Emile Lahoud, « le président résistant »…
Par Soraya Hélou
Lorsque le 23 novembre 2007 à minuit, le président Emile Lahoud quitte le palais de Baabda sans laisser les lieux à son successeur, les Libanais, les yeux rivés sur leurs petits écrans, assistent à une scène poignante: courageux et digne jusqu'à bout, l’homme quitte le palais qu’il a occupé pendant neuf années, dont trois très dures, salué par la garde présidentielle et déclare d’une voix qui ne faiblit pas: « Ne craignez rien. Quand nous sommes dans notre droit et que nous le défendons, nul ne peut nous vaincre ». Il monte dans sa voiture sans un regard en arrière et commence une nouvelle étape dans sa vie riche en responsabilités.
Ce soir-là, Emile Lahoud est sans doute entré dans les cœurs, mais il était déjà dans l’Histoire. Il y est entré depuis longtemps, lorsque jeune officier, il a résisté seul à Bachir Gemayel, alors chef des Forces libanaises, et à ses hommes qui voulaient occuper la caserne de Fayadieh. Il a poursuivi sur sa lancée, s’opposant aux ordres quand il estimait qu’ils n’étaient pas sages, défendant au prix de sa promotion, sa foi dans une armée au service du Liban, et au-dessus des considérations confessionnelles et politiques.
Nommé commandant en chef de l’armée après Taëf et au moment de l’éviction du général Michel Aoun du palais de Baabda, il a hérité d’une armée divisée et exsangue, démoralisée et sans moyens. Avec entêtement, il s’est appliqué à la réunifier sur de nouvelles bases, procédant à un mélange des brigades, pour détruire les barrages confessionnels et politiques érigés entre les soldats. Il a dû pour cela s’opposer à la classe politique et même au président Elias Hraoui qui estimait qu’une telle démarche était prématurée. Tout comme il s’est opposé à ses supérieurs lorsqu’il a donné l’ordre à l’armée de cesser d’arrêter les résistants au Sud et, au contraire, de les aider et de faciliter leur mission.
En 1993, il s’est une nouvelle fois opposé à ses supérieurs qui lui demandaient de déployer l’armée au Sud, quitte à affronter le Hezbollah. Ce refus d’obéir aux ordres reçus lui a d’ailleurs valu l’estime du président syrien Hafez Assad et le respect de la classe politique. C’est donc à lui qu’on doit la réunification de l’armée et l’établissement d’une nouvelle idéologie militaire qui considère "Israël" l’ennemi et le Hezbollah le complément sur le terrain. Il a ainsi établi une coordination étroite avec la résistance et ce tandem a porté ses fruits en 2000 avec la libération du territoire et le retrait précipité et humiliant des troupes israéliennes.
Peu loquace, Emile Lahoud, élu président en 1998, n’avait pas l’habitude d’expliquer ses décisions aux citoyens. Militaire de carrière et de comportement, il agissait selon ses convictions et croyait que tout le monde devait suivre. Il s’est ainsi opposé à la secrétaire d’Etat américaine Madeleine Albright qui lui demandait, en mai 2000, de faire passer le retrait israélien inachevé, parce qu’il restait Chebaa et quelques autres points, pour un retrait total, quitte à adopter un double langage, un pour la communauté internationale et un autre pour les parties internes. Mais Emile Lahoud n’a rien voulu entendre, estimant que la coordination entre l’armée et le Hezbollah est un choix stratégique de nature à sauver le Liban des ambitions israéliennes et surtout du plan occidental d’implanter les réfugiés palestiniens sur le territoire libanais. Pour lui, l’équation était on ne peut plus simple: "Israël" est l’ennemi. Il a des visées sur le Liban, non seulement sur le plan du territoire, mais aussi sur l’eau, et encore sur le principe, car la coexistence à la libanaise est une menace pour l’Etat sioniste raciste. Il faut donc tout mettre en oeuvre pour s’opposer aux plans israéliens, en aidant la résistance et en consolidant l’unité interne. Cette clarté dans les positions
n’était pas fréquente dans les milieux politiques, surtout au niveau de la présidence, en principe plus diplomate, surtout avec l’Occident, et elle a irrité de nombreuses parties, notamment occientales. Il fallait donc briser cette chaîne de solidarité entre le Hezbollah et la présidence à travers l’armée et dans ce contexte, Emile Lahoud était devenu l’homme à abattre. Une campagne féroce, locale et internationale a été menée contre lui, et dans les dernières années de son mandat, il a été soumis à un boycott total de la part de l’Occident et de ses alliés. Mais Lahoud a tenu bon, multipliant les déclarations pour défendre la résistance surtout pendant la guerre de 2006, et refusant de quitter son poste avant l’expiration de son mandat le 23 novembre 2007 à minuit, en dépit des terribles pressions exercées sur lui. Dans son palais presque désert au cours des trois dernières années de son mandat, il répétait à ses rares visiteurs : « Que m’importe ce que l’Occident et ses alliés disent de moi. J’agis selon mes convictions et le qualificatif de « président résistant » qui m’a été attribué me suffit ».
Résistant, Emile Lahoud l’a été et l’est toujours à plus d’un titre. Contre l’ennemi israélien mais aussi contre les tentations matérielles, les offres prestigieuses et les sollicitations diverses, convaincu jusqu’au bout qu’un jour, l’Histoire lui rendra justice. Ce jour est arrivé bien plus vite que prévu…