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Carnage contre les civils au Yémen

Carnage contre les civils au Yémen
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L'offensive menée par l'Arabie saoudite au Yémen continue : les négociations de paix sont au point mort et la trêve humanitaire décidée par les Nations unies est restée sans effet. Le blocus aérien, naval et terrestre bloque l'approvisionnement du pays et aggrave la situation déjà extrêmement préoccupante des civils, premières victimes de cette attaque. Ayant pu se rendre sur place, Ole Solvang de l'organisation Human Rights Watch raconte le quotidien d'une population durement touchée.

Lorsque j'ai rencontré Ahmed Al-Shérif, un réparateur de montre âgé de 38 ans, il était étendu sur un lit à l'hôpital Joumhouri de Saada, une ville du nord du Yémen. Son torse était recouvert de bandages. Il m'indiqua qu'une frappe aérienne avait touché sa maison cinq jours plus tôt. Des fragments de bombe l'avaient atteint, ainsi que deux de ses enfants, Mohamed, 7 ans, touché à l'épaule gauche et Abed, 12 ans, atteint au bras et à la jambe. Ahmed Al-Shérif et sa famille s'en étaient tirés à bon compte - du moins c'est ce qu'il pensait alors - dans la mesure où l'attaque avait provoqué la mort de quatre de leurs voisins, une femme et ses trois enfants. Sa première préoccupation lorsque je l'ai rencontré était de savoir où sa famille allait désormais vivre maintenant que leur maison était détruite.

En temps normal, Saada abrite environ 50 000 personnes. La ville est la base principale et le bastion d'Ansar Allah, dont les membres sont plus connus sous le nom de « houthistes ». Groupe de zaidite du Yémen du nord, les houthistes ont pris le contrôle depuis l'année dernière de vastes parties du pays, forçant le président Abd Rabbo Mansour Hadi à s'enfuir en Arabie saoudite. En réaction à l'avance des houthistes, une coalition de neuf États arabes conduite par l'Arabie saoudite a lancé le 26 mars une campagne de bombardements aériens qui se poursuit jusqu'à aujourd'hui. Je me suis retrouvé avec l'un de mes collègues au Yémen pour enquêter sur les frappes aériennes qui ont fait de nombreuses victimes parmi les populations civiles et déterminer si le droit de la guerre avait été violé. Nous savions que Saada avait été la cible du plus grand nombre de bombardements et c'est donc là que nous souhaitions aller.
Violations des lois de la guerre

Peu d'observateurs indépendants s'étaient rendus à Saada lorsque nous sommes arrivés à la mi-mai. Il n'est pas facile de se rendre au Yémen. La coalition maintient un bouclage aérien et terrestre sur le pays. Les attaques aériennes y sont courantes. Entrer dans le pays est une entreprise périlleuse. Mettant à profit un cessez-le-feu de cinq jours, nous nous y sommes rendus pour examiner la situation de près et pour parler aux victimes et aux témoins des événements.

Nous avons trouvé une ville parsemée de cratères de bombes et de bâtiments détruits. Les avions de la coalition semblaient avoir frappé tous les bâtiments gouvernementaux, y compris les installations sécuritaires qui étaient la cible naturelle des frappes et les bureaux de l'administration qui eux n'étaient pas des cibles militaires valables, comme le palais de justice, le bureau du procureur et le poste de pompiers. Ils avaient aussi à l'évidence touché de nombreuses structures civiles qui sont protégées par le droit de la guerre. On a pu vérifier qu'au moins six maisons avaient été touchées, y compris celle de Ahmed Al-Shérif. Ailleurs, au moins deux bombes avaient détruit la maison de la famille Al-Ibbi, provoquant la mort de 27 de ses membres dont 17 enfants. L'aviation a également frappé au moins 5 places de marché public et une école.

Les 13 attaques que nous avons examinées ont entraîné la mort d'au moins 59 personnes dont 35 enfants. Ces frappes étaient illégales dans la mesure où rien ne prouve qu'elles visaient des cibles militaires légitimes. Des attaques illégales conduites délibérément ou sans se soucier de leurs conséquences s'apparentent à des crimes de guerre.

