En Allemagne, le combat d’Ali Adubisi, militant des droits de l’homme saoudien
Source : La Croix
Six mois jour pour jour après l’assassinat du journaliste saoudien Jamal Khashoggi à Istambul, le 2 octobre dernier, la gouvernance autoritaire du prince héritier saoudien fragilise le royaume, la pression extérieure monte sur le régime de Mohammed Ben Salman.
Le Saoudien Ali Adubisi, réfugié politique en Allemagne, a fondé en 2013 l’une des rares organisations saoudiennes de défense des droits de l’homme, l’ESOHR, pour défendre une autre Arabie saoudite.
Depuis le meurtre, le 2 octobre 2018, du journaliste d’opposition Jamal Khashoggi, au sein du consulat saoudien d’Istanbul, Ali Adubisi dit se sentir «moins en sécurité» malgré son exil berlinois. «Je reçois régulièrement des menaces sur Twitter. Et bien sûr, je ne me rendrai jamais à l’ambassade saoudienne», lance-t-il dans un rire nerveux.
Combat de l’extérieur
Si ce militant saoudien des droits de l’homme a peur, c’est qu’il vise grand. Père de trois enfants, aux yeux rieurs, il rêve d’une Arabie saoudite où les femmes auraient les mêmes droits que les hommes, où la société civile aurait une place et où les décisions seraient prises par un parlement élu. À 38 ans, il ne se fait pas d’illusion sur un changement rapide, mais il se veut optimiste. «De plus en plus de gens font pression de l’extérieur sur le régime de Mohammed Ben Salman », se félicite-t-il.
C’est d’Allemagne qu’Ali Abudisi «se bat», lui aussi. En 2013, il y a fondé l’une des rares organisations saoudiennes de défense des droits de l’homme, l’ESOHR. Avec l’aide de quelques membres, il publie chaque année un rapport sur la situation politique dans le pays et sur la peine de mort. «J’ai commencé mes activités militantes à l’étranger parce qu’en Arabie saoudite, il n’y a aucune place pour la société civile et le débat», explique-t-il.
Une conscience née dans l’oppression
Il en a fait l’expérience en 2011, au moment du court «printemps arabe» qu’a connu son pays. À l’époque, quelques manifestations ont embrasé les provinces chiites de l’est du royaume dont il est originaire. Dans sa ville de Qatif, il est arrêté une première fois lors d’un simple contrôle de circulation. La police trouve dans sa voiture des documents évoquant les droits de l’homme.
Quelques semaines plus tard, il est de nouveau incarcéré. Durant ses onze mois de détention, il est maltraité et placé deux mois en isolement. «Il n’y a eu aucune charge officielle contre moi, aucun procès», raconte-t-il. «À l’époque je n’étais pas un activiste, explique-t-il. J’avais seulement été enthousiasmé par les prêches du cheikh Nimr Baqr al-Nimr.»
Opposant au régime wahhabite, ce cheikh chiite a depuis été exécuté, en janvier 2016, pour sa participation aux manifestations de 2011. «Il était très différent des autres religieux, raconte Ali Adubisi. Il parlait du peuple et du gouvernement, des droits de l’homme. Il m’a ouvert les yeux». À sa sortie de prison en 2012, Ali décide de fuir le pays. Après un séjour au Liban, il arrive «un peu par hasard» en Allemagne où il obtient l’asile politique.
Derrière la façade MBS
Les espoirs suscités un temps par le nouvel homme fort du pays, le prince héritier Mohammed Ben Salman (MBS), le font sourire. «Autoriser les femmes à conduire, est-ce une réforme ?», demande-t-il avec malice, en référence à ce changement introduit en 2018 par le fils du roi Salman. «Pourquoi a-t-il fait arrêter dans la foulée autant de militantes des droits des femmes ?», ajoute-t-il. Cinglant, Ali Adubisi l’est aussi à l’encontre des promesses de limiter la peine de mort. «Il n’a pas réduit le nombre d’exécutions. L’an dernier, 149 personnes ont été exécutées, dans un pays où la justice n’a aucune indépendance», note-t-il. Quant à la campagne anti-corruption menée fin 2017, il la qualifie de «farce», en l’absence de procès.
Ce militant n’attend aucune réforme de la part du prince héritier. «Il faudrait que le changement vienne d’un parlement élu, et non d’un seul homme. Je ne me fais aucune illusion sur la famille royale qui a transformé notre pays en un objet de détestation pour son propre peuple», tranche-t-il. Critique, il l’est aussi envers la France, les États-Unis et le Royaume-Uni qui «déroulent le tapis rouge» au prince.