En Bulgarie, des accusations de violences face aux migrants
Par AlAhed avec AFP
Porte d'entrée dans l'Union européenne (UE), la Bulgarie a observé l'an dernier une recrudescence de l'immigration clandestine sur son territoire - un sujet qui préoccupe les Vingt-Sept et sera au cœur d'un sommet jeudi et vendredi à Bruxelles.
Déshabillés, enfermés, refoulés: devant un afflux inédit de migrants depuis la crise de 2015, Sofia serre la vis à sa frontière avec la Turquie et les accusations de maltraitance pleuvent.
Pour limiter les demandes d'asile et gagner enfin leur ticket pour l'espace de libre circulation Schengen, les autorités bulgares ont intensifié ces derniers mois les contrôles.
Avec le recours parfois à des méthodes brutales, selon des témoignages recueillis par l'AFP, des récits d'ONG ou encore des rapports de Frontex, l'Agence européenne de surveillance des frontières.
«Une prison»
Par une grisâtre journée d'hiver, des policiers et soldats patrouillent le long d'une clôture en barbelés de 234 km, qui couvre la quasi-totalité de la frontière turco-bulgare.
C'est non loin de là qu'Ali Husseini, un des rares réfugiés à accepter de livrer son expérience à visage découvert, a été arrêté au printemps 2022.
Cet Afghan vit pourtant à Sofia où il avait été relocalisé en avril 2021 à la suite de l'incendie du bidonville de Moria en Grèce, dans le cadre d'un mécanisme européen de solidarité.
Un an plus tard, il se rend à la frontière chercher son frère.
«Trois policiers bulgares cagoulés nous ont embarqués dans leur véhicule. Dans la forêt, ils ont pris nos vêtements, nos chaussures, notre argent avant de nous refouler en Turquie», témoigne-t-il pour l'AFP.
Le jeune homme de 20 ans tente le jour même de retourner en Bulgarie, «pieds nus».
Même sort: sourds à son statut lui donnant le droit de rester dans le pays, les policiers le renvoient après «l'avoir roué de coups».
«En Grèce, ils vous crient dessus, mais ils ne vous maltraitent pas», lâche-t-il, amer.
Quant à son frère, il a été mis dans un avion par la Turquie, direction Kaboul.
Refoulements illégaux
Un adolescent syrien de 16 ans, s'exprimant sous couvert d'anonymat, raconte lui avoir été retenu «dans un camp entouré d'une haute barrière», ressemblant à «une prison» avant d'être battu et repoussé de l'autre côté de la frontière.
Une enquête publiée en décembre par plusieurs médias européens, en partenariat avec l'organisation Lighthouse Reports, mentionne le cas d'un autre jeune Syrien qui a reçu une balle dans la poitrine.
Mise en cause, la police frontalière bulgare dément toute responsabilité.
«Les brutalités ont nettement augmenté», commente Diana Dimova, présidente de l'ONG Mission Wings.
Elle se dit «surprise» par les «refoulements massifs».
La police elle-même dit avoir empêché 164.000 tentatives de passages en 2022, contre 55.000 un an plus tôt.
Selon le droit international, les policiers devraient au contraire enregistrer tout demandeur d'asile passant la frontière, explique Me Stoïan Madin, l'avocat d'Ali Husseini.
De son côté, Frontex a fait état de 25 «incidents graves» ces deux dernières années, dont celui d'un mineur non accompagné disparu sans laisser de trace, alors qu'il avait été expressément remis aux autorités.
Défendre l'Europe
«Les refoulements se produisent régulièrement dans la zone opérationnelle et le personnel de Frontex est délibérément tenu à l'écart», écrit un agent dans un compte-rendu consulté par l'AFP.
Il note l'usage de «propos dégradants et racistes», certains gardes-frontières ayant par exemple qualifié les migrants de «talibans».
Dans ses conclusions, l'organisme s'interroge sur «l'existence d'une politique tacite de non-dénonciation» des violences, niées en bloc par Sofia qui évoque des conditions difficiles.
«La pression a brusquement augmenté l'année dernière», insiste le président Roumen Radev, rappelant que des policiers ont perdu la vie, dont trois percutés par des cars transportant des migrants.
Ce pays pauvre des Balkans a demandé à l'UE deux milliards d'euros pour moderniser et renforcer la clôture actuelle, se heurtant pour l'instant à un refus.
Recalée de Schengen en décembre après déjà dix ans d'attente - justement en raison d'un veto de l'Autriche et des Pays-Bas à cause de l'immigration clandestine -, la Bulgarie s'est fixée une mission: protéger coûte que coûte les frontières extérieures de l'UE.