Algérie: mal élu et décrié, le président Tebboune est entré en fonction
Par AlAhed avec AFP
Vainqueur mal élu de la présidentielle contestée du 12 décembre en Algérie, et considéré comme illégitime par le puissant mouvement de contestation, Abdelmadjid Tebboune est entré en fonctions jeudi en prêtant serment lors d'une cérémonie solennelle près d'Alger.
Main droite sur le Coran, M. Tebboune a conformément à la Constitution juré de «respecter et de glorifier la religion islamique, de défendre la Constitution, de veiller à la continuité de l'Etat», mais aussi «d'agir en vue de la consolidation du processus démocratique, de respecter le libre choix du peuple».
Elu au 1er tour le 12 décembre, M. Tebboune, 74 ans, succède formellement à Abdelaziz Bouteflika, contraint à la démission en avril par un mouvement («Hirak») populaire inédit de contestation du régime. Un prédécesseur, dont il fut un fidèle et pour lequel il n'a pas eu un mot.
Tout juste investi, M. Tebboune a, à nouveau, tendu la main au Hirak, qu'il avait déjà, immédiatement après son élection, invité au «dialogue» pour bâtir une «Algérie nouvelle».
Mais le mouvement, qui agite l'Algérie depuis dix mois, lui avait opposé une fin de non-recevoir dans la rue, affirmant considérer M. Tebboune «illégitime».
«Je renouvelle mon engagement de tendre la main à tout le monde» pour mettre en œuvre les revendications du Hirak «dans le cadre d'un consensus national», a déclaré jeudi M. Tebboune.
Filiation
Il a réitéré son intention d'amender la Constitution «dans les mois» ou «semaines à venir» pour en faire «la pierre angulaire de l'édification d'une nouvelle République».
Le nouveau texte «réduira les pouvoirs du président de la République, protégera le pays contre le pouvoir d'un seul, garantira la séparation et l'équilibre des pouvoirs», a-t-il notamment promis, devant un parterre de dignitaires, dont un vaste carré de hauts gradés, au premier rang desquels le général Ahmed Gaïd Salah, 79 ans.
Chef d'état-major de l'armée, il est le visage du haut commandement militaire, pilier du régime qui a assumé la réalité du pouvoir depuis la démission de M. Bouteflika et a catégoriquement rejeté toutes les revendications de la contestation.
Les promesses de M. Tebboune semblent bien en deçà des exigences de la contestation qui réclame notamment une Constitution totalement nouvelle, reprochant à l'actuelle d'avoir été taillée et retaillée à la mesure de M. Bouteflika.
Et qui, surtout, refuse que le «système» qui dirige l'Algérie depuis son indépendance en 1962 se charge lui-même de se réformer, et exige son remplacement par des institutions de transition.
Longtemps ministre de M. Bouteflika, puis éphémère Premier ministre en 2017, tombé rapidement en disgrâce, M. Tebboune, fonctionnaire de carrière et authentique apparatchik, est pour le Hirak un pour représentant du «système».
Le nouveau président a assumé cette filiation en décorant, à l'issue de la cérémonie, de la plus haute dignité (Sadr) dans l'Ordre national du Mérite, Abdelkader Bensalah, qui a assuré l'intérim depuis la démission de M. Bouteflika, bien au-delà du délai constitutionnel de 90 jours.
Mais aussi, «à titre exceptionnel» le général Gaïd Salah, alors que cette dignité n'était jusqu'ici attribuée qu'aux chefs de l'Etat.
«M. le président»
Dans son discours, M. Tebboune a rendu un hommage appuyé au chef d'état-major «pour son rôle important» ces derniers mois dans la préservation «de la stabilité du pays et de sa sécurité».
Conformément aux usages, le Premier ministre Noureddine Bedoui --nommé en mars par M. Bouteflika-- a présenté sa démission au nouveau président.
M. Tebboune a chargé le ministre des Affaires étrangères Sabri Boukadoum d'assurer l'intérim, signe qu'il n'a pas encore choisi son futur Premier ministre, dont le passé et la personnalité seront scrutés par le Hirak.
Après son élection, M. Tebboune avait promis à la jeunesse --épine dorsale de la contestation, dans un pays où les moins de 30 ans représentent plus de 53% de la population-- un gouvernement comptant «des ministres jeunes ne dépassant pas les 26-27 ans».
Soucieux de dépoussiérer son image, il a aussi demandé jeudi que soit retiré le titre «excellence», traditionnellement accolé à celui de président de la République, souhaitant être appelé simplement «M. le président».
Pas sûr que, face à une contestation déterminée, ces quelques symboles suffisent à un président mal élu dans un scrutin où l'abstention a atteint un record (près de 60%).
La situation est pourtant urgente: l'incertitude politique et les enquêtes judiciaires ayant envoyé sous les verrous d'importants hommes d'affaires, accusés d'avoir profité illégalement de leurs liens avec l'entourage de M. Bouteflika, ont aggravé une situation économique déjà difficile.