Arabie Saoudite : Le procès des militantes des droits des femmes a repris mercredi à Riyad
Par AlAhed avec le Figaro
Le procès des Saoudiennes emprisonnées depuis mai pour leurs actions en faveur des droits des femmes a repris mercredi à Riyad. Devant les juges, elles ont décrit les tortures dont elles sont victimes.
Reconduits à la sortie. Encore une fois, journalistes et diplomates occidentaux se sont vus refuser l'entrée au procès d'une dizaine de militantes saoudiennes des droits des femmes, détenues depuis dix mois dans les prisons du régime. De l'autre côté des portes du tribunal pénal de Riyad, seules leurs familles ont pu assister mercredi à la deuxième session de ce procès ouvert le 13 mars.
La militante Loujain al-Hathloul, les professeurs d'université Hatoon al-Fassi et Aziza al-Yousef, et la blogueuse Eman al-Nafjan figurent notamment parmi les accusées. Plusieurs d'entre elles ont décrit aux juges les maltraitances qu'elles ont subies en prison. Au moins trois de ces femmes, dont Mme Hathoul, ont été détenues à l'isolement pendant des mois et victimes de torture et d'agression sexuelle. Elles ont aussi subi des coups de fouets et des décharges électriques, ont rapporté leurs proches. Selon la famille d'Hathloul, l'ancien bras droit du prince héritier Mohammed Ben Salman et ex-directeur adjoint de l'Agence nationale du renseignement, Saoud al Qahtani, était présent durant certaines des sessions de torture et a menacé l'activiste de viol et de mort. Des accusations jugées infondées par le parquet saoudien.
Ces activistes des droits des femmes font partie des douzaines de militants arrêtés début mai 2018 par les autorités, quelques semaines avant que le royaume ultraconservateur ne lève l'interdiction faite aux Saoudiennes de conduire. Lors de leur arrestation, elles ont été accusées par le procureur général de nuire aux intérêts du pays et d'aider les «ennemis de l'État». Mais la justice saoudienne les a détenues durant des mois sans chef d'inculpation, et sans leur permettre de consulter un avocat. Avant l'ouverture du procès, le président de la cour Ibrahim al-Sayari avait seulement indiqué le nom de ces militantes, sans préciser les charges retenues contre elles. Ces femmes sont en fait poursuivies pour avoir été en contact avec des journalistes et diplomates étrangers, ainsi qu'avec des militants et des organisations internationales comme Amnesty International ou Human Rights Watch.
L'appel de 36 pays pour les relâcher
En octobre, Mohammed Ben Salman avait pourtant affirmé à l'agence Bloomberg que les militantes travaillaient avec des services secrets étrangers, notamment qatari et iranien. Mais d'après les informations de Human Rights Watch, les feuilles d'accusations qui ont pu être consultées ne font aucune mention de lien avec des agences d'intelligence étrangères. «Durant près d'un an, les médias saoudiens progouvernementaux ont accusé ces héroïnes de la défense des droits des femmes «d'agents de l'étranger.» En réalité, les charges actuelles retenues contre elles ne constituent qu'une simple liste de leurs combats en faveur des droits des femmes», a dénoncé Michael Page, directeur de la division Moyen-Orient de Human Rights Watch.
Loujain al-Hathloul, 29 ans, défend depuis des années le droit des femmes à conduire. Elle avait déjà été détenue 73 jours en 2014, après avoir tenté d'entrer en voiture en Arabie Saoudite depuis les Émirats Arabes Unis. D'après son frère, elle est accusée d'avoir communiqué avec une vingtaine de journalistes étrangers présents dans son pays, et d'avoir tenté de candidater à un poste à l'ONU. Les militantes sont aussi poursuivies pour violation de l'article 6 de la loi sur la cybercriminalité. Cette loi prévoit cinq ans de prison et environ 700 000 euros d'amende en cas de diffusion d'informations considérées comme contraires aux valeurs religieuses et morales, ou représentant un danger pour l'ordre public. «Si partager des informations à propos des droits des femmes avec des journalistes et des diplomates est illégal, alors la majorité des leaders saoudiens seraient en prison dès à présent», a ajouté Michael Page.
À l'époque de leur arrestation, seul le Canada s'était vraiment indigné du sort réservé à ces activistes, la majorité des pays occidentaux préférant détourner les yeux. Mais depuis le meurtre du journaliste saoudien Jamal Khashoggi dans le consulat saoudien d'Istanbul en octobre, la pression internationale s'est accentuée sur le pays du Golfe. Trente-six pays, dont les 28 États membre de l'UE, ont appelé l'Arabie Saoudite à relâcher les activistes. Le secrétaire d'État américain Mike Pompeo et son homologue britannique aux Affaires étrangères Jeremy Hunt ont dit avoir abordé le sujet avec les autorités saoudiennes lors de récentes visites. Dans une lettre ouverte, neuf sénateurs américains ont demandé la semaine dernière au Prince héritier saoudien de relâcher de manière immédiate et inconditionnelle ces prisonnières détenues pour «des charges douteuses liées à leur activisme.» Signe de l'impact possible de ces pressions, le procès, initialement prévu au tribunal terroriste de Riyad, avait été transféré à la dernière minute au tribunal pénal de la capitale saoudienne.