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A Bahreïn, le pouvoir joue le «dialogue» pour ne pas discuter

A Bahreïn, le pouvoir joue le «dialogue» pour ne pas discuter
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C'est un euphémisme de dire que l'opposition bahreïni a toujours été réservée sur la capacité du dialogue national, relancé en février, à sortir le petit royaume de l'impasse politique dans laquelle il est plongé depuis la répression des rassemblements de masse à Manama, début 2011, qui réclamaient une ouverture démocratique dans la foulée des révolutions de Tunisie et d'Egypte.

Aux yeux des dissidents, il y a trop de raisons de douter de la réalité de cette main tendue. Une dizaine de dirigeants, radicaux ou libéraux, condamnés à de lourdes peines en juin 2011, restent en prison. Les autorités refusent toujours d'ouvrir, à travers ce dialogue, des négociations. Pis encore, les opposants ont le sentiment que la monarchie cherche à noyer les aspirations aux réformes politiques - un partage du pouvoir, sous la forme d'une monarchie constitutionnelle - et sociales - un accès équitable à l'emploi ou à l'habitat - en leur donnant un vernis confessionnel. Facilement taxés par les loyalistes d'être des marionnettes de Téhéran, avec qui Manama est à couteaux tirés, les sympathisants de l'opposition contestent en fait l'autocratie de la famille royale Al-Khalifa, issue de la minorité sunnite. A l'image de la population de Bahreïn, ils sont en majorité chiites, mais pas seulement.

L'arrestation, le 17 septembre, de Khalil Al-Marzouk, un ténor du parti islamique Al-Wifaq, pilierA Bahreïn, le pouvoir joue le «dialogue» pour ne pas discuter de l'opposition modérée, a donné un coup de grâce à la «réconciliation» politique. L'opposition s'est retirée du dialogue, tandis que Manama annonçait que le responsable serait maintenu pour trente jours en détention, dans l'attente d'une enquête. Cet homme affable est accusé d'«incitation au terrorisme»- une charge largement utilisée depuis 2011 pour tenter de mater la contestation.

M. Marzouk est bien connu des journalistes et des diplomates occidentaux. Il est chargé, au nom de son parti, des contacts avec l'ambassade des Etats-Unis, acteur influent à Bahreïn, où stationne la Ve flotte américaine. Au sein de l'opposition radicale il compte son lot de détracteurs, qui lui reprochent d'être trop modéré.

ENRAYER LES MANIFESTATIONS

L'arrestation de cette figure de l'opposition, signe d'un nouveau raidissement, n'est pas un cas isolé. Les mises au pas de blogueurs et de militants se sont succédé au cours de l'été. Des religieux chiites de premier plan, comme le cheikh Hussein Najati, sont menacés d'expulsion. Pour Hassiba Hadj Sahraoui, directrice adjointe du programme Moyen-Orient et Afrique du Nord d'Amnesty International, c'est aussi la machine judiciaire qui s'est raidie pour enrayer les manifestations : les parents des manifestants, «souvent jeunes», risquent désormais d'être pénalisés. Autre restriction, le ministère de la justice impose dorénavant que les rencontres des partis politiques avec des diplomates étrangers obtiennent l'aval du régime et se déroulent en présence d'un fonctionnaire de l'Etat.

«Les autorités ont utilisé le dialogue national pour couper court à toute discussion», soutient Mme Hadj Sahraoui, qui regrette le ton timoré de Londres (dont les relations avec Manama sont historiques) et Washington face aux récents développements : «Leur silence encourage le pouvoir à plus de répression.»

Les loyalistes, eux, dénoncent une utilisation croissante de la violence parmi les contestataires : de plus en plus frustrés, certains ultras lancent des cocktails Molotov contre la police lors des manifestations nocturnes dans les villages qui entourent la capitale. Les autorités mettent aussi en cause une dérive «terroriste» : un attentat, en avril, a été imputé au Collectif du 14 février, un mouvement très actif dans la contestation depuis 2011. Dimanche 29 septembre, une cinquantaine de militants de cette organisation ont été condamnés à des peines allant de 5 à 15 ans de prison après avoir été reconnus coupables de «terrorisme» et «d'intelligence avec un Etat étranger»- comprendre l'Iran.

AFFAIBLISSEMENT DES MODÉRÉS

A Bahreïn, le pouvoir joue le «dialogue» pour ne pas discuterCe regain de tensions risque d'affaiblir encore plus les courants d'opposition les plus modérés, s'inquiète Matar Ibrahim Matar, ancien député du Wifaq qui vit aujourd'hui aux Etats-Unis. «Seule une transition, à travers une feuille de route établie avec les autorités, peut ramener la stabilité», affirme M. Matar.

Mais les rédacteurs potentiels de ce document semblent manquer à l'appel : la chape de plomb qui s'abat de nouveau sur Bahreïn pourrait marquer la victoire des plus conservateurs au sein de la famille royale (incarnés par le premier ministre, face à un prince héritier dépeint comme réformateur), soucieux de délégitimer toute forme d'opposition.

Pour M. Matar, les crispations pourraient aussi refléter un regain d'influence de Riyad. L'imposant voisin saoudien avait volé au secours du roi Hamad Ben Issa Al-Khalifa en envoyant, avec d'autres pays du golfe Arabo-Persique, des troupes dans l'archipel en mars 2011, sonnant le glas des manifestations de masse. «L'Arabie saoudite a engrangé plusieurs victoires dans la région, dont l'épisode égyptien, où elle a soutenu l'armée contre les Frères musulmans. Cette influence renouvelée pourrait se traduire par un appui renforcé au régime bahreïni», ajoute M. Matar.

Source : Le Monde

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