Les Ivoiriens votent dans une ambiance tendue, le président Ouattara brigue un 3e mandat
Par AlAhed avec AFP
Les Ivoiriens votaient samedi pour une élection présidentielle sous tension, le sortant Alassane Ouattara briguant un troisième mandat controversé après une campagne émaillée de violences et boycottée par l'opposition.
Des incidents se sont déjà produits dans le centre du pays dans la matinée.
«Tout le matériel électoral vient d'être brûlé à la gendarmerie de Brobo», à une vingtaine de kilomètres de Bouaké, la deuxième ville du pays (centre), a déclaré à l'AFP Aboudramane Ouattara, président régional de la Commission électorale indépendante (CEI).
Des individus ont bloqué samedi matin la principale route du pays entre Abidjan et le Nord, menant au Mali et au Burkina Faso, près de Djebonoua (350 km au nord d'Abidjan). «La voie est toujours fermée. Personne ne peut passer par Djebonoua pour arriver dans une autre ville», a rapporté Richard Konan, agriculteur habitant de cette localité.
A Daoukro, centre-est, le fief de l'ancien président Henri Konan Bédié, candidat de l'opposition, le matériel électoral n'est pas arrivé aux bureaux de vote et des barricades ont été érigées dans des quartiers de la ville et sur certaines route y menant, ont constaté des journalistes de l'AFP.
Les quelque 7,5 millions d'électeurs (sur 25 millions d'habitants) ont le choix entre quatre candidats: M. Ouattara, 78 ans, l'ex-président Henri Konan Bédié, 86 ans, chef du principal parti d'opposition, Pascal Affi N'Guessan, 67 ans, ancien Premier ministre de Laurent Gbagbo et l'outsider Kouadio Konan Bertin, 51 ans, indépendant.
Dénonçant un «coup d'Etat électoral», MM. Bédié et Affi N'Guessan ont appelé au boycott du scrutin, même s'ils ont maintenu leurs candidatures.
Comme en Guinée voisine où la réélection du président Alpha Condé pour un troisième mandat contesté a provoqué des troubles, l'opposition ivoirienne juge un troisième mandat «anticonstitutionnel» et a appelé à la «désobéissance civile».
Dans ce contexte de boycott, le taux de participation sera un des enjeux du scrutin. Les bureaux de vote doivent fermer à 18H00. La CEI a cinq jours pour annoncer les résultats.
«Le processus était tendu et la peur a gagné la population. Ça peut affecter le taux de participation. Les gens ne doivent pas mourir pour une élection», a estimé Patrick Allou, 32 ans au bureau Ecole Notre-Dame du quartier du Plateau d'Abidjan.
«Pas d'élection sans tension»
L'élection en Côte d'Ivoire, premier producteur mondial de cacao, fait craindre une nouvelle crise dans une région éprouvée par des attaques terroristes incessantes au Sahel, par un putsch au Mali et une contestation politique chez le géant voisin nigérian.
Une trentaine de personnes sont mortes depuis le mois d'août lors de manifestations qui ont viré aux affrontements interethniques et quelque 35.000 membres de forces de l'ordre ont été déployés pour assurer la sécurité des bureaux de vote.
Des milliers d'Ivoiriens ont quitté les grandes villes comme Abidjan ou Bouaké pour rentrer dans leurs villages avant le scrutin.
Beaucoup craignent une crise majeure, dix ans après la crise post-électorale issue de la présidentielle de 2010 qui avait fait 3.000 morts, à la suite du refus de Laurent Gbagbo (qui était au pouvoir depuis 2000) de reconnaître sa défaite face à Alassane Ouattara.
«Il n'y a pas de période électorale sans tension», a souligné M. Ouattara dans un entretien à l'AFP. «Pourquoi ça manquerait de légitimité ? J'aurais souhaité avoir Bédié et Affi N'Guessan pour les battre à nouveau», a ajouté le président, qui vise une victoire dès le premier tour et s'appuie sur son bilan économique.
«Il n'y a pas eu de véritable campagne», estime Sylvain N'Guessan, directeur de l'Institut de stratégie d'Abidjan, «Ouattara va être réélu, mais il a perdu son aura, il est devenu un président africain comme les autres, qui s'accroche au pouvoir».
Deux poids lourds politiques vivant à l'étranger, l'ancien président Gbagbo, 75 ans, et l'ex-chef de la rébellion et ancien Premier ministre Guillaume Soro, 48 ans, ont eux été disqualifiés par le Conseil constitutionnel.
M. Gbagbo est sorti jeudi de neuf ans de silence médiatique pour appeler au dialogue, sous peine de «catastrophe».
La colère, «je la comprends et je la partage. Pourquoi veut-on faire un troisième mandat ?», a estimé M. Gbagbo, qui attend en Belgique un éventuel procès en appel devant la Cour pénale internationale (CPI) après avoir été acquitté en première instance de crimes contre l'humanité.