Turquie: les Européens prêts à la normalisation, pas à «passer l’éponge»
Par AlAhed avec AFP
Échaudés par les revirements du président turc Recep Tayyip Erdogan, les Européens vont poser leurs conditions jeudi 21 janvier à son émissaire Mevlüt Cavusoglu pour une normalisation des relations avec la Turquie et lui signifier leur refus de passer l'éponge sur les actions «agressives» d'Ankara.
Le ministre des Affaires étrangères turc rencontrera jeudi après-midi à Bruxelles le chef de la diplomatie européenne, l'Espagnol Josep Borrell.
Il sera reçu vendredi par le président du Conseil européen, le Belge Charles Michel et par le secrétaire général de l'Otan, le Norvégien Jens Stoltenberg.
Les Européens ont pris note de la volonté du président turc d'apaiser les relations devenues houleuses avec l'UE. Mais ils se méfient des «déclarations d'intentions» et veulent «des faits et des actions concrètes», a déclaré lundi Peter Stano, le porte-parole de Josep Borrell.
«Nous espérons tous que les mots du président turc soient rapidement transformés en actes concrets et durables qui prouvent sa réelle bonne volonté vis-à-vis de l'UE», a déclaré à l'AFP le chef de la diplomatie du Luxembourg Jean Asselborn. Mais «personne n'a l'intention de passer l'éponge», a-t-il averti.
«L'UE reste déterminée à défendre ses intérêts et ceux de ses États membres ainsi qu'à préserver la stabilité régionale», a-t-il assuré.
Les sujets de tensions sont nombreux: contentieux avec la Grèce et Chypre, implication d'Ankara dans les conflits en Syrie, en Libye et au Nagorny Karabakh, brouille avec Paris, violations de l'embargo de l'ONU en Libye sur les armes, actions militaires agressives en Méditerranée orientale.
Les dirigeants européens ont tendu la main au président Erdogan en juillet 2020, mais il l'a rejetée. Ils ont décidé en décembre de sanctionner Ankara pour la poursuite de ses forages gaziers unilatéraux dans la zone économique exclusive de Chypre.
«La baraque s'écroule»
Les Européens vont ajouter de nouveaux noms à une liste ouverte en novembre 2019 sur laquelle figurent déjà deux dirigeants de la Turkish Petroleum Corporation (TPAO), interdits de visas et dont les avoirs dans l'UE ont été gelés.
«Les travaux sur la liste sont en cours. Ils sont complexes et il est trop tôt pour se prononcer sur leur résultat, ni sur le moment exact de leur aboutissement», a expliqué Jean Asselborn.
Un accord pourrait toutefois être donné sur plusieurs noms lors de la réunion des ministres des Affaires étrangères le 25 janvier, a indiqué un diplomate européen.
Ankara a deux mois pour convaincre l'Union.
Josep Borrell doit présenter un rapport sur les relations politiques, économiques et commerciales entre l'UE et la Turquie et proposer des options aux dirigeants européens pour leur sommet en mars.
Les Européens ne font pas confiance au président turc qui a soufflé le chaud et le froid au cours des derniers mois.
«Beaucoup reste à faire pour ouvrir un dialogue sincère avec la Turquie», reconnaît Josep Borrell.
Mais le vent a tourné pour le président Erdogan avec la perte du soutien des États-Unis et l'arrivée au pouvoir de Joe Biden.
En outre, les «énormes problèmes économiques» de la Turquie ne lui permettent pas de couper les liens avec l'Europe, son premier partenaire commercial.
«La baraque s'écroule et il est en train de perdre la classe moyenne», explique un responsable européen.
«Les Turcs montrent patte blanche», ironise un diplomate de haut rang. «Mais les Européens attendent de voir si cette attitude est sincère et durable. Les précédents épisodes les ont affranchis», a-t-il ajouté.
L'Allemagne, première puissance économique de l'UE, mise sur l'apaisement.
Son ministre des Affaires étrangères Heiko Maas s'est rendu lundi à Ankara pour saluer les «signaux positifs» adressés par le président turc et «accompagner» ses initiatives.
«Avec certains États, la gifle fonctionne. Avec la Turquie, elle ne fonctionne pas», remarque l'Italienne Nathalie Tocci, directrice de l'Istituto Affari Internazionali et conseillère de Josep Borrell.
«Nous espérons une détente durable dans nos relations avec la Turquie de manière à rendre caduque une nouvelle extension des sanctions en mars», confie Jean Asselborn. «Mais il est nécessaire de s'assurer qu'on est prêt, si jamais on ne laisse pas d'autre choix à l'UE», a-t-il averti.