À la veille de l’Indépendance, le président Aoun lance un nouvel appel au dialogue
Par AlAhed avec sites web
À la veille du 76ème anniversaire de l'Indépendance, le président libanais Michel Aoun a lancé jeudi soir un nouvel appel au dialogue avec les manifestants qui contestent dans la rue depuis plus d'un mois une classe dirigeante jugée corrompue, les appelant dans le même temps à «éviter de répandre des messages de haine et d’incitations à la violence».
Au début de son message préenregistré adressé aux Libanais, le chef de l’État a estimé que «ce n’est ni le moment de faire des discours, encore moins celui des célébrations». «En revanche, c’est l’heure de travailler et de travailler de façon sérieuse car nous menons une véritable course contre la montre, a-t-il ajouté. Les défis sont importants avec de lourds enjeux et nous avons déjà perdu trop de temps».
Depuis le 17 octobre, des centaines de milliers de Libanais sont dans les rues pour dénoncer la dégradation de la situation économique et réclamer le départ d'une classe politique jugée incompétente et corrompue. Un mouvement inédit qui a poussé le gouvernement de Saad Hariri à la démission le 29 octobre. Selon la Constitution, c'est le chef de l’État qui doit déclencher les consultations parlementaires contraignantes en vue de désigner un nouveau Premier ministre. Mais cette démarche n'a toujours pas été lancée. Le président a jusque-là repoussé cette échéance en affirmant vouloir aboutir à un accord politique préalable, afin d'éviter des obstacles au prochain chef du cabinet qui devra former son équipe.
Crise gouvernementale
Évoquant la crise gouvernementale, le président a reconnu que «le Liban attendait un nouveau gouvernement sur lequel se porteraient tous les espoirs», imputant le retard dans sa formation «aux contradictions qui régissent la politique libanaise». «Le gouvernement était censé être déjà formé et s’être attelé au travail. Cependant, les contradictions qui régissent la politique libanaise ont imposé une temporisation pour éviter le pire, a-t-il déclaré. De plus, répondre aux attentes et aux aspirations exige un gouvernement extrêmement efficace, productif et rigoureux. Les défis qui l’attendent sont énormes et les échéances incontournables».
Et de poursuivre: «Je renouvelle mon appel aux manifestants à discuter avec eux des revendications véritables et de la façon la plus efficace pour les satisfaire. Car le dialogue reste le chemin le plus juste pour résoudre les crises».
En début de semaine, le chef de l’État avait assuré être ouvert à un gouvernement politique incluant des experts et des représentants du mouvement populaire.
Le président Aoun a lancé un appel aux manifestants: «Lorsque le discours de la rue n’a plus de limites, il peut devenir menaçant pour la nation et la société. N’oubliez pas qu'après cette crise, vous allez retourner chez vous, dans votre quartier, à l'école, à l'université, au travail ... vous allez continuer à vivre ensemble. Évitez de répandre des messages de haine et d’incitations à la violence, car si détruire est facile, reconstruire est d’une toute autre exigence, a-t-il déclaré. Ne détruisez pas les fondements de notre société bâtis autour du respect de la liberté de croyance, d’opinion et d’expression de chacun».
S'adressant par la suite aux militaires, le président a estimé que «la mission la plus difficile à laquelle vous pouvez être confrontés est le maintien de la paix civile comme c’est le cas actuellement». «Vous devez à la fois protéger la liberté du citoyen qui a le droit de s’exprimer en manifestant et en protestant, tout en veillant à la liberté de circulation de ceux qui veulent se rendre à leur travail ou retourner chez eux. Réussir cette tâche délicate dépend de la confiance que vous accordent les citoyens: elle est précieuse et irremplaçable», a-t-il affirmé.
Lutte contre la corruption
Le chef de l’État a par la suite longuement abordé la question de la lutte contre la corruption, cheval de bataille des manifestants. «Au sein même de notre pays, nos institutions, notre économie et notre société sont gravement minées par la corruption. Plus préoccupant encore, la lutte contre la corruption est devenue un slogan récupéré par ceux-là mêmes qui en sont imprégnés jusqu’au cou, a-t-il lancé. Et dès qu’on essaie d’exécuter la moindre action pour y mettre un terme, les confessions et communautés évoquent des lignes rouges à ne pas franchir».
Depuis le début du mouvement de contestation contre la classe dirigeante, accusée notamment d'incompétence et de corruption, la justice a lancé des poursuites judiciaires contre plusieurs responsables politiques et au sein d'administrations publiques.
Ainsi, s'adressant par la suite directement aux Libanais, le président a déclaré : «Vous seuls pouvez faire effacer ces lignes rouges. Vous seuls pouvez faire pression pour l’application des lois existantes, obliger à légiférer afin de récupérer les fonds pillés et poursuivre les corrompus».
Et de poursuivre: «Les mouvements populaires récents ont permis de faire tomber certains anciens tabous, renverser quelques protectorats, pousser le pouvoir judiciaire à agir et inciter le législateur à donner sa priorité aux lois anticorruption».
M. Aoun a néanmoins appelé la rue et les médias à «ne pas se substituer tout à la fois au procureur, au juge et au geôlier», estimant que cela va «nuire au processus de lutte contre la corruption plutôt que d’assainir la situation». «En effet, lancer des accusations à tout vent et des condamnations sans preuves peuvent faire du mal à des innocents et permettre aux vrais coupables d’être noyés dans la masse et poursuivre ainsi leur malfaisance, a déclaré le président. Vous avez donné un coup de pouce à la justice, laissez-la maintenant faire son devoir».
Le président a ajouté avoir présenté à la justice «18 dossiers de corruption au sein des administrations d'État depuis 2017 et, à ce jour, aucune condamnation n’a encore eu lieu». «Si la justice tardive n'est pas équitable, mettre en veilleuse le traitement des affaires de corruption revient à l’encourager indirectement, a-t-il poursuivi. Nous comptons sur les récentes nominations des nouveaux juges pour activer le rôle du pouvoir judiciaire, renforcer son indépendance. Courage et impartialité sont les fers de lance de toute lutte contre la corruption».
Indépendance économique
Dans le même contexte, le chef de la République a appelé à prendre des mesures convenables poue réaliser l’indépendance économique du pays. «Nous sommes aux portes du deuxième centenaire du Grand Liban et nous nous retrouvons pris en otage par une grave crise résultant de toutes les politiques économiques erronées, de la corruption, du gaspillage et de la mauvaise gestion suivie depuis des décennies. Que cette année à venir soit celle d'une réelle indépendance économique. Transformons notre économie de rentiers en une nouvelle, s'appuyant sur des productions efficaces des secteurs agricole et industriels. Adoptons des mesures de relance pour devenir compétitifs sur les marchés étrangers. Mettons en avant le secteur de la recherche et de la technologie où le Liban peut être un sérieux concurrent», a souligné M. Aoun.
Et d’ajouter: «Oui atteignons une indépendance économique véritable en démarrant le forage du premier puits de pétrole en mer. Préservons ces revenus dans une caisse indépendante en adoptant des lois qui respectent les standards internationaux de transparence».
A la fin de son message, Michel Aoun s'est de nouveau adressé aux Libanais: «Notre indépendance véritable ne se fera que lorsque nous nous affranchiront de nos divisions communautaires et confessionnelles afin de parcourir les étapes nécessaires à l’établissement d’un État laïc». «Il est temps de se mettre à l’œuvre et le prochain gouvernement me trouvera à ses côtés pour participer à ce défi et accomplir des exploits», a-t-il conclu.