La fitna, dernière carte de Washington et du Golfe
Par Samer R. Zoughaib
Le ministre français des Affaires étrangères, Laurent Fabius, l'a dit ouvertement: la conférence internationale sur la Syrie, appelée Genève 2, n'aura pas lieu avant un équilibrage des rapports de forces sur le terrain, qui ont considérablement évolué en faveur de l'Etat syrien. En termes moins diplomatiques, cela signifie que l'Occident veut prolonger la durée de la guerre, quitte à provoquer une aggravation de la violence, même au prix de milliers de morts supplémentaires, avant de s'asseoir à la table des négociations dans une position plus confortable. Ceux qui croient encore aux slogans de la démocratie et de la liberté sont soit des naïfs, soit des cyniques. Le conflit syrien prend la tournure d'un bras de fer de dimension planétaire, avec de gigantesque enjeux géopolitiques, où le dernier des soucis est le bien-être, la sécurité et la prospérité du peuple syrien.
Après la cuisante défaite de Qoussair et les sérieux revers infligés aux rebelles autour de Damas, à Alep, Idleb et Daraa, les sponsors de la rébellion syrienne ont réalisé que tous les efforts déployés ces deux dernières années pour renverser le régime syrien et affaiblir l'axe régional auquel il appartient, sont partis en fumée. Négocier dans ces circonstances serait une reconnaissance de la défaite du projet américano-israélien et une consécration de la victoire stratégique de l'alliance Damas-Téhéran-Moscou-Hezbollah. Cela aurait des répercussions catastrophiques sur la sécurité d'«Israël».
De plus, les deux Etats sur lesquels Washington comptait pour prendre la Syrie en tenaille sont pratiquement hors-jeu.
D'abord «Israël»: cette entité a les mains liées après l'échec des objectifs stratégiques des raids aériens qu'elle a menés contre Damas le 5 mai, et qui consistaient à sortir la Syrie du conflit israélo-arabe. La réponse combinée du président Bachar al-Assad et du secrétaire général du Hezbollah, sayed Hassan Nasrallah, a été d'ouvrir le front du Golan et de fournir à la Résistance au Liban des «armes qualitatives».
Ensuite la Turquie: fer de lance de la guerre planétaire menée contre la Syrie, le Premier ministre turc, Recep Tayyeb Erdogan, est empêtré dans la plus grave crise politique à laquelle il est confronté depuis qu'il est au pouvoir, en 2002. Quelle que soit l'issue de la contestation, qui n'a pas l'air de s'essouffler malgré la répression, la Turquie est terminée en tant que modèle d'inspiration pour les peuples arabes. De surcroit, les marges de manœuvre de son Premier ministre sont sensiblement réduites.
La contre-attaque de Washington
Devant ce tableau peu reluisant, les Etats-Unis ont décidé de passer à la contre-attaque. Après avoir longtemps hésité à armer les rebelles -sous prétexte que les armes risquent de tomber entre les mains des extrémistes; qu'est ce qui a changé maintenant?-, Washington a franchi le pas. L'argument mis en avant est l'utilisation par l'armée syrienne d'armes chimiques, soigneusement gardé en réserve par Londres et Paris pendant des mois. Pourtant, cet argument est à double tranchant, car il semble que ce soit surtout les rebelles qui aient utilisé les armes chimiques, de l'aveu même des enquêteurs des Nations unies, notamment la très fameuse Carla Del Ponte. Mais les Etats-Unis ne se sont pas embarrassés de ces détails, décidant que des armes chimiques, notamment du gaz sarin, avaient été utilisées en Syrie par les troupes régulières. Ben Rhodes, conseiller adjoint de sécurité nationale du président américain Barack Obama, a, d'emblée, innocenté les rebelles: «Nous ne disposons pas d'informations solides, corroborées, indiquant que l'opposition en Syrie a acquis ou utilisé des armes chimiques».
Utilisant ce prétexte très peu convaincant, Barack Obama a donc décidé d'octroyer une «assistance militaire directe» à l'opposition syrienne. Selon le New York Times, il s'agit notamment de missiles antichars qui seraient déjà arrivés aux rebelles. Ce qui signifie que les livraisons d'armes ont commencé depuis longtemps.
