noscript

Please Wait...

Le rassemblement de Bkerké déplace le conflit vers la scène chrétienne

Le rassemblement de Bkerké déplace le conflit vers la scène chrétienne
folder_openAnalyses access_time depuis 13 années
starAJOUTER AUX FAVORIS

Ce sont des images qui évoquent de mauvais souvenirs pour de nombreux Libanais. Un grand nombre de personnalités chrétiennes réunies à Bkerké sous la houlette du patriarche maronite, cela ne peut que rappeler les grands moments de la guerre civile et surtout les sanglantes confrontations interchrétiennes. On se souvient ainsi de la réunion élargie entre les pôles chrétiens à Bkerké, au cours de laquelle les frères ennemis Samir Geagea et Elie Hobeika avaient juré sur l’Evangile qu’ils ne porteraient pas les armes les uns contre les autres. Auparavant, en 1978, une réunion similaire avait eu lieu, mais cette fois après l’assassinat de Tony Frangié, pour tenter de circonscrire les effets terribles de cette tragédie sur la communauté chrétienne et sur le Liban en général. Plus tard, entre 1989 et 1990, au plus fort des conflits interchrétiens, il y a eu aussi des réunions élargies toujours à Bkerké pour tenter d’isoler le général Michel Aoun, opposé alors à l’accord de Taëf. Cet accord adopté et les pôles chrétiens soit exilés soit emprisonnés, c’est Bkerké elle-même qui a alors pris l’initiative de réunir des personnalités chrétiennes  sous sa couverture, dans le cadre du rassemblement de Kornet Chehwane, qui, sous prétexte de redonner un rôle aux parties chrétiennes, a constitué le fer de lance du mouvement anti-syrien appuyé à l’époque de moins en moins discrètement par Walid Joumblatt…
Ce petit rappel était nécessaire pour montrer que les rassemblements chrétiens à Bkerké ont, à travers l’histoire récente du pays, toujours été dirigés contre une autre partie et sont généralement suivis de troubles internes. Les dénégations de Samir Geagea et d’Amine Gemayel n’y changeront rien : la réunion de vendredi avait forcément un caractère semblable à celui des réunions de Kornet Chehwane. Geagea a eu beau préciser que tout cela est de l’histoire ancienne et que nous sommes désormais à l’époque du 14 mars, mais il n’a pas été en mesure d’expliquer pourquoi dans ce cas, au moment où les barrières confessionnelles sont tombées à travers de grandes coalitions multiconfessionnelles, il était nécessaire de tenir une telle réunion exclusivement chrétienne à Bkerké ? Comment ne pas penser que cette réunion élargie vise à isoler le général Aoun et son allié Sleiman Frangié sur la scène chrétienne et à les présenter comme étant en dehors de l’unanimité chrétienne parrainée par le patriarcat maronite ?
Véritable père spirituel de cette rencontre, le chef des Forces libanaises Samir Geagea a bien défini les objectifs : montrer que « l’autre camp chrétien » ne représente plus grand-chose et a perdu toute autonomie dans la décision. Geagea, qui a toujours été le champion des divisions interchrétiennes des dernières décennies continue dans la même voie, tout en affirmant avoir changé et vouloir se présenter en leader national.
Mais si la démarche était prévisible, le timing de la réunion est bien calculé. Il intervient à un moment où le patriarche maronite avait adopté des positions qui rassemblent, évitant de se prononcer ouvertement sur les questions qui fâchent. La réunion intervient aussi au lendemain de la réunion de la conférence du dialogue boycottée par les représentants de l’opposition sur une initiative du général Michel Aoun. Ce boycott avait d’ailleurs fortement déplu au chef de l’Etat qui considérait qu’il était dirigé contre lui, d’autant que ses relations avec le chef du CPL restent assez troubles. Le rassemblement de Bkerké a donc voulu jouer sur cette divergence et enfoncer le clou en montrant que le chef de l’Etat jouit d’un large appui chrétien, dans le but de l’éloigner de l’opposition. Naturellement, cette démarche aux objectifs clairs ne peut pas aboutir, d’une part parce que le chef de l’Etat a montré à plusieurs reprises qu’il tenait à sa qualité de président consensuel et d’autre part parce que sur les questions fondamentales, notamment l’appui à la résistance, le président a des positions claires et stables.
Sur ce plan, la petite manœuvre ne peut donc mener nulle part. Ni cet appui inattendu au président ne poussera ce dernier à modifier ses positions, ni le nombre impressionnant de personnalités réunies ne modifiera les rapports de forces sur la scène chrétienne où la popularité du général Aoun et du chef du Courant des Maradas sont bien établies, en dépit des multiples tentatives pour la réduire.
Toutefois, cette réunion vise à jeter de la poudre aux yeux et à montrer que « l’autre camp » est faible et a perdu toute initiative, tout en étant totalement aligné sur le Hezbollah. Selon Geagea et ses alliés, « l’autre camp » ne serait plus en mesure d’organiser la moindre réunion sans l’appui du Hezbollah et qu’il a perdu par conséquent sa qualité chrétienne. C’est oublier que le général Aoun a été le seul leader chrétien de la région à adresser au Synode organisé par le Vatican un message qui est aussi une vision du rôle et des menaces qui pèsent sur les chrétiens du MO.
Mais en dépit de sa portée limitée sur le terrain, cette réunion est forcément une tentative de donner au conflit actuel qui divise le pays une dimension interchrétienne. Jusqu’à présent, l’obsession générale était la discorde entre sunnites et chiites, grâce à Geagea et à ceux qui le manipulent, elle se déplace au sein de la communauté chrétienne, dans une volonté de lui redonner le rôle de scène de combat, politique et même militaire, comme ce fut le cas au cours des dernières décennies. Geagea a d’ailleurs déclaré sur le perron de Bkerké que le parapluie international et arabe ne peut pas tout faire et c’est aux Libanais de bouger pour résoudre la crise actuelle. Il a alors décidé d’agir comme il sait le faire, comme lorsque l’ambassadeur des Etats-Unis de l’époque lui avait conseillé de bouger contre ceux qui rejettent l’accord de Taëf en 1989 et ce fut la guerre d’élimination entre les chrétiens… Il a donc reçu de nouvelles instructions aujourd’hui et il réagit comme il sait le faire. On dirait que certaines personnes ne peuvent pas changer. Elles rééditent toujours les mêmes erreurs…    

Comments

//