Portugal: six jeunes assignent 32 pays devant la CEDH pour «inaction climatique»
Par AlAhed avec AFP
Une audience «sans précédent»: six jeunes Portugais demandent des comptes à 32 États devant la Cour européenne des droits de l'Homme (CEDH) auxquels ils reprochent leur inaction face au réchauffement climatique, un dossier qui pourrait marquer un tournant en termes de justice climatique.
Preuve de l'importance que la Cour basée à Strasbourg accorde à cette affaire, c'est sa Grande Chambre, sa formation la plus solennelle, qui siégera le 27 septembre.
Avec 32 États visés, ce dossier est une première pour la juridiction européenne par son ampleur: «c'est un cas unique» en ce qui concerne «le nombre d'Etats» incriminés, indique une source au sein de la CEDH.
Des arrêts contraignants
La décision, que la Cour rendra d'ici plusieurs mois, sera très scrutée dans un contexte d'explosion mondiale du nombre d'affaires judiciaires liées au climat: ses arrêts sont contraignants pour les 46 États membres du Conseil de l'Europe et font jurisprudence.
Le conseil des six requérants, Gerry Liston, espère une décision «qui agirait comme un traité contraignant imposé par la Cour» aux États et qui leur intimerait «d'accélérer leurs efforts pour atténuer le changement climatique».
«D'un point de vue juridique, ça changerait la donne» en matière de justice climatique, alors que les tribunaux jouent un rôle de plus en plus important dans ce combat, estime l'avocat du Global Legal Action Network (GLAN), l'ONG britannique qui soutient les jeunes plaignants.
Les six Portugais, âgés de 11 à 24 ans, ont décidé d'agir après les violents incendies de 2017 qui ont brûlé les dizaines de milliers d'hectares et fait plus de 100 morts dans leur pays.
Ces jeunes, qui craignent pour leur santé, disent éprouver «de l'anxiété face aux catastrophes naturelles et à la perspective de vivre dans un climat de plus en plus chaud», résume la CEDH dans un communiqué.
«Nous protéger»
La Cour, qui ne s'est encore jamais prononcée sur les obligations des 46 pays membres du Conseil de l'Europe sur cette question, examinera en premier lieu la recevabilité de la requête - le dossier pouvant être rejeté sans examen sur le fond.
Cette recevabilité sera très débattue.
Alors que la procédure normale implique d'épuiser d'abord les recours devant les tribunaux des pays visés, les requérants ont choisi de saisir directement la CEDH en invoquant la «charge excessive et disproportionnée» de lancer 32 procédures séparées dans 32 États.
«Les gouvernements à travers le monde ont le pouvoir d'arrêter cela, et les Européens font le choix de ne pas le faire», souligne Catarina dos Santos Mota, requérante de 23 ans. «S'ils échouent à nous protéger, alors c'est le travail de la (CEDH) d'entrer en scène».
Les 27 États de l'Union européenne, la Russie, la Turquie, la Suisse, la Norvège et le Royaume-Uni sont visés par la requête déposée en septembre 2020.
Dans leur requête, les jeunes Portugais invoquent plusieurs textes internationaux sur le climat, notamment l'Accord de Paris de 2015, et pointent plusieurs violations de la Convention européenne des droits de l'Homme, dont les articles 2 (droit à la vie) et 8 (droit au respect de la vie privée et familiale).
«Je crois vraiment que cette affaire va changer le monde», espère Claudia Duarte Agostinho, 24 ans, plus âgée des plaignants.
Deux premiers dossiers climatiques concernant la Suisse et la France ont été examinés en mars par la CEDH qui ne s'est pas encore prononcée.
Le nombre d'affaires judiciaires liées au climat a doublé entre 2017 et 2022, selon l'ONU-Environnement.