Les musulmans de France redoutent le retour de flamme
La communauté se sent «prise entre deux feux convergents qui s’alimentent»: l’éruption d’un islam fanatisé et la montée en puissance de la «fachosphère».
D’un côté, une condamnation unanime et implacable, de l’autre, une peur grandissante des conséquences. A peine la nouvelle de l’attentat connue, les grandes organisations musulmanes ont fait part, mercredi, de leur horreur et de leur vive désapprobation. «Cet acte barbare d’une extrême gravité est aussi une attaque contre la démocratie et la liberté de la presse», a souligné dans un communiqué le Conseil français du culte musulman (CFCM). L’instance représentative a aussi appelé les musulmans à «la plus grande vigilance face aux éventuelles manipulations de groupes aux visées extrémistes, quels qu’ils soient».
De son côté, l’Union des organisations islamiques de France (UOIF), proche des Frères musulmans, a condamné de «la manière la plus ferme cette attaque criminelle et ces horribles meurtres». Sur Facebook, le théologien Tariq Ramadan crie son indignation : «Ce n’est pas le Prophète qui a été vengé, c’est notre religion, nos valeurs et nos principes islamiques qui ont été trahis et souillés.» De Rome, où il fait partie d’une délégation de responsables musulmans français en visite au Vatican, Mohamed Moussaoui, le président de l’Union des mosquées de France (UMF), qui regroupe 400 lieux de culte, proche du Maroc, s’est dit à Libération «horrifié par ce drame qui frappe toute la France».
Fossés
De toute part, des appels à la cohésion de la France ont été lancés. «Les musulmans appartiennent à la communauté nationale. C’est un acte de guerre qui requiert l’unité nationale et la consolidation des liens», a ainsi plaidé l’intellectuel musulman Ghaleb Bencheikh, présentateur de l’émission Islam sur France 2. «Le terrorisme n’a pas de religion. Ces illuminés ont encore profané l’islam pour servir leurs desseins criminels», a expliqué Hanan Ben Rhouma, journaliste pour le site d’information musulman Saphirnews.
Sous pression des polémiques à répétition sur la présence de l’islam dans l’Hexagone, la plupart des responsables et intellectuels musulmans redoutent une montée des périls. «Les terroristes veulent intensifier les tensions», s’inquiète ainsi Mohamed Moussaoui.
Depuis quelques jours, les milieux musulmans se préparaient à de vifs débats au moment où paraissait le roman brûlot de Houellebecq. «Notre position est délicate, reconnaît le président de l’UMF. La critique, même celle des religions, est légitime. Mais nous devons à chaque fois trouver des réponses adéquates.»
Ghaleb Bencheikh confie son désarroi de se trouver «pris entre deux feux convergents qui s’alimentent l’un l’autre : en interne, nous devons faire face à des fanatiques qui pervertissent le message et l’idéal religieux ; à l’extérieur, des intellectuels et des polémistes n’arrêtent pas de dire que les musulmans sont des intrus allogènes, ici, en Occident». Pour nombre de musulmans français, l’attentat contre Charlie Hebdo est une tragédie paradoxale. Ceux-là même qui prétendent agir au nom de l’islam donnent raison aux critiques les plus virulentes contre les musulmans. Obligés de se défendre des amalgames, les musulmans français laissent pointer leur fatigue. A nouveau, ils craignent que les extrêmes n’empochent la mise. «La fachosphère s’emballe déjà, pointe Hanan Ben Rhouma. L’extrême droite a tout à y gagner. J’ai peur des raccourcis faciles et que ce qui vient de se passer rende les Français encore un peu plus perméables à des thèses empoisonnées.»
«Cercle vicieux»
En Seine-Saint-Denis, le président de l’Union des organisations musulmanes du 93, Hassen Farsadou, redoute, lui, des actes de vengeances contre les musulmans. «J’ai peur des incendies dans les mosquées, pointe-t-il. Pour la première fois de ma vie, j’ai dit à ma femme qui porte de voile de faire attention dans la rue.» A court terme, la période s’annonce, selon l’islamologue Rachid Benzine, «très difficile». «Cet acte extrême se produit dans un climat déjà très compliqué, déplore-t-il. Dans les débats, la nuance n’a plus droit de cité. C’est un cercle vicieux. Comment être audible et restaurer un climat de confiance ?» A l’instar de Ghaleb Bencheikh, il appelle, pour sortir des polémiques et des tensions, à une sorte d’examen de conscience des responsables musulmans. «Il nous faut, dit-il, rompre avec un fondamentalisme qui nous vient des Frères musulmans et du wahhabisme.»
