Tunisie: des familles dénoncent des arrestations abusives en marge des troubles nocturnes
Par AlAhed avec sites web
Une semaine après le début des troubles nocturnes en Tunisie, plusieurs familles et associations ont dénoncé des abus et des interpellations arbitraires, ce vendredi.
«Le policier a poussé la porte de la maison et embarqué mon fils qui était dans l’escalier», raconte Meriem Ben Salem, dont le fils, Seifeddine, 18 ans, a été arrêté. Cette maman de 39 ans dénonce une intrusion, assurant que son fils n’avait en aucun cas pris part aux troubles nocturnes qui ont secoué ces derniers jours de nombreux quartiers populaires en Tunisie.
Quatorze jours de quarantaine avant d’être jugés
Les heurts ont baissé d’intensité depuis mercredi soir, après six jours d’incidents entre des jeunes prenant pour cible, à coups de pierres ou de cocktails molotov, la police, qui réplique par d’importantes quantités de gaz lacrymogène.
Ces protestations interviennent dans un contexte de crise sociale exacerbée par la pandémie, avec des perturbations de la scolarité, et un chômage qui touche plus de 30 % des jeunes.
«Je me tue au travail pour pouvoir inscrire mes enfants à diverses activités et éviter qu’ils restent désœuvrés dans le quartier, car il y a des drogues et de l’alcool», dit Meriem Ben Salem.
Elle réside dans un quartier où des échauffourées ont opposé des jeunes à la police. Une série d’interpellations a eu lieu dans le voisinage.
Seifeddine, jeune brun à la silhouette longiligne, en seconde année dans un lycée technique et sans casier judiciaire, a été arrêté dimanche soir. Accusé d’actes de violence, il est écroué à la maison d’arrêt de Mornag en périphérie de Tunis, en attendant son procès prévu le 29 janvier.
Tous les prévenus doivent passer 14 jours en quarantaine à leur arrivée en détention, avant d’être jugés.
Des avancées en matière de droits
Comme elle, d’autres mères ou sœurs réunies mercredi devant le tribunal de première instance de Tunis ont dénoncé des abus lors des arrestations en marge des troubles nocturnes.
Au moins 1.000 personnes, dont au moins 30 % de mineurs, ont été arrêtées du 17 au 20 janvier, selon un décompte fait par des ONG, qui dénoncent des «campagnes d’arrestations arbitraires» et de nombreux cas de maltraitance.
Ces pratiques «ne feront qu’alimenter la colère de la rue contre le système sécuritaire et aggraver la crise de rejet envers l’Etat», ont-elles averti.
La Tunisie, gouvernée par un régime policier jusqu’à la chute de Zine El Abidine ben Ali le 14 janvier 2011, a fait d’importantes avancées en matière de droits et libertés depuis la révolution.
Mais dix ans après, certaines revendications peinent à se concrétiser, notamment pour les jeunes des quartiers marginalisés.
Quand Meriem a finalement pu voir son fils trois jours après son arrestation, il pleurait». «Il avait été frappé aux jambes et avait un œil au beurre noir», ajoute le père, Mohamed.
Des vices de procédure graves
«La majorité des dossiers comporte des vices de procédure graves», déplore Oumeyma Mehdi, de l’ONG Avocats sans frontières.
«Pour les mineurs, il s’agit de leur placement en détention et de leur jugement en l’absence de leurs familles et du chargé de protection de l’enfance», explique-t-elle.
Pour les majeurs, les procédures de garde à vue et de détention sont souvent bafouées: ils sont privés d’avocat, d’assistance médicale ou de contact avec leurs familles, ajoute Oumeyma Mehdi.
L’inquiétude se porte aussi sur les procès: des avocats ont fait état de plus de 100 personnes jugées en quatre heures au tribunal de Ben Arous, quartier sud de Tunis.
«Le risque principal de cette période est d’instrumentaliser les mesures de lutte contre la pandémie pour restreindre les libertés et les droits», avertit Antonio Manganella, directeur d’Avocats sans frontières pour la Méditerranée, déplorant des «procès expéditifs».