudien brouillon, sans boussole. Et qui n’a jamais été aussi autoritaire.
La semaine passée, les lecteurs du New York Times au fait des affaires saoudiennes ont dû s'étrangler en découvrant la nouvelle production de Thomas Friedman. Dans son article daté du 23 novembre, l’éditorialiste vedette du quotidien américain dresse les louanges du prince héritier, Mohammed Ben Salmane, qu’il dépeint en «modernisateur» de son Etat.
Une promotion royale financée à coups de millions
Mieux: Friedman tente un parallèle osé et bombarde le prince promoteur d’un nouveau «printemps arabe», annonciateur de temps meilleurs pour la région. Le texte prêterait à rire s'il ne foulait pas aux pieds les activistes emprisonnés en Arabie et les milliers de victimes civiles des guerres saoudiennes. Bon nombre d'analystes n'ont pas manqué de réagir à ce qui s'apparente comme un nouvel épisode de la grande offensive de communication de «MBS», comme il est désormais coutume de désigner le prince héritier dans la presse internationale et sur les réseaux sociaux.
Comment en est-on arrivé là? En 2016 déjà, le quotidien Le Monde pointait les efforts de communication du royaume saoudien en direction de la France, à grand renfort de millions dépensés dans les agences spécialisées. Une offensive qui a visiblement porté ses fruits dans l’ensemble du monde occidental, et chez Thomas Friedman, un éditorialiste il est vrai un peu particulier, tout désigné à la tâche de la promotion saoudienne: il ne rencontre que les élites, ne parle pas un mot d’arabe, et s’émancipe généralement de tout travail journalistique pour bâtir ses articles. Le parfait client, en somme, pour tomber dans le panneau saoudien. Pour l’éditorialiste du NYT et une partie de la presse internationale, MBS est ce prince saoudien émancipateur que le Moyen-Orient attendait. La réalité du royaume est pourtant tout autre.
Que se passe-t-il en Arabie Saoudite depuis l’avènement de MBS? Né en 1985, futur homme fort du pays, MBS accumule les bourdes depuis son arrivée sur le devant de la scène. Certes, il y eut l’annonce du plan Vision 2030 (tous les détails) censé émanciper le pays de l’économie pétrolière, ou du moins la diversifier. Plus récemment, ce furent les Saoudiennes qui gagnèrent, après des années de luttes, le droit de conduire. Début novembre, il y eut enfin les dizaines d’arrestations de dignitaires saoudiens, accusés notamment de corruption, et dont la libération pourrait finalement être acceptée par le régime actuel, moyennant le legs d’une partie significative de leur fortune.
Depuis plusieurs mois, l’Arabie et MBS font donc régulièrement la une des médias du monde entier. Un écran de fumée derrière lequel il est temps d’aller jeter un œil. S’il reconnaît l’existence d’un processus «que l’on peut qualifier de modernisation, en particulier sur des questions sociétales, mais encore faudrait-il définir ce qu’est la modernité», Stéphane Lacroix, chercheur au CERI-Sciences Po et fin connaisseur du pays, précise que «MBS prend acte d’une société qui a changé. Cela fait longtemps qu’en Arabie Saoudite, la majorité silencieuse est favorable au droit des femmes à conduire. Il ne pratique donc qu’une mise à jour, certes audacieuse, d’une société qui a évolué».
Sur le plan économique, même effet trompe-l’œil. Oui, il faut diversifier et mettre fin à une situation d’Etat rentier qui ne peut pas perdurer. Mais le plan Vision 2030 le permettra-t-il? «Si le diagnostic de MBS est le bon, ses solutions ont l’air intéressantes à première vue, poursuit Stéphane Lacroix. Mais en réalité, tout cela est essentiellement écrit par des personnes basées dans des cabinets de consulting aux Etats-Unis, qui connaissent très peu la réalité saoudienne. En fait, c’est un gigantesque plan de com, et il y a de quoi être très sceptique quant aux résultats futurs.»
Des accusations de corruption à visée stratégique
Derrière la communication, une réalité, implacable: jamais l'Arabie Saoudite n’a été aussi autocratique et soumise au bon vouloir du prince. Jusqu’en 2015, la logique interne d’équilibre entre les clans saoudiens permettait une relative pluralité d’opinions. Depuis deux ans, les arrestations décidées par le prince se sont au contraire multipliées.
Quant aux accusations de corruption, elles prêtent à sourire au regard de l’opacité totale qui entoure les rapports économiques au sein du royaume saoudien, et notamment la ligne très floue entre les secteurs public et privé.
«Le système saoudien souffre d’une corruption endémique, pointe Stéphane Lacroix, mais ce n’était même plus perçu comme de la corruption par les acteurs locaux, c’est comme ça que le système fonctionnait. Dans ce contexte où tout le monde est coupable, il est évident que mettre en prison certaines personnes plutôt que d’autres relève d’une décision politique.»
A ce jour, l'Arabie Saoudite n’a toujours pas publié de liste officielle des personnes arrêtées pour corruption.
Le fiasco de la politique extérieure
Voilà pour le domaine de la politique intérieure, où MBS est l’homme de la reprise en main. A l’international, au-delà de la com, l'activisme de Mohammed Ben Salmane pour lutter contre le rival iranien s’aligne sur la communication du président américain, Donald Trump, mais fait pour l'heure figure de fiasco. Ministre de la Défense depuis 2015, MBS s’est lancé à corps perdu dans une guerre au Yémen devenue un bourbier inextricable. «Les forces de la coalition dirigée par l’Arabie Saoudite ont commis au Yémen des violations graves du droit international, dont certaines étaient des crimes de guerre», écrit l’ONG Amnesty International. Puis ce fut le blocus imposé au Qatar, dont l’Arabie ne tire aucun bénéfice.
Tout dernièrement enfin, le Premier ministre libanais, que le régime saoudien soutient, a annoncé sa démission depuis Riyad. Mais l’effet fut contraire à ce que MBS escomptait. Et le Hezbollah, visé par l’Arabie, n’est pas sorti affaibli de cette séquence. Depuis, l’Arabie Saoudite ne sait plus où donner de la tête et cherche à consolider son alliance avec «Israël» pour se donner une contenance et l’air de lutter de manière volontariste contre l’influence de leur «ennemi commun», l’Iran.
Mais les comptes n’y sont pas, et les observateurs pas (tous) dupes. Crimes de guerre au Yémen, déstabilisation au Liban, faillite de la stratégie face au Qatar… Sous MBS, l’Arabie Saoudite est cet Etat autocratique, en difficulté sur les questions internationales. On aimerait pouvoir écrire, comme Thomas Friedman, que le nouveau pouvoir saoudien est «l’inspirateur d’un nouveau printemps arabe». Pour l’heure, il en est au contraire l’un des premiers fossoyeurs.
Source: Les Inrockuptibles