Source: Libération, par Alain Auffray
D’un côté, une condamnation unanime et implacable, de l’autre, une peur grandissante des conséquences. A peine la nouvelle de l’attentat connue, les grandes organisations musulmanes ont fait part, mercredi, de leur horreur et de leur vive désapprobation. «Cet acte barbare d’une extrême gravité est aussi une attaque contre la démocratie et la liberté de la presse», a souligné dans un communiqué le Conseil français du culte musulman (CFCM). L’instance représentative a aussi appelé les musulmans à «la plus grande vigilance face aux éventuelles manipulations de groupes aux visées extrémistes, quels qu’ils soient».
De son côté, l’Union des organisations islamiques de France (UOIF), proche des Frères musulmans, a condamné de «la manière la plus ferme cette attaque criminelle et ces horribles meurtres». Sur Facebook, le théologien Tariq Ramadan crie son indignation : «Ce n’est pas le Prophète qui a été vengé, c’est notre religion, nos valeurs et nos principes islamiques qui ont été trahis et souillés.» De Rome, où il fait partie d’une délégation de responsables musulmans français en visite au Vatican, Mohamed Moussaoui, le président de l’Union des mosquées de France (UMF), qui regroupe 400 lieux de culte, proche du Maroc, s’est dit à Libération «horrifié par ce drame qui frappe toute la France».
Fossés
De toute part, des appels à la cohésion de la France ont été lancés. «Les musulmans appartiennent à la communauté nationale. C’est un acte de guerre qui requiert l’unité nationale et la consolidation des liens», a ainsi plaidé l’intellectuel musulman Ghaleb Bencheikh, présentateur de l’émission Islam sur France 2. «Le terrorisme n’a pas de religion. Ces illuminés ont encore profané l’islam pour servir leurs desseins criminels», a expliqué Hanan Ben Rhouma, journaliste pour le site d’information musulman Saphirnews.
Sous pression des polémiques à répétition sur la présence de l’islam dans l’Hexagone, la plupart des responsables et intellectuels musulmans redoutent une montée des périls. «Les terroristes veulent intensifier les tensions», s’inquiète ainsi Mohamed Moussaoui.
Depuis quelques jours, les milieux musulmans se préparaient à de vifs débats au moment où paraissait le roman brûlot de Houellebecq. «Notre position est délicate, reconnaît le président de l’UMF. La critique, même celle des religions, est légitime. Mais nous devons à chaque fois trouver des réponses adéquates.»
Ghaleb Bencheikh confie son désarroi de se trouver «pris entre deux feux convergents qui s’alimentent l’un l’autre : en interne, nous devons faire face à des fanatiques qui pervertissent le message et l’idéal religieux ; à l’extérieur, des intellectuels et des polémistes n’arrêtent pas de dire que les musulmans sont des intrus allogènes, ici, en Occident». Pour nombre de musulmans français, l’attentat contre Charlie Hebdo est une tragédie paradoxale. Ceux-là même qui prétendent agir au nom de l’islam donnent raison aux critiques les plus virulentes contre les musulmans. Obligés de se défendre des amalgames, les musulmans français laissent pointer leur fatigue. A nouveau, ils craignent que les extrêmes n’empochent la mise. «La fachosphère s’emballe déjà, pointe Hanan Ben Rhouma. L’extrême droite a tout à y gagner. J’ai peur des raccourcis faciles et que ce qui vient de se passer rende les Français encore un peu plus perméables à des thèses empoisonnées.»
«Cercle vicieux»
En Seine-Saint-Denis, le président de l’Union des organisations musulmanes du 93, Hassen Farsadou, redoute, lui, des actes de vengeances contre les musulmans. «J’ai peur des incendies dans les mosquées, pointe-t-il. Pour la première fois de ma vie, j’ai dit à ma femme qui porte de voile de faire attention dans la rue.» A court terme, la période s’annonce, selon l’islamologue Rachid Benzine, «très difficile». «Cet acte extrême se produit dans un climat déjà très compliqué, déplore-t-il. Dans les débats, la nuance n’a plus droit de cité. C’est un cercle vicieux. Comment être audible et restaurer un climat de confiance ?» A l’instar de Ghaleb Bencheikh, il appelle, pour sortir des polémiques et des tensions, à une sorte d’examen de conscience des responsables musulmans. «Il nous faut, dit-il, rompre avec un fondamentalisme qui nous vient des Frères musulmans et du wahhabisme.»
Source: Libération, par Alain Auffray