Yémen, de la catastrophe au désastre
La guerre au Yémen a aggravé tous les maux du pays le plus pauvre du Moyen-Orient. Elle a favorisé l’apparition du choléra alors que le système sanitaire s’est effondré.
Qu’attendre d’un hôpital où l’eau manque, les médicaments aussi et même les produits de nettoyage ? Peu de chose, bien sûr, et pourtant, atteints du choléra, de malnutrition aiguë ou d’une maladie chronique, blessés par des bombardements ou des tirs d’artillerie, les 27 millions d’habitants que compte le Yémen n’ont aujourd’hui guère d’autre possibilité pour recevoir des soins.
Deux ans et cinq mois de bombardements d’une coalition militaire dirigée par l’Arabie saoudite venue redresser le président renversé, Abd Rabbo Mansour Hadi, et d’affrontements entre les partisans de Hadi et les combattants Ansarullah qui soutiennent l’armée yéménite, ont eu raison de l’infrastructure sanitaire du pays, qui fonctionne à 45 % tout au plus. Celle-ci était déjà bien fragile avant la guerre, à l’instar du Yémen dans son ensemble, qui détient de longue date le triste record d’État le plus pauvre du Moyen-Orient. «Avant la guerre, la situation humanitaire était catastrophique. Aujourd’hui, c’est un désastre», résume Saara Bouhouche, chef de mission urgence au sein de Solidarités International. La cause principale est le blocus imposé par Ryad contre le pays, et qui empêche l’accès d’avions ou de bateaux d’aides humanitaires, surtout l’eau et les médicaments.
Impuissance du système de santé
L’offensive a tout à la fois accru les besoins de la population et l’impuissance du système de santé. Ayant tué près de 8 000 personnes, les bombardements ont aussi fait près de 45 000 blessés. Le nombre d’habitants souffrant de malnutrition aiguë – c’est-à-dire nécessitant un traitement médical – a quant à lui augmenté d’un tiers depuis 2014, passant à sept millions, dont deux millions d’enfants. Une situation qui a conduit le Conseil de sécurité des Nations unies à évoquer, le 9 août, un risque de famine.
Des cas de méningite ont par ailleurs été signalés. Il faut désormais également compter avec le choléra, réapparu en avril dernier après une première épidémie en 2016, qui a contaminé plus de 450 000 personnes et fait plus de 2 000 morts. La saison des pluies, en cours, pourrait favoriser sa prolifération et porter le nombre de malades à 600 000 d’ici à la fin de l’année, prévient le Comité international de la Croix-Rouge (CICR).
Conséquence directe d’une insalubrité générale accentuée par la guerre, le choléra souligne à gros traits le dénuement du Yémen. En théorie, l’absorption orale d’une solution saline de réhydratation (ORS), diluée dans un volume d’eau, permet de traiter les cas non aigus de la maladie lorsque ceux-ci sont pris à temps. «Mais des soignants nous expliquent que des malades n’ont pas de quoi s’acheter une bouteille d’eau pour diluer l’ORS, indique Soumaya Beltifa, porte-parole du CICR à Sanaa, la capitale. De leur côté, les hôpitaux n’ont bien souvent pas les moyens de la leur offrir».
Pénuries en tout genre
L’eau potable figure sur la longue liste des manques contre lesquels se débat chaque jour le personnel médical. Les bombardements de la coalition ont détruit plusieurs stations de traitement des eaux usées. Quant à celles qui restent encore intactes, elles tournent au ralenti, ou pas du tout, faute de courant. C’est qu’il faut aussi compter avec les dommages causés aux centrales électriques et avec la pénurie de carburant, qui permet d’alimenter les générateurs.
La chaîne des manques ne s’interrompt pas là. «Le personnel médical le plus expérimenté a choisi de quitter le pays», ajoute la porte-parole du CICR. À moins de travailler dans un hôpital soutenu par une ONG, les médecins, infirmiers ou aides-soignants qui restent se débattent bénévolement, le ministère de la santé ayant cessé de verser les salaires il y a un an. Ils sont confrontés la rareté des médicaments, que tentent de pallier les ONG internationales. «Nous n’intervenons normalement pas pour les maladies chroniques, mais dans le cas du Yémen nous le faisons, en fournissant notamment de l’insuline pour les diabétiques», indique Soumaya Beltifa.
Les pénuries en tout genre – médicaments, carburant, pièces détachées, mais aussi produits d’alimentation de base – tiennent tout à la fois à l’appauvrissement de l’État, dont les recettes dépendaient en partie des exportations pétrolières, suspendues, et à l’isolement imposé au pays. La coalition dirigée par l’Arabie saoudite maintient un embargo aérien et maritime, tandis que les vols commerciaux ont été suspendus au départ de l’aéroport de Sanaa il y a tout juste un an, le 9 août 2016. Dans ces conditions, les importations, qui nécessitent de multiples autorisations, se sont renchéries et raréfiées. Le marché noir s’est développé.
Le blocus du pays complique le travail des ONG
Le blocus imposé par l’Arabie saoudite accentue la difficulté du travail des ONG. Celles-ci peuvent accéder au pays par le port d’Aden, dans le sud, et l’aéroport de Sanaa, à condition de transmettre les informations concernant leur vol – date, nombre de passagers… – à un «Comité des évacuations et des opérations humanitaires» basé à Ryad, qui leur délivre une autorisation. Ce surcroît de procédures complique le transport, déjà pénalisé par le manque de carburant. «Nous avons un avion qui arrive quatre jours sur sept à Sanaa depuis Djibouti, explique Ghassan Abou Chaar, chef de mission de Médecins sans frontières (MSF) à Sanaa. Il peut contenir 19 passagers mais nous n’en embarquons jamais autant afin de pouvoir remplir le réservoir de fioul pour pouvoir faire l’aller-retour».
Ces vols sont cruciaux. «Pour le choléra, nous devons apporter les traitements par avion, car par la mer cela prend trop de temps», poursuit Ghassan Abou Chaar. D’après le ministère de la santé, à Sanaa environ 10 000 habitants sont morts de n’avoir pu accéder à un traitement médical à l’étranger, soit plus que le nombre de victimes directes des affrontements.
L’épidémie de choléra a accru les besoins
Au début de l’année, les Nations unies ont lancé un appel à l’aide pour le Yémen. Sur les 2,1 milliards de dollars (1,79 milliard d’euros) espérés, 1,1 milliard de dollars (940 millions d’euros) a été promis, pour l’essentiel lors d’une conférence organisée à Genève, en avril. Depuis, l’épidémie de choléra a accru les besoins.
Source: la croix et rédaction