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Ariel Sharon, la fin d’un criminel de guerre

Ariel Sharon, la fin d’un criminel de guerre
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Le général Ariel Sharon s'est donc éteint le samedi 11 janvier 2014, après de longues années de coma. Le président François Hollande a publié un communiqué qualifié par Le Point de «lapidaire» : il «a été un acteur majeur dans l'histoire de son pays. Après une longue carrière militaire et politique, il a fait le choix de se tourner vers le dialogue avec les Palestiniens. Je présente mes condoléances sincères à sa famille et au peuple d'Israël».

On a connu effectivement des textes plus chaleureux, mais fallait-il vraiment présenter ses condoléances au peuple d'«Israël» ? Il aurait mieux valu les offrir aux Palestiniens et aux milliers de victimes dues à l'action directe de cet officier.

La plus célèbre, si l'on peut dire, est celle des camps de Sabra et Chatila. Mais le parcours de Sharon est jonché de cadavres et il n'est pas inutile de rappeler quelques-uns de ses exploits.

Le premier connu eut lieu le 14 octobre 1953 dans le village de Qibya, en Cisjordanie (à l'époque sous souveraineté jordanienne). En représailles à une action de commandos palestiniens qui avait fait plusieurs victimes civiles, l'unité 101 de l'armée israélienne, sous le commandement de Sharon, pénètre dans le village et dynamite une cinquantaine de maisons avec leurs habitants. Bilan : soixante-neuf morts palestiniens.

Lors de l'agression israélienne contre l'Egypte en octobre 1956 (qui fait suite à la nationalisation de la compagnie du canal de Suez par Gamal Abdel Nasser), une unité commandée par Sharon s'empare de la passe de Mitla. On devait apprendre en 1995 que plusieurs dizaines de prisonniers égyptiens, mais aussi une cinquantaine d'ouvriers capturés par hasard ainsi qu'une cinquantaine de fedayin palestiniens avaient été tués lors de cette opération.

Ariel Sharon, la fin d’un criminel de guerre

Il faudrait dire aussi un mot du «rétablissement de l'ordre» à Gaza en 1970-1971, une opération qui a duré des mois et a abouti à la destruction de centaines de maisons, et à la mort d'un nombre incalculable de Palestiniens (avez-vous remarqué que, dès qu'il s'agit de morts palestiniens, on ne connaît jamais les chiffres exacts ? Ils forment toujours une masse sans noms et sans visages).

Mais les exploits les plus éclatants de Sharon sont les massacres de Sabra et Chatila, qui ont lieu à la suite de l'invasion israélienne du Liban à l'été 1982, invasion qui en soit est déjà un crime passible de la justice internationale et qui provoquera des milliers de morts.

Human Rights Watch rappelle, dans un communiqué publié le 11 janvier 2014, «Israel : Ariel Sharon's Troubling Legacy. Evaded Prosecution Over Sabra and Shatilla Massacres» sa responsabilité dans les massacres des (camps palestiniens) Sabra et Chatila au Liban, durant lesquels des centaines (là aussi les chiffres varient, mais sans doute plus d'un millier) de Palestiniens, hommes, femmes, vieillards et enfants furent sauvagement exterminés. Ces atrocités ont été commises par les Phalanges libanaises, alliées d'Israël, sous l'œil de l'armée israélienne qui encerclait les camps palestiniens.

«En février 1983, la Commission Kahane, commission officielle d'enquête israélienne sur ces événements, note HRW, a estimé que "Sharon n'a pas pris sérieusement en considération... le fait que les phalangistes étaient susceptibles de commettre des atrocités..." La commission a estimé que le mépris que Sharon avait manifesté "à l'égard de la possibilité d'un massacre" était "impossible à justifier". Elle a recommandé sa destitution en tant que ministre de la défense. Il est resté dans le cabinet israélien en tant que ministre sans portefeuille et est devenu plus tard premier ministre en 2001, poste qu'il a occupé jusqu'à son attaque (cérébrale) en janvier 2006.

