Mali: des ONG dénoncent des exactions et s’interrogent sur le rôle de la France
Amnesty International et Human Rights Watch accusent des soldats maliens de «graves atteintes aux droits de l'homme» lors de l'offensive engagée le 11 janvier avec le soutien des forces françaises. Les ONG évoquent notamment des exécutions sommaires.
Dans deux rapports publiés vendredi, Amnesty International et Human Rights Watch (HRW) accusent l’armée malienne d’avoir procédé à des exécutions sommaires lors de la poussée des forces extrémistes vers le sud du Mali et de la contre-offensive engagée le 11 janvier par la France.
Amnesty International dit avoir réuni des preuves établissant qu’au moins cinq civils, dont trois enfants, ont trouvé la mort lors d’un bombardement aérien mené le 11 janvier à Kona dans le cadre de l’opération conjointe menée par les forces françaises et maliennes, sans pouvoir préciser quelle armée en porte la responsabilité.
Un responsable du ministère français de la Défense a tenté de dédouaner les soldats français de toute responsabilité dans ces attaques en indiquant à Amnesty que «les frappes françaises n’avaient pas débuté avant 16h30 ce vendredi 11 janvier». Mais un représentant de la mairie de Kona et un colonel de l’armée malienne ont déclaré pour leur part que «l’opération commune franco-malienne avait débuté dans la matinée»...
«Il est absolument impératif que la France et le Mali ouvrent une enquête pour savoir qui a mené cette attaque. Toutes les conclusions devront être rendues publiques de sorte qu’il soit possible de déterminer s’il y a eu ou non violation du droit international», a déclaré Gaëtan Mootoo, chargé du Mali au sein d’Amnesty International.
Des corps jetés dans un puits
Les enquêteurs d’Amnesty, qui se sont rendus dans les villes de Ségou, Sévaré, Niono, Kona et Diabali, ont aussi enregistré des témoignages selon lesquels le 10 janvier, à la veille du déclenchement par la France de l’opération «Serval», l’armée malienne a arrêté et exécuté une vingtaine de civils, principalement dans la ville-garnison de Sévaré, près de Mopti.
Plusieurs corps auraient été jetés dans un puits, ont raconté des témoins, interrogés par Human Rights Watch. «Ils ont fait monter un homme âgé et son fils dans une voiture et les ont conduits 100 mètres plus loin jusqu’au puits sur le terrain vide. Ils ont tiré une balle sur le fils... il s’est effondré. Puis ils ont pris son corps et l’ont jeté dans le puits. Puis ils ont tiré plusieurs balles sur le père, mais il n’est pas tombé. En voyant ça, ils lui ont enlevé quelques vêtements, lui ont tiré dessus à nouveau et l’ont aussi jeté dans le puits. Ensuite ils ont à nouveau tiré dans le puits. Des gens ont dit que les militaires ont insisté sur le fait que c’était des extrémistes. Mais le fils a essayé d’expliquer que son père, qui agissait de manière étrange, était fou», développe l'un d'eux.
Selon l'ONG, au moins 13 personnes ont été exécutées sommairement et cinq autres ont disparu entre le 9 et le 18 janvier à Sévaré, Kona et dans les villages environnants. Les forces de sécurité auraient ciblé des civils soupçonnés de «liens avec les groupes armés», souvent sur des faits très ténus comme leur origine ethnique ou leur type de vêtements.
Exécutions de soldats blessés
Les organisations de défense des droits de l’Homme imputent également des exactions aux groupes extrémistes armés qui s’étaient rendus maîtres du Nord-Mali au printemps dernier. Elles citent des exécutions de soldats blessés et le recrutement forcé d’enfants-soldats.
Un témoin a raconté à HWR comment il avait vu l’exécution de soldats maliens pendant la bataille pour la ville de Kona du 9 au 11 janvier. «Depuis l’endroit où j’étais caché, j’ai vu deux soldats qui étaient séparés des autres. Ils devaient être à court de munitions et se cachaient quand un groupe de quatre combattants du Mujao les a pris... L’un a demandé grâce, mais ils l’ont maintenu à terre et lui ont tranché la gorge. Deux jours plus tard, alors que nous emportions les soldats morts pour les enterrer, les extrémistes ont vu que cinq d’entre eux étaient encore en vie. Ils étaient gravement blessés mais ils respiraient encore et auraient dû avoir une chance de vivre. Au lieu de cela, les extrémistes les ont tués, l’un après l’autre... Ils ont abattu certains d’un coup de feu dans la bouche... Je n’ai pas pu dormir pendant des jours».
A Diabali, près de la frontière mauritanienne, des combattants extrémistes sont également accusés d’avoir exécuté sommairement les 14 et 15 janvier cinq soldats maliens blessés dans les combats ainsi qu’un civil, selon Amnesty International.
Des enfants âgés pour certains de dix ans ont été recrutés de force. Selon HRW, citant des habitants de Kona, au moins trois de ces enfants enrôlés par les groupes armés ont été tués pendant les affrontements.
Source: France 24