France: Macron mise toujours sur l’éclatement de la gauche, mais l’a jusqu’ici «sous-estimée»
Par AlAhed avec AFP
Face à l’impasse, Emmanuel Macron continue de vouloir fracturer la gauche pour attirer les sociaux-démocrates dans une coalition gouvernementale. Mais depuis sa dissolution controversée de l’Assemblée nationale, ces adversaires ont su défier ses calculs pour faire bloc malgré leurs divergences.
«Macron sous-estime beaucoup la gauche», assène un cadre du camp présidentiel venu des rangs socialistes.
L’Élysée l’a écrit noir sur blanc lundi, dans le communiqué par lequel le chef de l’État a formellement exclu de nommer un gouvernement du Nouveau Front populaire (NFP).
«Désormais», «le Parti socialiste, les écologistes et les communistes» doivent «coopérer avec les autres forces politiques», a affirmé la présidence, sur le ton de l’injonction.
Plus de sept semaines après des élections législatives qui ont débouché sur une France ingouvernable, le pari reste le même: enfoncer un coin entre ces trois partis et La France insoumise, leur alliée au sein du NFP que la macronie entend reléguer derrière un cordon sanitaire.
«La question centrale, c’est: «Peuvent-ils s’arracher du NFP?»», traduit un ministre démissionnaire. Mais le même admet que le calcul reste incertain, puisque «l’erreur de base» de la dissolution était déjà de prédire qu’elle allait «faire péter la gauche».
De fait, la décision de dissoudre par surprise, le 9 juin, avait été dictée notamment par la volonté de «prendre de court» la gauche, issue des élections européennes avec des divisions qui paraissaient irréconciliables, comme le théorisait alors un stratège élyséen.
Sauf que dans cette course de vitesse, ce sont le PS, le PCF, les écologistes et les insoumis qui ont pris tout le monde de court en s’unissant immédiatement.
Ce qui leur a permis, en partie aussi grâce au «front républicain» anti-Rassemblement national, d’obtenir contre toute attente le plus grand nombre de députés.
«Tous partis»
Dès lors, bien que très loin de la majorité absolue, le NFP a réclamé de gouverner. Mais le président Macron a temporisé, doutant de sa capacité à s’entendre sur un nom pour Matignon.
Raté, une fois de plus, puisque l’alliance a surmonté ses désaccords pour proposer le 23 juillet la candidature de la haute fonctionnaire Lucie Castets.
Emmanuel Macron a d’abord balayé cette option, prônant plutôt une «trêve» durant les Jeux olympiques.
Temporiser, encore, pour laisser la situation se «décanter»... et la gauche se diviser, espérait-on dans le camp présidentiel.
Las, le NFP a presque réussi jusqu’ici à parler d’une seule voix.
Le chef de l’État a donc finalement dû se résoudre à faire mine de prendre en considération l’option Castets, en organisant des consultations à l’issue desquelles il l’a finalement écartée en raison de la menace de censure immédiate agitée par les autres partis.
Quelle est la prochaine étape? Selon plusieurs interlocuteurs du président de la République, cette longue «décantation» l’a au moins fait évoluer lui, désormais plus enclin à nommer un premier ministre issu du centre gauche qu’il ne l’était en juillet.
Toujours dans l’intention de faire éclater le NFP.
En face, le bloc ne semble pas se fissurer, malgré les espoirs de l’Élysée qui relevait avec insistance, au cœur de l’été, les rares prises de position socialistes plus favorables à une coalition, comme celles du sénateur Rachid Temal ou du député Philippe Brun.
«En se comportant de manière aussi brutale, Emmanuel Macron a resserré la gauche autour de sa candidate Lucie Castets et de son programme», répond l’eurodéputée LFI Manon Aubry.
«Je ne vois pas comment le PS se dissocierait du reste de la gauche», ajoute le député socialiste Laurent Baumel.
Selon lui, toute personnalité de gauche qui accepterait d’être nommée à Matignon sur initiative de M. Macron se placerait «dans le rôle du traître».
La macronie laisse filtrer plusieurs noms de ce qu’elle appelle la «gauche régalienne», dont celui de l’ex-premier ministre Bernard Cazeneuve, ou des maires socialistes de Saint-Ouen Karim Bouamrane et de Montpellier Michaël Delafosse.
«Il ne faut pas se faire d’illusion, si le président nomme un Cazeneuve, le premier jour NFP va rester uni, le PS va crier au scandale et au piège», prévient le cadre du camp présidentiel.
«Après, ça peut s’avérer difficile pour le PS de le censurer», espère-t-il.
Mais le locataire de l’Élysée part avec un handicap, qui peut paraître surprenant pour quelqu’un venu lui-même de la gauche.
«Macron n’a pas assez de gens de gauche autour de lui. Ils sont tous partis», tranche un autre ministre démissionnaire.
Le cadre macroniste abonde sur l’absence de relais et de vrais conseillers politiques. «Il a quelques mercenaires, mais ce sont tous des mercenaires de droite».