Les autorités judiciaires israéliennes n'ont jamais mené une enquête criminelle pour déterminer si Sharon et d'autres responsables militaires israéliens portaient une responsabilité pénale. En 2001, les survivants (des massacres de Sabra et Chatila) ont porté plainte en Belgique pour demander que Sharon soit poursuivi en vertu de la "compétence universelle" de la loi belge. Des pressions politiques ont conduit le Parlement belge à modifier la loi en avril 2003 et à l'abroger purement et simplement en août, ce qui amena le plus haut tribunal de Belgique à abandonner l'affaire contre Sharon au mois de septembre.»

De nombreux témoignages montrent que le rôle de l'armée israélienne ne fut pas seulement «passif». Le journaliste israélien (et collaborateur du Monde diplomatique Amnon Kapeliouk l'avait montré dans un livre célèbre publié à chaud, Sabra et Chatila, enquête sur un massacre (Le Seuil, Paris, 1982). Il allait y revenir à plusieurs reprises, notamment dans un article publié dans Le Monde diplomatique (juin 1983), «Les insuffisances de l'enquête israélienne sur les massacres de Sabra et Chatila».

«L'un des défauts les plus graves du rapport Kahane est relatif à la question de la responsabilité du massacre. Sur ce point, les conclusions de la commission sont en contradiction avec les faits qu'elle-même rapporte. L'armée israélienne a occupé Beyrouth-Ouest ; elle était donc responsable de la paix et de la sécurité de sa population civile, aux termes des lois internationales les plus élémentaires. D'ailleurs, le prétexte invoqué pour justifier son entrée à Beyrouth-Ouest était bien la volonté "d'éviter les risques de violences, les effusions de sang et le chaos" (§ 41).

Le 16 septembre 1982, au lendemain de l'occupation de Beyrouth-Ouest, le bureau du ministre de la défense diffuse un document où il est dit notamment : "F) Un seul élément, et cet élément sera l'armée israélienne, commandera les forces sur le terrain. Quant à l'opération dans les camps, ce sont les Phalanges qui y seront envoyées" (§ 32).

Selon l'interprétation du chef du bureau des renseignements militaires de l'armée, "cela signifiait que toutes les forces opérant sur le terrain, y compris les Phalanges, se trouveraient sous l'autorité de Tsahal et agiraient selon ses directives" (ibid.). »

(...)
«Après quoi, les trois enquêteurs (de la commission Kahane) affirment que la responsabilité de MM. Begin, Sharon, Eytan, etc. est indirecte. La meilleure réponse à cette affirmation est venue de la plume d'Amos Oz, le plus connu des écrivains israéliens : "Celui qui invite l'éventreur du Yorkshire à passer deux nuits dans un orphelinat de jeunes filles ne peut ensuite prétendre, en voyant l'amoncellement de cadavres, qu'il s'était entendu avec lui pour qu'il se contente de laver la tête des enfants." Le romancier Izhar Smilansky a lui aussi ironisé : "On a lâché des lions affamés dans l'arène. Ils ont dévoré des hommes. Donc les lions sont coupables." D'après le paragraphe 298 du code pénal israélien de 1977, "sera accusé de meurtre quiconque aura provoqué par un acte ou par une incurie la mort d'une personne". Le paragraphe 26 du même code définit les complices d'un meurtre et les considère comme des responsables directs. Comment ne pas conclure alors que la responsabilité israélienne était directe avant le début du massacre, et à plus forte raison après l'entrée des "forces libanaises" dans les camps. »

Autant de crimes pour lesquels Sharon ne sera jamais jugé. Et les pays occidentaux, si prompts à envoyer devant la Cour pénale internationale tel ou tel dictateur africain, ont tout fait pour éviter que le général ait des comptes à rendre devant la justice (les responsables israéliens en général, ceux qui sont responsables de la guerre du Liban de 2006 comme de l'invasion de Gaza en 2008-2009, ont aussi échappé à tout procès et ils sont accueillis à bras ouverts en Europe ou aux Etats-Unis). Comment une telle partialité n'alimenterait pas les discours complotistes et antisémites tels que les véhicule Dieudonné ? Israël (et les juifs à travers le monde, bien sûr, puisqu'Israël se veut l'Etat du peuple juif) dirigerait le monde. La meilleure manière de combattre ces dérives est d'affirmer clairement qu'un crime contre l'humanité est un crime contre l'humanité, qu'il soit commis par un général israélien ou par un président soudanais. On en est loin.

Source : Le Monde diplomatique

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