Dans le même temps, Washington envisagerait d'instaurer une zone d'exclusion aérienne près de la frontière jordanienne. Des chasseurs F-16 et des missiles Patriot, ainsi qu'une unité de Marines sur des navires amphibies, qui participent à des manœuvres dans le royaume hachémite, seront maintenus sur place après la fin des exercices.
Pressions sur le Hezbollah
A ces décisions, la Russie a très vite réagi à deux niveaux. «Les informations sur l'utilisation par Assad d'armes chimiques sont des faux du même ordre que les mensonges concernant les armes de destruction massive de Saddam Hussein», a commenté Alexei Pouchkov, président de la commission des Affaires étrangères de la Douma. «Obama emprunte la même voie que George Bush», a ajouté sur son compte Twitter ce député proche du Kremlin. Par ailleurs, un membre de la délégation russe aux Nations unies a déclaré sous couvert d'anonymat à la chaine panarabe Al-Mayadeen que si les Occidentaux arment les rebelles, Moscou livrera des armes nouvelles au régime syrien, en allusion aux missiles S-300.
L'autre élément de la contre-attaque américaine vise le Hezbollah. Sur le plan politique, Washington a demandé au président Michel Sleiman d'exercer des pressions sur le Conseil constitutionnel afin d'invalider la prorogation du mandat du Parlement libanais. Son objectif est d'organiser des élections dans six mois, en pensant que de cette consultation, tenue sur la base de la loi de 1960, émergera une Chambre dominée par le 14-Mars. L'ambassade des Etats-Unis à Beyrouth s'est directement impliquée dans ce dossier en publiant un tweet enjoignant aux membres du Conseil de ne plus boycotter les réunions. Mais il semble que le député Walid Joumblatt n'a pas -encore- cédé à ces pressions, pour des raisons liées à ses intérêts politiques et communautaires.
Une autre carte reste sous la manche des Américains: la formation d'un gouvernement de fait accompli au Liban, c'est-à-dire uniquement composé du 14-Mars et des pseudo-centristes. Si cela se produit, ça signifie que la décision aura été prise de précipiter le Liban dans les affres de la guerre.
Dans le même temps, les Etats du Golfe ont été chargés de mettre à exécution un plan visant à encercler le Hezbollah à travers plusieurs mesures:
1-Expulser les Libanais proches de la Résistance travaillant dans le Golfe. Neuf personnes, dont deux sunnites, deux chrétiens et cinq chiites seraient en passe d'être expulsées, selon le site NowLebanon, proche du 14-Mars. Le but annoncé de cette mesure coercitive est d'assécher les sources de financement de la Résistance. Mais le véritable objectif est de provoquer une crise sociale au Liban, dans l'espoir qu'une partie de la population fera assumer au Hezbollah et à ses choix politiques la responsabilité de la perte de leur emploi et de leur carrière.
2-Le plus grave reste la décision, qui n'est plus cachée, des pays du Golfe, de donner au conflit en cours en Syrie, au Liban et dans l'ensemble de la région, une dimension sectaire. Les journaux du Golfe parlent désormais d'un conflit entre sunnites et chiites. Des cheikhs extrémistes de plusieurs pays arabes, réunis au Caire, mercredi, sous la houlette du Mouvement des ulémas musulmans, de Youssef Qaradoui, ont lancé un appel au «Jihad» en Syrie pour «sauver les frères sunnites».
L'ancien Premier ministre libanais, Saad Hariri, s'est chargé du volet libanais. Il a adressé une lettre considérée, par une grande partie de la presse et des analystes, comme un appel à la fitna, utilisant une logique confessionnelle et un vocabulaire sectaire.
Ces appels à la discorde ont très vite donné des résultats: des extrémistes du Front al-Nosra ont massacré dans un village de Deir Ezzor, une soixantaine de femmes, d'enfants et de personnes âgées, leur seul crime était d'être chiites. Mais il est apparu que le quart de ces victimes innocentes était sunnite.
La fitna est la dernière carte du projet moribond des Américains et de leurs auxiliaires arabes et européens. Pour y faire face, le Hezbollah et ses alliés de toutes les communautés libanaises réaffirment que le conflit est de nature politique et non sectaire et que l'ennemi reste «Israël», malgré toutes les tentatives de le remplacer par l'Iran.
