Des humanitaires britanniques travaillant en Syrie ont été déchus de leur nationalité
Des humanitaires affirment se retrouver bloqués en Syrie. La secrétaire d’État à l’Intérieur a jugé qu’ils «représentaient un risque pour la sécurité nationale du Royaume-Uni».
Le gouvernement britannique est en train de déchoir de leur nationalité des humanitaires britanniques, a appris Middle East Eye.
Au moins deux humanitaires, basés au nord de la Syrie, se sont vus retirer leur nationalité au motif qu’ils «représentent un risque pour la sécurité nationale du Royaume-Uni», selon des lettres envoyées récemment à leurs familles par la secrétaire d’État à l’Intérieur, Amber Rudd.
Dans un autre cas, un volontaire ayant fourni de l’aide en Syrie et travaillé sur des projets caritatifs aurait été «impliqué dans des activités liées au terrorisme» et à «des activités extrémistes».
Les trois personnes concernées disent n’avoir jamais combattu en Syrie et aucune n’a été accusée d’une quelconque infraction au Royaume-Uni en relation avec une activité dans le pays. MEE a choisi de ne pas révéler leur identité car tous les trois sont en train de s’organiser pour faire appel et être réhabilités dans leur citoyenneté.
Tous les trois possèdent des enregistrements prouvant qu’ils travaillaient bien comme humanitaires et qu’ils étaient en lien avec de nombreuses organisations humanitaires et caritatives reconnues au Royaume-Uni et ailleurs pour faciliter le passage de ravitaillement dans les régions aux mains des rebelles, et pour aider à gérer des structures pour les Syriens déplacés à l’intérieur du pays.
«Associé à un groupe affilié à al-Qaïda»
Une des personnes ciblées affirme à MEE que selon la lettre envoyée à sa famille, il était considéré comme «associé à un groupe affilié à al-Qaïda».
«Je suis un travailleur humanitaire. Tout ce que je fais est transparent. Ils croient que je suis affilié à al-Qaïda, ce qui est ridicule», affirme-t-il. «Nous risquons notre vie chaque jour pour aider des gens et ils nous taxent de terroristes».
Jahangir Mohammed, un consultant qui travaille avec des associations caritatives au Royaume-Uni qui envoient de l’aide en Syrie souligne que le fait que les humanitaires mènent des opérations dans la même région où se trouvent des groupes armés ne signifie pas pour autant qu’ils sont «associés» à ces groupes.
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Un des humanitaires explique à MEE avoir été autorisé à voyager à plusieurs reprises entre le Royaume-Uni et la Syrie, plus tôt au cours du conflit, malgré plusieurs interrogatoires menés par la police antiterroriste sur son activité dans les ports et les aéroports.
Mais il précise que sa citoyenneté lui a été retirée alors qu’il avait quitté le Royaume-Uni pour une période prolongée.
«À l’époque, on ne me considérait pas comme une menace. Et maintenant que je ne suis pas dans le pays, j’en suis une. Si je suis une menace simplement parce que je suis allé en Syrie, alors tout ce qu’ils font, c’est criminaliser la compassion».
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«Cour secrète»
Tous les trois demandent que leur nationalité britannique soit rétablie, mais ce processus est compliqué par le fait que le gouvernement a refusé de révéler la totalité des informations sur lesquelles il a fondé ses décisions.
Dans les trois affaires, Rudd a écrit que les décisions avaient été prises «en partie sur des informations qui, à [son] avis, ne devraient pas être rendues publiques dans l’intérêt de la sécurité nationale et parce que leur divulgation serait contraire à l’intérêt général».
Les appels dans les affaires de déchéance de la nationalité sont initialement entendus par la Commission spéciale des recours en matière d’immigration (SIAC), une salle sans fenêtre en sous-sol, située dans une rue derrière la Cour royale de justice de Londres, qui a été qualifiée de «cour la plus secrète» d’Angleterre.
La SIAC traite principalement des affaires de sécurité nationale dans lesquelles les appelants et leurs avocats ne sont pas autorisés à voir tous les éléments de preuve présentés contre eux par les services de sécurité.
Au lieu de cela, des avocats approuvés par le gouvernement, connus sous le nom d’avocats spéciaux, sont nommés pour les représenter, mais ils ne peuvent pas parler avec l’appelant ou son équipe juridique de ce qu’il est convenu d’appeler le «dossier confidentiel» de l’affaire.
Le matériel expurgé présenté par le gouvernement dans les cas de déchéance de nationalité comprend des pages dans lesquelles chaque mot est noirci.
Le processus est d’autant plus compliqué que tous les appelants se trouvent hors du pays et dans l’incapacité de retourner au Royaume-Uni, et que la résolution des trois affaires pourrait prendre des années.
Un avocat ayant une expérience du processus SIAC explique à MEE que se battre dans de telles affaires est incroyablement frustrant en raison des difficultés liées à la constitution d’un dossier au nom d’un client interdit de retour au Royaume-Uni, et qui n’est peut-être même pas en mesure de rencontrer son équipe juridique en personne.
«Le fait que vous ne pouvez pas parler au [client] en personne est incroyablement difficile. Vous ne pouvez pas avoir de conversations sur des documents expurgés par téléphone. Vous devez le faire face à face», souligne l’avocat.
Afflux de militants de Syrie
Le gouvernement britannique a souligné son utilisation de plus en plus fréquente du pouvoir de déchéance de la nationalité en raison de la menace que représentent les combattants britanniques revenant de Syrie après l’effondrement du groupe «Daech», qui a rallié un nombre important de ressortissants occidentaux à sa cause.
Un article publié dans le Sunday Times en juillet indiquait que «plus de 150 djihadistes et autres criminels ont été déchus de leur nationalité et interdits de retour en Grande-Bretagne» par crainte d’un «afflux de militants de Syrie».
Matthew Gibney, professeur de politique et de migration forcée au Refugee Studies Centre de l’Université d’Oxford, a estimé que ces chiffres étaient exagérés car le journal semblait également avoir inclus des ordonnances de déchéance de la nationalité pour des raisons autres que la sécurité nationale, telles que la fraude et la confiscation de passeport.
Les chiffres officiels les plus récents indiquent que 33 personnes ont été déchues de la nationalité britannique au motif que cela était « favorable à l’intérêt général » entre mai 2010 et décembre 2015. Quatre de ces affaires dataient de 2014 et cinq de 2015.
«Il est vrai qu’ils sont devenus beaucoup plus disposés à déchoir de la nationalité et à priver les gens de passeports», relève Gibney pour MEE. «Si vous voulez un chiffre plus sûr concernant ces privations, je dirais qu’il s’agit d’environ 45 à 50 cas depuis environ 2011».
Gibney remarque que le gouvernement britannique dispose de plus vastes pouvoirs de déchéance de la nationalité que tout autre État occidental.
«La norme veut que le ministre de l’Intérieur, sans aucune sorte de décision de justice au préalable, juge que votre nationalité n’est pas favorable à l’intérêt général»
«C’est une norme incroyablement large, et elle distingue le Royaume-Uni des pays occidentaux comme le pays où la nationalité est, pour un grand nombre de personnes, la plus précaire».
Source : wikistrike.com et rédaction