En Pologne, une élection présidentielle sans électeur
Par AlAhed avec AFP
Les Polonais devaient élire ce dimanche leur président, mais les bureaux de vote n'ont pas ouvert, personne n'a pu voter, et l'élection, ni annulée ni ajournée, devrait entrer dans l'histoire comme un rare cas de scrutin fantôme.
Une nouvelle date pour l'élection présidentielle polonaise sera fixée d'ici deux semaines au plus tard, a annoncé dimanche la Commission électorale nationale, ayant constaté officiellement que le vote prévu ce jour n'avait pas eu lieu.
En fin de journée, la Commission électorale nationale a rendu publique une résolution déclarant qu'il «n’a pas été possible de voter pour les candidats» à la magistrature suprême et que par conséquent la présidente de la chambre basse aurait 14 jours pour fixer une nouvelle date du scrutin.
L'élection devra se tenir dans un délai maximal de 60 jours à partir de sa décision.
Cette solution, a expliqué aux journalistes le président de la Commission Sylwester Marciniak, permet de ne pas demander à la Cour Suprême de constater l'invalidité de l'élection.
Le parti conservateur au pouvoir Droit et Justice (PiS) avait envisagé mercredi cette étape formelle à la Cour Suprême et en avait même prédit l'issue.
Ce qui a fait dire au politologue Stanislaw Mocek que la Pologne «plongeait dans les vapeurs de l'absurde», puisque des politiciens semblaient «donner un ordre à la Cour Suprême».
Depuis, de nombreux experts constitutionnalistes ont émis des doutes sur la compétence de la Cour Suprême à émettre une telle décision.
Pour Sylwester Marciniak, la situation découlant de l'absence du vote dimanche «ressemble à celle de l'absence de candidats ou de la présence d'un seul candidat, qui entraîne la non tenue de l'élection».
Cet état des choses encore lourd d'incertitudes, y compris sur le plan constitutionnel, est dû à la pandémie de coronavirus et à l'incapacité des conservateurs nationalistes au pouvoir et de l'opposition de s'entendre sur une solution constitutionnelle et mutuellement acceptable.
«Jour d'élection sans élection»
«On a aujourd'hui le jour d'élection sans élection», a résumé sur sa page Facebook un député social-démocrate (SLD), Tomasz Trela, après avoir organisé un happening devant une école fermée habituellement convertie en bureau de vote à Lodz.
«Le bureau de vote est fermé, ce qui veut dire que quelqu'un a annulé l'élection. Mais il n'est pas clair qui l'a fait et sur quoi il s'est fondé», a-t-il dit aux journalistes.
Le mouvement des Citoyens de la République Polonaise (Obywatele RP) a pour sa part organisé une manifestation à Varsovie pour demander une réforme fondamentale de l'Etat.
«L'Etat est incapable de tenir l'élection prévue pour aujourd'hui. Ou le scrutin, ou autre chose, appelez comme vous voulez cette comédie qu'ils nous ont préparée», a dit l'un des chefs du mouvement, Pawel Kasprzak, aux journalistes.
La confusion entourant l'élection présidentielle résulte d'un faisceau d'intérêts opposés et de décisions controversées.
Face au risque élevé de contamination au nouveau coronavirus dans les bureaux de vote, le PiS a voté une loi imposant l'élection par correspondance. Mais ce texte, critiqué par le constitutionnalistes et rejeté par l'opposition au Sénat, est arrivé trop tard pour permettre d'organiser le scrutin.
En même temps, le PiS a refusé un ajournement, réclamé par l'opposition, dont les candidats n'ont pu faire campagne, et souhaité par trois Polonais sur quatre selon des sondages.
Aux termes de la Constitution, pour ajourner la présidentielle il faudrait proclamer l'état de catastrophe naturelle. Officiellement, le PiS a estimé que la situation sanitaire ne l'exigeait pas. Officieusement, il a laissé entendre que des multinationales présentes en Pologne pourraient demander d'immenses dommages et intérêts que l'Etat aurait du mal à payer.
Mais pour l'opposition et de nombreux commentateurs, il y avait une autre raison: le parti conservateur voulait assurer sans attendre la victoire du président sortant Andrzej Duda, issu de ses rangs.
Andrzej Duda, en tête des sondages, aurait pu être réélu dès le premier tour. Mais ses chances de l'emporter risquent de faiblir à terme, lorsque l'incidence économique de la pandémie se fera sentir dans les entreprises et les ménages, et que le chômage montera.