Source : French.alahednews
Le ministre français des Affaires étrangères, Laurent Fabius, l'a dit ouvertement: la conférence internationale sur la Syrie, appelée Genève 2, n'aura pas lieu avant un équilibrage des rapports de forces sur le terrain, qui ont considérablement évolué en faveur de l'Etat syrien. En termes moins diplomatiques, cela signifie que l'Occident veut prolonger la durée de la guerre, quitte à provoquer une aggravation de la violence, même au prix de milliers de morts supplémentaires, avant de s'asseoir à la table des négociations dans une position plus confortable. Ceux qui croient encore aux slogans de la démocratie et de la liberté sont soit des naïfs, soit des cyniques. Le conflit syrien prend la tournure d'un bras de fer de dimension planétaire, avec de gigantesque enjeux géopolitiques, où le dernier des soucis est le bien-être, la sécurité et la prospérité du peuple syrien.
Après la cuisante défaite de Qoussair et les sérieux revers infligés aux rebelles autour de Damas, à Alep, Idleb et Daraa, les sponsors de la rébellion syrienne ont réalisé que tous les efforts déployés ces deux dernières années pour renverser le régime syrien et affaiblir l'axe régional auquel il appartient, sont partis en fumée. Négocier dans ces circonstances serait une reconnaissance de la défaite du projet américano-israélien et une consécration de la victoire stratégique de l'alliance Damas-Téhéran-Moscou-Hezbollah. Cela aurait des répercussions catastrophiques sur la sécurité d'«Israël».
De plus, les deux Etats sur lesquels Washington comptait pour prendre la Syrie en tenaille sont pratiquement hors-jeu.
D'abord «Israël»: cette entité a les mains liées après l'échec des objectifs stratégiques des raids aériens qu'elle a menés contre Damas le 5 mai, et qui consistaient à sortir la Syrie du conflit israélo-arabe. La réponse combinée du président Bachar al-Assad et du secrétaire général du Hezbollah, sayed Hassan Nasrallah, a été d'ouvrir le front du Golan et de fournir à la Résistance au Liban des «armes qualitatives».
Ensuite la Turquie: fer de lance de la guerre planétaire menée contre la Syrie, le Premier ministre turc, Recep Tayyeb Erdogan, est empêtré dans la plus grave crise politique à laquelle il est confronté depuis qu'il est au pouvoir, en 2002. Quelle que soit l'issue de la contestation, qui n'a pas l'air de s'essouffler malgré la répression, la Turquie est terminée en tant que modèle d'inspiration pour les peuples arabes. De surcroit, les marges de manœuvre de son Premier ministre sont sensiblement réduites.
La contre-attaque de Washington
Devant ce tableau peu reluisant, les Etats-Unis ont décidé de passer à la contre-attaque. Après avoir longtemps hésité à armer les rebelles -sous prétexte que les armes risquent de tomber entre les mains des extrémistes; qu'est ce qui a changé maintenant?-, Washington a franchi le pas. L'argument mis en avant est l'utilisation par l'armée syrienne d'armes chimiques, soigneusement gardé en réserve par Londres et Paris pendant des mois. Pourtant, cet argument est à double tranchant, car il semble que ce soit surtout les rebelles qui aient utilisé les armes chimiques, de l'aveu même des enquêteurs des Nations unies, notamment la très fameuse Carla Del Ponte. Mais les Etats-Unis ne se sont pas embarrassés de ces détails, décidant que des armes chimiques, notamment du gaz sarin, avaient été utilisées en Syrie par les troupes régulières. Ben Rhodes, conseiller adjoint de sécurité nationale du président américain Barack Obama, a, d'emblée, innocenté les rebelles: «Nous ne disposons pas d'informations solides, corroborées, indiquant que l'opposition en Syrie a acquis ou utilisé des armes chimiques».
Utilisant ce prétexte très peu convaincant, Barack Obama a donc décidé d'octroyer une «assistance militaire directe» à l'opposition syrienne. Selon le New York Times, il s'agit notamment de missiles antichars qui seraient déjà arrivés aux rebelles. Ce qui signifie que les livraisons d'armes ont commencé depuis longtemps.
