Le prince Salmane, gendre de l’ancien roi, croupit dans une prison
Un gendre de l’ancien roi Abdallah, diplômé en droit à la Sorbonne, le prince Salmane est détenu en Arabie saoudite. «MBS» y voit un rival.
«C’est consternant. Pourquoi le prince Salmane est-il derrière les barreaux depuis plus d’un an? Il ne constitue pas une menace pour le pouvoir saoudien. Il n’avait même pas voulu de poste au gouvernement du temps de feu le roi Abdallah, qui était son beau-père. Depuis, il n’a jamais montré d’ambition politique, malgré son charisme et sa stature internationale. Il est diplômé de la Sorbonne, il a reçu la Légion d’honneur pour ses efforts en faveur des échanges culturels avec l’Europe, mais c’est surtout un homme d’affaires, on ne l’entend pas critiquer Riyad. C’est effarant ce qui se passe en Arabie saoudite, le prince héritier «MBS» terrorise toute la famille royale!»
«Il ne s’est pas méfié»
De passage à Genève, cet ami du prince Salmane témoigne malgré la peur. Nous l’appellerons Amin, pour ne pas dévoiler son identité. Depuis l’assassinat du chroniqueur du «Washington Post» Jamal Khashoggi le 2 octobre dans le consulat saoudien d’Istanbul, la prudence est de mise. «Même la famille proche n’ose plus me parler…»
Qu’est-il arrivé exactement? Le prince Salmane ben Abdelaziz ben Salmane Al Saoud, 38 ans, a été arrêté le 4 janvier 2018, avant l’aube, au Palais royal. «Il y avait été convoqué au beau milieu de la nuit, ainsi qu’une quinzaine de membres de sa famille directe, pour une audition», assure Amin. «Ce n’était pas inhabituel, donc il ne s’est pas méfié. Sans quoi, il aurait pris la fuite dans l’un de ses jets privés. Il est tombé dans un piège. Il a été battu et incarcéré à la prison de haute sécurité d’Al-Ha’er, au sud de Riyad. Sans aucune charge, sans procès, sans accès à un avocat. Deux jours plus tard, son père aussi a été arrêté, parce qu’il téléphonait à l’étranger, notamment en France, pour tenter de trouver des soutiens pour son fils.»
Ce qui frappe, c’est que ces deux arrestations sont intervenues bien après l’hallucinante «campagne anticorruption» déclenchée le 4 novembre 2017 par celui que tout le monde appelle «MBS», le prince héritier Mohammed ben Salmane, nommé cinq mois plus tôt. Pour mémoire, des centaines de personnalités saoudiennes avaient été détenues à l’Hôtel Ritz-Carlton transformé en prison de luxe. Dans le lot, il y avait onze princes, dont Moutaïb ben Abdallah, fils du précédent roi et ministre de la Garde nationale, ou encore le très critique Turki ben Abdallah, qui fut gouverneur de la province de Riyad. Beaucoup sont encore en prison ou en résidence surveillée. Par contraste, le prince Salmane n’a pas subi cette purge-là. Ses avoirs à lui n’ont pas été saisis.
Problème de légitimité
«Cette détention parfaitement arbitraire donne à penser que l’objectif réel de «MBS» est de se débarrasser de tout rival potentiel», estime à Paris l’avocat du prince Salmane, Me Elie Hatem, qui n’a toujours pas pu avoir de contact avec son client malgré l’intervention au printemps dernier du ministre français des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, sur demande du président Macron. «Mohammed ben Salmane a un réel problème de légitimité. Jusqu’à présent, la succession monarchique se faisait de frère en frère, parmi les fils du fondateur du royaume. Mais après le roi actuel (ndlr: qui s’appelle aussi Salmane), on passera à la génération suivante. Or, «MBS» n’a pas plus de légitimité que n’importe lequel des petits-fils du fondateur. À la mort de son père, il n’est pas certain d’obtenir l’allégeance du Conseil des Sages», où sont représentées les diverses branches de la famille royale.
Cette détention parfaitement arbitraire donne à penser que l’objectif réel de «MBS» est de se débarrasser de tout rival potentiel.
Bref, aux yeux de «MBS», même son cousin le prince Salmane est potentiellement un rival dangereux. Gendre de l’ancien roi Abdallah, bardé de diplômes européens, maîtrisant l’arabe, le français, l’anglais et l’italien, il dispose d’un réseau de contacts internationaux jusqu’aux plus hauts niveaux des États. «Le prince héritier fait le vide autour de lui.»
La fin du consensus royal
«Avec «MBS», qui concentre progressivement tous les pouvoirs, l’Arabie saoudite devient une monarchie absolue. C’est un changement de système radical», note un universitaire qui réclame l’anonymat pour ne pas se voir refuser de visa par Riyad. «Jusqu’à la mort du roi Abdallah, en janvier 2015, les décisions se prenaient par consensus au sein de la famille royale. C’était la maison des Saoud qui gouvernait. Les équilibrages internes assuraient la stabilité. Mais avec l’arrivée au pouvoir du roi Salmane, dont la santé est fragile, les clés du pouvoir ont été confiées à son fils «MBS», qui s’est lancé dans une dérive totalitaire, neutralisant au passage tout ce qui pourrait faire obstacle à sa future accession au trône.»
Source : 24heures