France: enquête pour «tortures» et «actes de barbarie» visant le président émirati d’Interpol
Par AlAhed avec AFP
Ahmed Nasser Al-Raissi, parvenu à la présidence d'Interpol en novembre sous les critiques d'ONG, est désormais visé par une enquête à Paris pour «torture» et «actes de barbaries» après une plainte d'une ONG dénonçant le traitement de l'un des principaux opposants émiratis, incarcéré depuis 2017.
C'est le parquet antiterroriste (Pnat) qui a ouvert cette enquête préliminaire, a appris l'AFP de sources proches du dossier, confirmée par une source judiciaire.
Cette dernière source a précisé que cette enquête faisait suite à une plainte déposée en janvier par l'ONG Gulf Centre for Human rights (GCHR), qui accuse Ahmed Nasser Al-Raisi d'être, par ses fonctions d'inspecteur général au ministère de l'Intérieur des Émirats arabes unis depuis 2015, l'un des responsables de tortures visant l'opposant Ahmed Mansoor.
La source judiciaire n'a pas indiqué à quelle date l'enquête du Pnat, compétent en matière de crimes contre l'humanité, a été ouverte.
Selon deux sources proches du dossier, elle a été confiée aux gendarmes de l'Office central de lutte contre les crimes contre l'humanité, les génocides et les crimes de guerre (OCLCH).
Me William Bourdon, avocat du GCHR, a indiqué à l'AFP que «dès lors qu'une enquête préliminaire a été ouverte, et elle s'imposait du fait de la présence du mis en cause en France» dans le cadre de ses fonctions à Interpol, «il est totalement incompréhensible que le Pnat n'ait pas fait interpeller Ahmed Nasser Al-Raisi alors qu'il avait la possibilité de le faire».
«Si une immunité devait être invoquée par le général Al-Raisi, elle ne peut l'être que par le mis en cause, et certainement pas par le Pnat qui ne doit pas se substituer à lui», a-t-il mis en garde.
Immunité?
Selon l'analyse de l'avocat, Ahmed Nasser Al-Raisi serait l'un des responsables actuels de ces tortures, ce qui serait un motif d'exception à l'immunité diplomatique dont il bénéficie selon l'accord de 2008 régissant les relations entre la France et Interpol, organisation dont elle accueille le siège.
Il a, par ses fonctions, «directement supervisé la répression accrue des droits et libertés et de leurs défenseurs aux Émirats arabes unis, et en premier lieu Ahmed Mansoor», avançait l'ONG dans sa plainte de juin.
L'avocat a ajouté que son client Khalid Ibrahim, directeur du GHCR, avait été entendu par les gendarmes de l'OCLCH le 18 mars.
Ahmed Nasser Al-Raisi avait déjà été visé par deux plaintes, dont l'une du GCHR datant de début juin, au moment où il était pressenti pour candidater à la présidence de l'agence internationale de police criminelle.
Les deux plaintes avaient été classées par le Pnat pour absence de compétence: l'intéressé ne résidait pas en France et ne se trouvait pas sur le sol français.
Ahmed Nasser Al-Raisi avait ensuite été couronné à Istanbul le 25 novembre, au grand dam des défenseurs des droits humains et de responsables politiques, qui estimaient que sa présidence portait atteinte à la mission de l'organisation.
Cette fonction, à temps partiel et non-rémunérée, est essentiellement honorifique, le vrai patron de l'organisation étant son secrétaire général, poste occupé par l'Allemand Jürgen Stock.
Ahmed Nasser Al-Raisi était donc depuis apparu à Lyon, siège d'Interpol, amenant le GCHR en janvier à déposer sa nouvelle plainte simple déclenchant cette enquête.
Des tweets d'Interpol plus récents, début mars, ont montré que son président était à nouveau en France.
Depuis plusieurs années, les ONG dénoncent le sort d'Ahmed Mansoor, l'un des principaux défenseurs des droits de l'homme dans les EAU, qui serait toujours détenu dans des conditions «moyenâgeuses» toujours constitutives de «torture», selon la plainte du GCHR.
Militant des droits de l'Homme, l'opposant est en prison depuis mars 2017 et a été condamné à dix ans de prison en 2018 pour avoir, selon les autorités, critiqué le pouvoir émirati et terni l'image de son pays sur les réseaux sociaux.
Dans un communiqué publié en janvier 2020, le ministère émirati des Affaires étrangères avait rejeté les affirmations «sans fondement» des ONG sur le sort d'Ahmed Mansoor.
De son côté, Interpol a souligné en janvier qu'«Al-Raisi occupe des fonctions officielles à temps plein dans son propre pays et n'est pas basé en permanence à Lyon», considérant que le litige relevait «d'un sujet entre les parties concernées».