Dans le même temps, Washington envisagerait d'instaurer une zone d'exclusion aérienne près de la frontière jordanienne. Des chasseurs F-16 et des missiles Patriot, ainsi qu'une unité de Marines sur des navires amphibies, qui participent à des manœuvres dans le royaume hachémite, seront maintenus sur place après la fin des exercices.
Pressions sur le Hezbollah
A ces décisions, la Russie a très vite réagi à deux niveaux. «Les informations sur l'utilisation par Assad d'armes chimiques sont des faux du même ordre que les mensonges concernant les armes de destruction massive de Saddam Hussein», a commenté Alexei Pouchkov, président de la commission des Affaires étrangères de la Douma. «Obama emprunte la même voie que George Bush», a ajouté sur son compte Twitter ce député proche du Kremlin. Par ailleurs, un membre de la délégation russe aux Nations unies a déclaré sous couvert d'anonymat à la chaine panarabe Al-Mayadeen que si les Occidentaux arment les rebelles, Moscou livrera des armes nouvelles au régime syrien, en allusion aux missiles S-300.
L'autre élément de la contre-attaque américaine vise le Hezbollah. Sur le plan politique, Washington a demandé au président Michel Sleiman d'exercer des pressions sur le Conseil constitutionnel afin d'invalider la prorogation du mandat du Parlement libanais. Son objectif est d'organiser des élections dans six mois, en pensant que de cette consultation, tenue sur la base de la loi de 1960, émergera une Chambre dominée par le 14-Mars. L'ambassade des Etats-Unis à Beyrouth s'est directement impliquée dans ce dossier en publiant un tweet enjoignant aux membres du Conseil de ne plus boycotter les réunions. Mais il semble que le député Walid Joumblatt n'a pas -encore- cédé à ces pressions, pour des raisons liées à ses intérêts politiques et communautaires.
Une autre carte reste sous la manche des Américains: la formation d'un gouvernement de fait accompli au Liban, c'est-à-dire uniquement composé du 14-Mars et des pseudo-centristes. Si cela se produit, ça signifie que la décision aura été prise de précipiter le Liban dans les affres de la guerre.
Dans le même temps, les Etats du Golfe ont été chargés de mettre à exécution un plan visant à encercler le Hezbollah à travers plusieurs mesures:
1-Expulser les Libanais proches de la Résistance travaillant dans le Golfe. Neuf personnes, dont deux sunnites, deux chrétiens et cinq chiites seraient en passe d'être expulsées, selon le site NowLebanon, proche du 14-Mars. Le but annoncé de cette mesure coercitive est d'assécher les sources de financement de la Résistance. Mais le véritable objectif est de provoquer une crise sociale au Liban, dans l'espoir qu'une partie de la population fera assumer au Hezbollah et à ses choix politiques la responsabilité de la perte de leur emploi et de leur carrière.
2-Le plus grave reste la décision, qui n'est plus cachée, des pays du Golfe, de donner au conflit en cours en Syrie, au Liban et dans l'ensemble de la région, une dimension sectaire. Les journaux du Golfe parlent désormais d'un conflit entre sunnites et chiites. Des cheikhs extrémistes de plusieurs pays arabes, réunis au Caire, mercredi, sous la houlette du Mouvement des ulémas musulmans, de Youssef Qaradoui, ont lancé un appel au «Jihad» en Syrie pour «sauver les frères sunnites».
L'ancien Premier ministre libanais, Saad Hariri, s'est chargé du volet libanais. Il a adressé une lettre considérée, par une grande partie de la presse et des analystes, comme un appel à la fitna, utilisant une logique confessionnelle et un vocabulaire sectaire.
Ces appels à la discorde ont très vite donné des résultats: des extrémistes du Front al-Nosra ont massacré dans un village de Deir Ezzor, une soixantaine de femmes, d'enfants et de personnes âgées, leur seul crime était d'être chiites. Mais il est apparu que le quart de ces victimes innocentes était sunnite.
La fitna est la dernière carte du projet moribond des Américains et de leurs auxiliaires arabes et européens. Pour y faire face, le Hezbollah et ses alliés de toutes les communautés libanaises réaffirment que le conflit est de nature politique et non sectaire et que l'ennemi reste «Israël», malgré toutes les tentatives de le remplacer par l'Iran.
Source : French.alahednews