Un prince dissident saoudien rentre au pays pour s’attaquer à la succession de MBS
Le prince Ahmed ben Abdelaziz rentre à Riyad avec des garanties de sécurité britanniques et américaines et une mission : remettre le prince héritier à sa place.
Le prince Ahmed ben Abdelaziz, frère cadet du roi Salmane, fils du roi Abdelaziz, est rentré en Arabie saoudite après une absence prolongée à Londres pour lancer un défi au prince héritier Mohammed ben Salmane (MBS) ou trouver quelqu’un qui soit en mesure de le faire.
Le prince septuagénaire, critique déclaré de MBS, est retourné dans le royaume avec des garanties de sécurité fournies par des responsables américains et britanniques.
« Lui et d’autres membres de la famille ont compris que MBS est devenu toxique », a déclaré à Middle East Eye une source saoudienne proche du prince Ahmed.
« Le prince veut jouer un rôle dans ces changements, ce qui signifie que lui-même jouera un rôle majeur dans tout nouvel arrangement ou qu’il aidera à choisir une alternative à MBS. »
La source a déclaré que le prince était revenu « après des discussions avec des responsables américains et britanniques » qui lui ont assuré qu’aucun mal ne lui serait fait et l’ont encouragé à jouer le rôle d’usurpateur du trône.
Outre ces garanties occidentales, Ahmed est également protégé par son rang.
En novembre dernier, ben Salmane a procédé à une purge radicale parmi les membres dissidents de la famille royale, sans toutefois toucher aux fils du roi Abdelaziz, fondateur du gouvernement saoudien moderne, considérés comme des cibles trop hautes pour lui.
L’inquiétude grandit
La domination du royaume par l’héritier du trône, âgé de 33 ans, est sous le feu des projecteurs depuis le meurtre du journaliste saoudien Jamal Khashoggi le 2 octobre dernier, donnant lieu à des spéculations sur son éventuel remplacement.
MEE croit comprendre que pendant qu’il était à Londres, le prince Ahmed a rencontré d’autres membres de la famille royale saoudienne qui vivent actuellement en dehors du royaume.
Le prince Ahmed a également tenu des consultations à l’intérieur du royaume avec des personnalités partageant les mêmes préoccupations, qui l’ont encouragé à prendre la place de son neveu.
MEE comprend également que trois princes de premier plan soutiennent la démarche du prince Ahmed. Tous ont occupé des postes de responsabilité dans l’armée et les forces de sécurité. Ils ne peuvent être nommés afin de ne pas compromettre leur sécurité.
Pendant ce temps, à Washington, l’inquiétude grandit.
Susan Rice, ancienne conseillère à la sécurité nationale auprès de l’administration Obama et ambassadrice américaine à l’ONU, a écrit dans le New York Times : « À l’avenir, Washington devra chercher à atténuer les risques qui pèsent sur nos propres intérêts. Nous ne devrions pas rompre notre relation importante avec le royaume, mais nous devons bien faire comprendre que les choses ne peuvent pas continuer comme si de rien n’était tant que le prince Mohammed [ben Salmane] continue d’exercer un pouvoir illimité.
« Les États-Unis devraient, de concert avec leurs alliés, écarter le prince héritier afin d’accroître la pression sur la famille royale pour qu’elle trouve un remplaçant plus stable », a-t-elle ajouté.
Impasse turque
Le retour du prince Ahmed ne fera qu’accroître la pression sur ben Salmane, qui est au centre du différend entre l’Arabie saoudite et la Turquie suite au meurtre de Khashoggi au consulat de son pays à Istanbul.
Tandis que les autorités turques demandent aux Saoudiens de leur dire où se trouve le corps du journaliste, les Saoudiens insistent pour que la Turquie remette les enregistrements audio de l’exécution, dont des détails ont été régulièrement divulgués aux médias.
Dans une attaque à peine voilée visant le prince héritier, le président turc Recep Tayyip Erdo?an a accusé mardi les Saoudiens de protéger le responsable du meurtre.
« Un jeu visant à sauver quelqu’un repose en-dessous de cela », a déclaré Erdo?an à la presse à la suite d’un discours prononcé devant le Parlement mardi. « Nous n’abandonnerons pas le meurtre de Khashoggi. »
Le président turc, qui a évoqué une partie de l’enquête sur l’assassinat de Khashoggi dans un discours prononcé la semaine dernière, a promis de révéler davantage de détails sur le meurtre mais s’est abstenu de le faire jusqu’à présent.
Le procureur général d’Arabie saoudite Saoud al-Mojeb a rencontré le procureur général d’Istanbul, Irfan Fidan, à deux reprises au cours des deux derniers jours, mais aucun progrès n’a été signalé.
