Liban/Syrie: Fin de la politique de dissociation
Plusieurs détails ont été rapportés sur les tractations des derniers jours, durant le voyage des deux présidents Nabih Berri et Nagib Mikati à Rome et sur la conviction du président de la République Michel Sleiman, autour de la nécessité de changer les réalités politiques internes, arrivant aux deux réunions du Conseil des ministres. Mais il est évident que la démission du Premier ministre, Najib Mikati, était au cœur de la crise syrienne.
Concernant les faits sur la scène interne, intimement liés à la crise syrienne, plusieurs observations sont pertinentes :
Sur le plan interne, l’ampleur de la tutelle américaine, européenne et de pays arabes sur une large formation politique au Liban, est devenue claire, y compris sur les présidents Sleiman et Mikati et le député Walid Joumblat. Ces pays semblent refuser toute nouvelle loi électorale, qui saperait la majorité du 14 Mars ou menacerait l’influence du «faiseur de roi», nommé Walid Joumblat. Par la suite, ces pays sont intervenus pour empêcher tout consensus autour d’une nouvelle loi électorale. Même la confusion au sein des Forces Libanaises et du parti Kataeb, n’a pas été suffisante pour mener la bataille de l’approbation de la loi orthodoxe.
Avec l’insistance du trio Sleiman-Mikati-Joumblat à impliquer le président Berri dans la manœuvre visant à faire chuter la loi orthodoxe, le président de la Chambre pourrait avoir commis une erreur en s’abstenant de soumettre la loi orthodoxe à l’Assemblée générale. Cependant, le trio a rapidement lancé la bataille préventive, visant à imposer la loi de l’année 1960 comme un fait accompli. Cette partie a supposé, que par le biais des pressions exercées par le président de la République et le Premier ministre, elle pourrait parvenir à cet objectif. Les membres du trio affirment, de nouveau, avoir agi selon un accord avec le président de la Chambre, sinon, pourquoi ce dernier avait accepté de reporter la convocation du Parlement pour discuter de la loi orthodoxe? Mais ces trois responsables ont omis de comprendre que les forces auxquelles revient la décision finale, ne sont guère prêtes à subir le chantage.
Le second dictat, était lié à la situation de sécurité au pays. L’occident et ses alliés arabes ne se sont pas contentés d’œuvrer pour neutraliser l’armée, l’empêcher de jouer un rôle déterminant dans le contrôle du dangereux chaos de sécurité et de la menacer de division et de sabotage, mais ils ont réclamé de maintenir les Forces de Sécurité intérieure sous leur tutelle directe. Ce camp a observé que maintenir le général Achraf Rifi dans son poste, était une nécessité, à la suite de l’assassinat du colonel Wissam el-Hassan. Les Occidentaux et les Arabes n’ont épargné aucune occasion pour le signifier. D’où les propos répétés par l’ambassadrice des Etats-Unis, les affirmations de l’ambassadeur de l’Arabie Saoudite, disant avoir obtenu l’engagement des deux présidents, Seliman et Mikati dans la prorogation du mandat de Rifi et les propos du Premier ministre français à son homologue libanais : «Hollande recommande le renouvellement du mandat de Rifi à la tête des FSI».
C’est dans ce contexte, que le trio rebelle s’est trouvé inquiet du parcours interne. Il a lancé des médiations voire des marchandages dans le but de faire passer les deux dossiers relatifs au comité de supervision des législatives et à la prorogation du mandat de Rifi. Mikati en particulier, tentait d’y obtenir une promesse directe de la part du président du Parlement. Ayant échoué, il avait essayé d’avoir le consentement du Hezbollah et du Courant Patriotique libre. Mais la réponse-surprise du Hezbollah est parvenue au Premier ministre, quelques minutes avant la déclaration de sa démission : «Faites ce que bon vous semble».
Si toutes les parties seront plongées dans les analyses concernant la dimension interne de la crise, la réalité demeure toutefois plus compliquée, surtout lorsqu’on place la démission du PM Mikati dans le contexte de la tragédie syrienne.
A ce titre, il faut citer plusieurs constats :
- Les parties arabes et internationales hostiles au régime syrien se sont empressées d’augmenter les pressions politiques et militaires, en cernant toute initiative envisagée par des personnalités de l’opposition. Ils ont isolé Moaz el-Khatib, contredit les ententes américano-russes, nommé un premier ministre du gouvernement transitoire auquel seraient légués les intérêts de la Syrie dans le monde, et lancé la plus large opération d’entrainement et d’équipement de milliers de combattants, sur le territoire syrien, en Turquie et en Jordanie, dans le but de préparer à la bataille décisive contre le régime, durant les trois prochains mois.
- L’éclaircissement de véritables résultats de la visite du président américain, Barack Obama, en Palestine et en Jordanie, durant laquelle il a appelé le président palestinien à augmenter les prières, au moment où il a été ferme avec le roi jordanien, à l’égard de la nécessité de s’engager complètement dans le front opérant contre Bachar Assad.
Le plus important est son interdiction à «Israël», toute initiative contre l’Iran, la Syrie et le Hezbollah et la réconciliation israélo-turque, en prélude à une nouvelle phase de coordination entre les deux pays, ayant désormais un seul ennemi, à savoir, Bachar Assad.
- Une mobilisation américaine, européenne et arabe contre le Hezbollah, illustrée en premier lieu par l’activation du dossier du Tribunal spécial pour le Liban, par les pressions contre l’Europe pour inscrire le Hezbollah à la liste des organisations terroristes, et le climat de provocation contre le parti, le qualifiant «de danger» pour les Libanais expatriés dans le monde arabe. Cette mobilisation a été reflétée de même par les pressions exercées directement sur le Premier ministre afin qu’il agisse en vue d’affaiblir le parti au sein du cabinet et par le renforcement de la campagne menée contre ce dernier par les forces «islamistes» dans le but de l’intimider par la discorde sunnite-chiite, arrivant enfin à l’élaboration d’un dossier intitulé : le rôle du Hezbollah en Syrie.
A la base des données précitées, on peut faire les déductions inquiétantes suivantes :
- Le renoncement définitif à la politique de dissociation à l’égard de la crise syrienne. Et même si ce slogan n’était pas suffisamment réaliste, la démission du gouvernement signifie l’implication directe du Liban dans le conflit syrien, ce qui provoquera des tensions de sécurité, non seulement aux frontières, mais aussi sur la scène libanaise, simultanément avec des pressions supplémentaires contre l’armée pour l’empêcher d’exercer son rôle de dissuasion. Alors que les FSI sont considérées comme une institution allant vers la division et la fragmentation, ce qui limiterait son efficacité.
- Celui qui est derrière «cette démarche stupide» (la démission), mise sur des changements qu’il estime inéluctables en Syrie, dans la prochaine période. A ce propos, un responsable militaire s’est dit surpris, de nouveau, par le comportement de capitales occidentales, lesquelles considèrent que la guerre en Syrie touche à sa fin, en faveur des rebelles. Ce pari signifie que la scène libanaise sera ouverte aux vagues de turbulence, ce qui ennuierait le Hezbollah en vue d’entraver son soutien au régime d’Assad.
- Le chaos politique fera long feu et les élections sont dorénavant reportées. Le trio Sleiman-Mikati-Joumblat restituera la vitalité du 14 Mars, dont les pôles ont entamé leurs préparatifs, aspirant à des postes présidentiels, ministériels et sécuritaires...
Que Dieu nous préserve !
Source : Al-Akhbar, traduit par : moqawama.org