Outre les frappes aériennes conduites en violation apparente des lois de la guerre, nous avons eu le sentiment que la coalition avait attaqué Saada avec des bombes si puissantes qu'elles n'auraient pas dû être utilisées dans des zones peuplées. Les images satellite révèlent l'existence d'au moins 210 impacts dans la ville de Saada, nombreux étant ceux qui ont provoqué des cratères profonds de plusieurs mètres. Certains des armements utilisés par la coalition peuvent mutiler et tuer des personnes dans un rayon de dizaines, voire de centaines de mètres autour de l'impact. Même quand une telle attaque est dirigée contre une cible militaire identifiée, l'effet sur la population civile peut être dévastateur.

Dans d'autres endroits du pays des civils ont apparemment été victimes aussi d'attaques illégales. En mars, un raid aérien a touché un camp pour personnes déplacées près de la frontière avec l'Arabie saoudite, tuant au moins 31 civils. Le 31 mars, une attaque aérienne sur une usine de produits laitiers près du port de Hodeida sur la mer Rouge a provoqué la mort de 31 civils. Plus récemment, le 13 juillet, des médias ont indiqué qu'une frappe aérienne avait tué au moins 25 civils à Sanaa. Mais la coalition conduite par les Saoudiens n'est pas la seule à rendre la vie difficile aux civils. Au sud, dans la ville d'Aden, des attaques à la roquette par les forces pro-houthistes ont touché des zones résidentielles en Arabie saoudite, faisant des victimes parmi les populations civiles. Ces roquettes sont si peu précises qu'elles ne devraient pas être utilisées dans des zones peuplées. De telles attaques frappent toujours de façon indiscriminée, sont illégales et peuvent être assimilées à des crimes de guerre.
Un blocus aérien, terrestre et maritime

La guerre a par ailleurs aggravé une situation humanitaire déjà précaire au Yémen. À Saada, les bombardements ont détruit des infrastructures essentielles comme des centrales électriques ou des installations hydrauliques qui ont certes une valeur militaire mais qui sont cruciales pour la vie des populations civiles. De nombreux civils avaient déjà quitté la ville à la suite des avertissements de la coalition mais pour ceux qui sont restés la vie est devenue extrêmement dure. Il n'y a pas d'électricité. L'essence est devenue bien trop chère pour la plupart des gens et il est difficile d'acheter de la nourriture. Nous avons occupé une chambre à l'hôpital, l'un des rares endroits disposant d'un générateur en état de marche.

La situation humanitaire souffre de bien d'autres choses que des bombardements et des combats. La coalition conduite par l'Arabie saoudite impose un blocus aérien et naval qui prive d'essence les générateurs électriques des hôpitaux et les pompes à eau des résidences civiles. Aux dires des organisations humanitaires, les secteurs de la santé, de l'eau et d'autres services publics de base se sont effondrés. Le blocus a un impact dévastateur sur la population.

Les Nations unies ont indiqué que le conflit avait désormais tué plus de 1 500 civils et contraint plus d'un million de personnes à abandonner leurs habitations. Elles estiment à plus de 20 millions le nombre de personnes ayant désormais besoin d'une assistance humanitaire.

Alors que nous rédigions notre rapport, un officiel de Saada nous a contactés pour nous dire qu'Ahmed Al-Shérif était mort de ses blessures. Les bombardements conduits par l'Arabie saoudite et d'autres opérations militaires ont repris à l'issue du cessez-le-feu de cinq jours du mois de mai. Tant que la coalition et les autres parties belligérantes ne respecteront pas leurs obligations au regard du droit international qui n'autorise que les attaques sur des cibles militaires tout en atténuant les dommages civils, et tant qu'elles n'assureront pas un accès à la nourriture, aux médicaments et au fuel, beaucoup d'autres civils connaîtront le sort d'Ahmed Al-Shérif.

Source : orientxxi.info

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