Les Saoudiens continuent de refuser aux enquêteurs turcs l’accès au puits situé dans l’enceinte du domicile du consul général, à 500 mètres du consulat.
Après avoir d’abord nié que Khashoggi a été assassiné au consulat de son pays, les Saoudiens ont déclaré avoir arrêté dix-huit suspects, dont quinze membres d’un escadron de la mort chargé de tuer cet important critique du prince héritier.
Ben Salmane a démenti à plusieurs reprises avoir eu connaissance de l’opération, qui comprenait cinq membres de son service de sécurité personnelle, dont trois qui l’ont accompagné lors de voyages très médiatisés à Londres, à Washington et à Paris.
Lundi, al-Mojeb a offert à Fidan le témoignage des suspects. La Turquie, cependant, demande leur extradition afin qu’ils soient jugés et puissent témoigner devant un tribunal turc. L’Arabie saoudite refuse.
De notoriété publique
Avant l’affaire Khashoggi, l’opposition du prince Ahmed à son neveu était de notoriété publique. Il l’a pris à partie ouvertement à trois reprises.
Tout d’abord, à l’été 2017, lorsque Ahmed était l’un des trois membres du Conseil d’allégeance, un organisme composé de membres importants de la famille royale chargés de choisir le successeur au trône. Il s’était alors opposé à la nomination de ben Salmane au poste de prince héritier.
Le prince Ahmed n’a d’ailleurs pas prêté serment d’allégeance à son neveu lorsque celui-ci a été désigné comme héritier du roi Salmane.
Deuxièmement, lorsque Abdelrahman ben Abdelaziz, un autre frère du roi Salmane et du prince Ahmed, est décédé l’année dernière. Lors de la réception donnée par le prince Ahmed, seuls deux tableaux étaient suspendus au mur, celui du roi Abdelaziz et celui du monarque actuel, le roi Salmane. Le portrait du prince héritier faisait visiblement défaut.
Troisièmement, le mois dernier, lorsque le prince Ahmed a approché des manifestants yéménites et bahreïnis qui traitaient la maison des Saoud de criminelle devant son domicile à Londres.
Il leur a dit que les membres de la famille royale n’étaient pas tous responsables de la guerre au Yémen, que seuls l’étaient le roi et le prince héritier.
« Ce sont eux les responsables des crimes au Yémen. Dites à Mohammed ben Salmane de mettre fin à la guerre », a déclaré en arabe le prince Ahmed, selon un enregistrement.
Risques
Le retour du prince Ahmed à Riyad comporte de nombreux risques.
Il est censé avoir le soutien de personnalités importantes de la famille qui, après l’affaire Khashoggi, estiment à présent que le prince héritier s’est pour toujours discrédité en Occident et qu’il nuit à la réputation de la famille dans son ensemble.
Un prince saoudien dissident en Allemagne, Khaled ben Farhan, a déclaré à MEE en mai dernier que les princes Ahmed et Moukrine ben Abdelaziz pourraient tous deux rétablir la réputation de la famille, qui a été détruite par le gouvernement « irrationnel, erratique et stupide » du roi Salmane.
« Il y a tellement de colère au sein de la famille royale », a déclaré le prince Khaled. « J’ai pris note de ces informations et je lance un appel à mes oncles, Ahmed et Moukrine, qui sont les fils d’Abdelaziz. Ils sont très instruits, ils sont expérimentés et ils sont capables de changer les choses pour le meilleur. Je peux dire que nous sommes tous derrière eux et que nous les soutenons. »
Parmi les autres exilés saoudiens à Londres et à Istanbul, les opinions diffèrent. Certains considèrent le prince Ahmed comme étant trop faible pour provoquer un changement dans le royaume.
D’autres affirment qu’il a des raisons personnelles de souhaiter le départ de ben Salmane, ayant été lui-même court-circuité pour la position de prince héritier.
La question clé est de savoir s’il sera capable de jouer le même rôle que le roi Fayçal, qui a évincé son frère Saoud lors de la seule révolution de palais qu’a connue la famille en 1964.
S’il échoue, cependant, le prince Ahmed pourrait se retrouver dans une situation évoquant un autre parallèle historique : la tentative d’Ahmed Chafik de renverser le président égyptien Abdel Fattah al-Sissi lors des élections de mars.
Chafik, considéré comme le plus sérieux adversaire de Sissi, avait été encouragé à retourner en Égypte après une période d’exil à Dubaï.
Or à son retour, il a été désavoué par les autres généraux du Conseil suprême des forces armées et contraint d’abandonner la course à la présidentielle.
Il est intéressant de noter que Sissi n’a pas assisté à « Davos in the Desert », la conférence sur l’investissement organisée la semaine dernière à Riyad, malgré l’invitation de MBS.
Source : Middle east eye